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Critique initialement publiée sur mon blog : http://nebalestuncon.over-blog.com/2017/07/le-joyau-noir-de-michael-moorcock.html


MOORCOCK (Michael), Le Joyau noir, [The Jewel in the Skull], traduit de l’anglais par Jean-Luc Fromental et François Landon, Paris, Pocket, coll. Science-fiction, série Fantasy, [1967] 1988, 249 p.


LUCRATIVE FANTASY ET CHAMPIONS PAS SI ÉTERNELS


C’est un réflexe façon chien qui bave : quand quelqu’un dit « Moorcock », son interlocuteur se doit de répondre « Elric ». L’albinos dépressif avec sa grosse épée méchante vilaine a de longue date intégré le panthéon de l’heroic fantasy, au point de constituer une référence peu ou prou indépassable pour bon nombre de fans transis – surtout si lesdits fans transis sont des adolescents, ou, peut-être plus exactement, ont lu les aventures d’Elric quand ils étaient adolescents. Plus tard ? Le risque est élevé que cela ne passe tout simplement plus. J’en ai fait l’amère expérience : je n’ai lu « Elric » que bien trop âgé, et ai trouvé ça d’un ennui mortel et tristement pauvre.


Mais était-ce si surprenant ? Probablement pas – et d’autant moins, en fait, que j’avais malgré tout eu mon expérience moorcockienne adolescente, simplement avec un autre avatar du (putain de) Champion Éternel : j’ai nommé Dorian Hawkmoon. À l’âge des boutons sur la gueule, j’avais en effet lu, de préférence aux pérégrinations plates du Melnibonéen pète-burnes, les pérégrinations sans doute guère moins plates du duc de Köln, que je ne qualifierai pas au-delà, dans cette Europe dévastée et chaotique d’après le Tragique Millénaire. Parce que cet univers me séduisait autrement que le flou délibéré des Jeunes Royaumes – intuition en forme de préjugé, peut-être, mais c’est que j’avais mes propres sources, avec leur biais : le jeu de rôle. Elric a certes connu plusieurs déclinaisons rôlistiques, plutôt bien accueillies d’ailleurs, pour ce que j’en sais, mais ce fut aussi le cas de Hawkmoon – et quand je feuilletais mon catalogue de VPC au milieu des années 1990, disons-le, je bandais pour cet univers fantasque et outré, avec son Ténébreux Empire de Granbretanne fabuleusement psychédélique, au carrefour de la science-fiction post-apocalyptique et de l’heroic fantasy la plus sauvage…


Du coup, j’avais lu à l’époque « La Légende de Hawkmoon », cycle (à l’intérieur de l’ « hypercycle du Multivers » ou « du Champion Éternel »), composé en fait de deux sous-cycles, « l’Histoire du secret des runes » (les quatre premiers bouquins), et les « Chroniques du comte Airain » (les trois derniers). Et pour quel bilan ? Oui, effectivement, un chouette univers, qui a de la couleur, de l’excès savoureux… Mais, déjà à l’époque, j’avais trouvé l’histoire, ou plutôt les histoires, tant ça bouge en permanence et sans grande cohérence, globalement insipides, et le style peu ou prou désastreux… Un feuilleton somme toute basique, et probablement paresseux ; de ces œuvres que, dit-on, Moorcock dédiait à ses créanciers – mais une esthétique sympa, de la couleur, avec notamment son vilain empire très très méchant, qui dispute toujours les premières places du classement œcuménique des vilains empires très très méchants, au coude à coude avec les fantasmes de Palpatine, et des nazis pur jus hélas bien réels (il y a depuis un challenger entre la Syrie et l’Irak, ai-je cru comprendre).


J’ai donc lu ces sept petits bouquins en bouffant du pop-corn – sans m’ennuyer, sans être non plus vraiment emballé. En refermant le dernier, je me suis dit qu’il valait mieux, tout de même, que je fasse une petite pause avant de me mettre aux « Elric » – et cette petite pause a duré une dizaine d’années, bon… Trop tard pour apprécier ça. Globalement, les « Corum » (autre cycle du « Champion Éternel ») m’ont davantage parlé, sans me convaincre vraiment ; me restait les « Erekosë », je m’étais dit alors que je les lirais après une petite pause… et dix ans plus tard je ne l’ai toujours pas fait.


Depuis, cependant, j’ai découvert que Moorcock avait pu être tout à fait brillant, oui – simplement pas dans ce registre de la grosse fantasy qui a assuré sa célébrité. Il y a un monde entre les navrants « Elric » et la superbe autant que la finesse d’un Mother London – un vrai chef-d’œuvre, pour le coup, dont on a presque du mal à croire qu’il est dû au même auteur. Les nouvelles contenues par exemple dans London Bone et Déjeuners d’affaires avec l’Antéchrist, de même, révèlent un auteur bien plus intéressant que ce pour quoi il est si souvent cité en priorité. Et probablement aussi, en SF romanesque plus classique, Voici l'homme.


Mais pourquoi, alors, revenir à « Hawkmoon » ? Parce que : 1) c’est l’été, et j’ai envie de détente (et éventuellement de bourrinade) ; 2) l’univers continue de me séduire ; 3) après toutes ces années, j’ai conservé le fantasme rôlistique initial. D’où je me suis dit que je pouvais retenter l’expérience, d’autant que les sept volumes constituant « La Légende de Hawkmoon » sont très brefs ; alors, un par-ci, un par-là… Voici donc Le Joyau noir – et on verra plus tard si, au détour d’un week-end impliquant train et bus, je trouverai l’occasion de poursuivre...


LA GRANBRETANNE À L’ASSAUT DU MONDE


Pour moi, « Hawkmoon », c’est donc d’abord et avant tout un univers – même pas forcément très original (en fait, je n’en sais rien – il faudrait pouvoir se remettre dans le contexte de 1967, je suppose), mais très visuel, très coloré ; baroque et cruel, évocateur et fascinant.


Le lien avec notre Terre est a priori plus marqué que dans les trois autres cycles « du Champion Éternel » : les toponymes sont éloquents, à peine déformés (la Granbretanne, la Kamarg, etc.), qui nous plongent donc dans une Europe futuriste, et pourtant médiévalisante : c’est qu’il s’est produit, entre notre temps et celui-ci, ce que l’on a appelé le « Tragique Millénaire », mais nous ne savons pas grand-chose quant à ce qui s’est alors passé précisément – même si le contexte nous incite assurément à deviner quelque affrontement global ayant tourné à l’hiver nucléaire.


L’humanité a donc régressé, partout ou peu s’en faut – dans ce premier tome, qui se déroule pour l’essentiel en Europe occidentale, avec une virée plus tardive en Europe de l’Est et jusqu’en Perse, nous n’avons que de très vagues échos de l’Amerekh, censément épargnée par le Tragique Millénaire, et de l’Asiacommunista, sous domination chinoise, qui semble avoir échappé à la régression, mais au prix du totalitarisme ; ces deux contrées, pour les Européens, sont plus des légendes qu’autre chose…


En Europe de l’Ouest, les nations se sont à peu près toutes effondrées. La France, ainsi, s’est balkanisée et re-féodalisée, et il en va de même pour l’Allemagne, etc. Il y a pourtant une exception : le Ténébreux Empire de Granbretanne ! Cette dystopie totalement folle, avec à sa tête un empereur qui n’a plus rien d’humain et qui entretient son pouvoir éternel en abreuvant ses élites perverses de débauches en tous genres, a su conserver un niveau technologique supérieur à celui de tous les autres pays d’Europe – ses ornithoptères, notamment, sèment le chaos, secondant des contingents immenses de fantassins armés de lance-feu, et dont les uniformes improbables à base de masques animaliers terrifient leurs adversaires vaincus d’avance. La Granbretanne est ambitieuse autant que cruelle, et entend accaparer l’Europe entière – il sera bien temps, ensuite, de se pencher sur le reste du monde. Ses armées, d’ici-là, multiplient les exactions sadiques, massacres de masse et crucifixions de milliers d’enfants… Tel a été le terrible sort du duché de Köln, quand débute le roman.


LA KAMARG DU COMTE AIRAIN


Mais la Granbretanne ne détient pas encore toute l’Europe – et certaines principautés, même infimes face à sa démesure, ont su pour l’heure conserver leur indépendance. Ainsi, surtout, de la Kamarg (oui), où règne le comte Airain, héros de mille batailles et fin politique, que le peuple de la province a choisi de placer à sa tête, en remplacement d’un ancien dirigeant corrompu – le comte Airain se faisant vieux, il a supposé qu’il était bien temps de prendre sa retraite, et a accepté cette offre. Souverain juste et droit, aimé de ses sujets, le comte mène désormais une petite vie tranquille dans cette enclave sauvage tout au sud de l’ancienne France, dans son château d'Aigues-Mortes (un nom et une histoire tellement parfaits pour un récit de fantasy !), en compagnie de sa fille Yisselda (forcément belle autant que naïve), de son ami le poète-philosophe Noblegent, et de son vieux compagnon d’armes von Villach.


Aussi excentrée soit la Kamarg, elle ne peut sans doute demeurer indifférente au sort du reste de l’Europe. Noblegent est horrifié par les exactions de la Granbretanne… mais pas le comte Airain. Le vieux soldat a toujours cru que l’Europe devait s’unir pour survivre et dépasser le triste héritage du Tragique Millénaire – c’est pour cela qu’il s’est si longtemps battu, en vérité. Si la Granbretanne peut obtenir cette unification, c’est tant mieux. Quitte à casser quelques œufs pour faire la proverbiale omelette. Les horreurs dont parle Noblegent ? Des rumeurs, tout au plus – fondées sur du vent…


En fait, pour que le comte Airain prenne au sérieux la menace que pose le Ténébreux Empire, il suffit pourtant de pas grand-chose – qu’il s’en prenne à la Kamarg, eh… Le comte accueille avec courtoisie le baron Méliadus au masque de loup, haut dignitaire de Granbretanne et responsable du massacre de Köln – mais, tout au fond, il sait bien ce que cette visite implique… Et le sinistre hiérarque impérial lui offre un alibi tout trouvé pour que la minuscule Kamarg se dresse contre l’hégémonique Ténébreux Empire, quand, succombant à la plus folle des passions amoureuses… il essaye d’enlever la belle Yisselda. C’est original, hein ? Ces princesses, alors...


SCIENCE ET SORCELLERIE


Voici pour la géopolitique, disons, de cet univers – qui nous fournit le point de départ du récit, même si la résistance de la Kamarg ne sera pas toujours au cœur du cycle ; d’autant que notre héros n’est pas le comte Airain, mais Dorian Hawkmoon, duc de Köln. Avant de nous pencher sur le bonhomme, le Champion Éternel du coin, il nous faut cependant envisager un autre aspect de cet univers – entre science et sorcellerie.


La collection « Science-fiction » de Pocket, alors, faisait la distinction entre quatre « sous-collections » : la science-fiction représentée par le « cycle de Dune », la science-fantasy avec « les dragons de Pern », la fantasy avec… « Hawkmoon », et la dark fantasy avec… les prétendues « collaborations posthumes » Lovecraft/Derleth, en fait purement derléthiennes (et lamentables). Il y aurait beaucoup de choses à redire à propos de cette catégorisation, sans doute – sans même parler de cette « accroche » commerciale pour le moins improbable, au point où c’en est presque glorieux, dans la présentation de l’auteur : « Flaubert commença par Salammbô, Moorcock par Elric et Hawkmoon. » Hein ? Quoi ? Pardon ? WTF ? Bon, passons…


Reste que « Hawkmoon » est présenté comme étant de la fantasy pur jus. C’est sans doute vrai dans les thèmes et les procédés, mais l’univers est plus ambigu que cela – avec sa dimension d’anticipation, qui peut sembler trancher avec les aventures d’Elric, notamment, et nous fait tout naturellement penser à de la science-fiction. En fait, on serait tenté, dans ce cas, de faire usage de la catégorie plus que bâtarde de la science-fantasy, pourtant employée par ailleurs par l’éditeur. Bien sûr, l’anticipation n’implique pas la science-fiction : « La Terre mourante » de Jack Vance, ou « Zothique » de Clark Ashton Smith, en témoignent assurément – présentant deux futurs incommensurablement lointains (bien plus que celui de « Hawkmoon »), qui sont autant de « mondes magiques ».


Est-ce donc le cas du présent cycle ? Probablement. Mais, dans ce premier tome, il joue beaucoup de l’ambiguïté entre science et sorcellerie – présentée d’ailleurs comme telle. Dans la majeure partie du volume, la science, aussi perverse et étrange soit-elle, semble tout de même avoir le dessus – et ce n’est que dans la troisième que les simples allusions au savoir technique d’antan, ou aux créatures faussement surnaturelles, en fait des sortes de mutants (éventuellement le fruit des radiations, etc.), commencent véritablement à se parer de traits bien davantage évocateurs de la fantasy. Vieux mages et prophéties, patin couffin… Et un Bâton Runique en avatar de Stormbringer, incarnation physique quand bien même mythique de la balance entre l’ordre et le chaos – on parle bien du Champion Éternel, hein… Le multivers pourrait être SF, mais il est surtout bien pratique dans une optique de pure fantasy.


Difficile d’en dire plus pour l’heure, on verra bien (ou pas) comment cela tourne dans les volumes ultérieurs… Reste que cette ambiguïté me plaît bien, moi. Elle fait partie, à mes yeux, et jusque dans les séquences les plus improbables (je vous raconte pas les idées tordues du comte Airain pour assurer la défense de la Kamarg…), des atouts majeurs de cet univers qui consiste bien le principal (le seul ?) attrait de « la légende de Hawkmoon ».


AVATAR DU HÉROS DÉPRESSIF


Mais justement, Hawkmoon, nous y arrivons. Dorian Hawkmoon, le jeune duc de Köln, est notre héros (pour l’heure ?), et notre avatar du Champion Éternel – répondant à Elric, Corum et Erekosë… et éventuellement quelques autres, aux initiales souvent christiques. Ou peut-être est-ce en fait plus compliqué que cela ? Car deux autres personnages, dans ce premier tome de « Hawkmoon » qu’est Le Joyau noir, semblent disputer au duc de Köln cet attribut essentiel : le comte Airain, qui écrase le freluquet, couillon si brave, de par son charisme incomparable (à moins qu’il ne s’agisse d’un avatar du « compagnon » ? J’y reviendrai), et le mystérieux « guerrier d’or et de jais », très agaçant dans sa paladinerie mystique, et qui semble tout savoir – lui. Connard.


Mais, pour l’heure, disons donc qu’il s’agit de Dorian Hawkmoon. Il est le reflet, dans ce monde-ci, d’Elric écumant les Jeunes Royaumes. Comme le fameux albinos, même conçu sur un modèle « anti-Conan », il est, fondamentalement, « un type avec une épée ». Ce qui n’a rien de bien enthousiasmant…


Mais il partage avec le Melnibonéen un trait plus intéressant – ou, plus exactement, constitue une variation intéressante sur un modèle devenu vite pénible chez Elric… Et c’est son caractère dépressif. Comme Elric, Dorian Hawkmoon est un noble issu d’une vieille famille ancrée dans le passé, et qui a éventuellement sombré depuis longtemps dans la décadence. Comme Elric, en fait de héros, il est maintes fois confronté à l’échec, ou plus globalement à la malédiction. Mais, là où l’albinos, malmené par son épée Stormbringer, devenait vite agaçant à force de romantisme noir puéril autant que geignard, Dorian Hawkmoon incarne tout d’abord un autre visage de la dépression – qui est l’apathie. L’échec de sa tentative de soulèvement du duché de Köln contre la tyrannie de la Granbretanne et les crimes du baron Méliadus, ne serait-ce que pour venger son père le vieux duc supplicié devant ses yeux, en a fait une coquille vide, indifférente à tout, tellement lasse de la vie qu’elle ne se reconnaissait plus aucun principe. Et, pour le coup, j’ai trouvé ça intéressant.


Bon, ça ne dure guère… Bien vite, bien trop vite, sans doute, Dorian Hawkmoon deviendra, comme Elric, « un type avec une épée ». Et d’ailleurs tout aussi psychopathe que le Melnibonéen – à ceci près qu’il ne blâme pas son épée pour cela. Pour le moment, du moins ? Car l’idée est semble-t-il bel et bien que Dorian Hawkmoon est le jouet du Bâton Runique, comme Elric l’est de Stormbringer… Mais, là encore, nous n’en savons guère plus pour le moment. On peut simplement se demander si le serment censément fatidique du baron Méliadus est véritablement aux sources de la trajectoire mythique de Hawkmoon.


AVATARS DU COMPAGNON ?


Le Champion Éternel se doit par ailleurs d’avoir un « compagnon ». Il y a, là aussi, un modèle dans le « cycle d’Elric », et c’est Tristelune – bien moins pénible, pour autant que je m’en souvienne, que le vilain bonhomme dont il était censément le faire-valoir. Hawkmoon n’échappe sans doute pas à ce principe, mais l’identification de ce compagnon n’est peut-être pas aussi évidente qu’elle en a l’air.


Une piste saute à la gueule, pourtant – et c’est le personnage d’Oladahn, le « nain géant » des montagnes bulgares, qui, entre grotesque et bons mots, mais avant tout fort dévoué, semble presque choper le lecteur par le col pour lui hurler à la face : « JE SUIS TRISTELUNE ! » Ce qui n’est à vrai dire pas sans poser problème – au regard du rythme de la troisième partie du roman, où il fait son apparition, j'y reviendrai…


Mais peut-être est-ce plus compliqué que cela ? Une petite founierie sur le ouèbe semblait avancer que le compagnon, dans « Hawkmoon », se divisait en fait en quatre figures : Oladahn en tête, sans doute, mais aussi deux autres personnages déjà cités, le comte Airain (toujours) et son comparse Noblegent, et enfin un personnage qui n’a pas fait son apparition pour l’heure, Huillam d’Averc – on verra, ou pas, là encore...


TRAHIS PAR DES TRAÎTRES (ALLONS BON)


Revenons cependant à notre Dorian Hawkmoon amorphe. Le baron Méliadus (risible caricature de vilain méchant pas beau, avec les punchlines appropriées) a l’idée saugrenue (pas qu’un peu – supposons alors que c’est sa cruauté qui la justifie : la cruauté justifie à peu près tout dans le Ténébreux Empire) d’employer le bonhomme, ex-rebelle mais qui ne croit plus en rien (couper zézette Lebowski, etc.), pour choper enfin la belle Yisselda en Kamarg, et anéantir le pouvoir du comte Airain dans sa ridicule province. Il s’agit, pour le duc de Köln, de se présenter auprès du comte comme étant toujours rebelle et s’étant évadé des geôles de la psychédélique Londra (ben voyons), afin de gagner sa confiance et de faire ses petites affaires ; après quoi le jeune homme sera récompensé (ben voyons), la Granbretanne lui laissant un pouvoir nominal, même si en tant que vassal, sur le duché de Köln décidément pas facile à contenir – même en l’écrasant à coups de botte. Mais, pour s’assurer que le jeune homme ne les trahira pas (eh, c’est pas comme si c’était pas déjà un traître), les savants granbretons usent d’un bizarre dispositif (entre science et sorcellerie, donc – et qui, pour le coup, peut ramener de manière plus concrète aux mésaventures autrement drôlatiques d’un Cugel), consistant en un (très voyant) joyau noir incrusté dans le crâne de notre héros – ledit joyau fonctionnant comme une caméra, qui permet au baron Méliadus et aux siens de s’assurer que Hawkmoon leur obéit : le moindre écart sera sanctionné par l’activation pleine et entière du joyau, qui aura pour effet de rendre Dorian fou… Mais, bien sûr, ce joyau n’étonnera pas le comte Airain et compagnie, hein ? Bien sûr…


Oui : c’est un plan complètement con, et qui ne tient vraiment pas la route. C’est d’autant plus fâcheux, car le roman use de ce procédé guignolesque comme d’un prétexte et fondement au récit d’ensemble – qui n’en est que davantage boiteux… Et sans doute l’univers, aussi séduisant soit-il, ne parvient-il jamais totalement à faire abstraction de cette faille primordiale.


Rassurez-vous (car vous en doutiez, n’est-ce pas ? Hein ? Hein ?), Dorian Hawkmoon ne succombera évidemment pas au maléfice du joyau noir, et retrouvera la fougue psychopathe qui sied au Champion-Éternel-qui-est-un-type-avec-une-épée, avec la bénédiction du comte Airain pas dupe un seul instant, et celle de Yisselda décidément amoureuse de tous les types en armure qui font une halte en Kamarg (I Love a Man in a Uniform).


Étonnant, non ?


PLUS VITE ! PLUS VITE !


Cette faiblesse de fond s’accompagne hélas d’une autre, et conséquente, dans la troisième partie du roman – qui tient plus que jamais du feuilleton picaresque, voire du fix-up, mais sur un mode absolument pas convaincant.


En l’espace de soixante pages divisées en six chapitres (tiens, ça tombe bien), nous suivons alors Hawkmoon dans un long périple, mais narré de manière pour le moins accélérée, qui le conduira de la Kamarg à la Perse (tout de même), afin de se libérer définitivement de la menace du joyau noir. Et ça va à fond la caisse – même la rencontre avec Oladahn, pourtant déterminante. Les chapitres de dix pages sont extrêmement condensés et sans vrai liant, accumulant les rebondissements avec la pertinence d’un Van Vogt – ou celle d’une vieille table de rencontres aléatoires de Donjons & Dragons.


Fâcheux contraste avec l’ouverture du roman, globalement réussie – et centrée sur la Kamarg et le comte Airain : Dorian Hawkmoon n’apparaît véritablement dans le roman qu’après une soixantaine de pages. Moorcock, dans ces premiers chapitres, prend le soin de poser son univers, mais sans didactisme, et privilégie l’ambiance à l’action – et ça marche. La troisième partie, en comparaison, donne l’impression d’un écrivain pressé d’en finir, mais rallongeant quand même la sauce pour arriver à un format de roman – et qui bâcle absolument tout, et, bordel, sans se cacher le moins du monde ; impression renforcée bien sûr par le style, au mieux utilitaire, régulièrement lourdingue, parfois même pire. Reste tout de même six livres de « la légende de Hawkmoon » après celui-ci, et je crains fort que ces failles les affectent tout autant voire davantage encore…


FUN ET/OU NAVRANT ?


Mais là, pour le coup on fait vraiment dans le pop-corn – plus que jamais. Le lecteur binge comme un porc, jamais totalement convaincu, suffisamment accroché pourtant pour tenter de jeter un œil à la deuxième saison – c’est l’été, merde...


Objectivement, je ne peux pas recommander ce roman, sans doute au mieux médiocre. Je ne sais pas s'il est avant tout fun, ou navrant. Sans doute est-il en fait les deux, et dans une égale mesure... Alors je vais quand même continuer, au moins avec Le Dieu fou. Autant dire que tout est foutu.

Nébal
5
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le 8 juil. 2017

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Nébal

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