Au XVe siècle, la France est en guerre avec l’anglais, son ennemi irréductible. Le roi est fou et son entourage en profite. A sa mort, le pays est déchiré. Sa veuve est résolue à offrir la couronne au roi d’outre-Manche – livrer le pays à l’ennemi : madame manque cruellement de pudeur !
Le fils (Charles VII) vivote dans un palais de Bourges et se déplace beaucoup au sein de son royaume réduit comme peau de chagrin : le nord, l’ouest et le sud-ouest sont aux mains des anglais, l’est au duc de Bourgogne et la Provence au duc d’Anjou. Le domaine royal se limitant au centre du pays.
Car la vie de Jacques Cœur que nous conte Jean-Christophe Rufin c’est avant tout l’Histoire de France en cette fin de Moyen-Age et celle du roi Charles VII.
Jacques Cœur, fils d’un petit bourgeois marchand de fourrures à Bourges. Le jeune homme par son mariage avec Macé entre dans le monde de la finance. Il s’allie à un monnayeur véreux qui triche sur la teneur en or des pièces de monnaie qu’il frappe. Petit tour de passe qui l’enrichit rapidement mais qui le conduit tout aussi vite en prison. Libéré, Jacques Cœur s’éloigne de son Berry natal et s’embarque pour l’Orient où il a toujours rêvé de se rendre. C’est à Damas qu’il prend conscience des immenses possibilités commerciales qui s’offrent à lui. Rentré au pays, il créé avec deux amis d’enfance une entreprise d’import-export : il expédie en Orient les meilleurs produits manufacturés occidentaux et en rapporte ce qu’il s’y fait de mieux. Le succès est immédiat.
Charles VII qu’il a rencontré et à qui il a expliqué son projet le nomme grand argentier. Jacques Cœur est désormais responsable des entrepôts du pays : il devient ainsi le premier client de sa petite entreprise. Tous les nobles du pays le consultent pour obtenir les plus beaux atours. Jacques Cœur accordent des prêts, des délais de payement. Innombrables sont ses débiteurs, à commencer par le roi lui-même.
Car Jacques Cœur a eu la chance de trouver en son roi un visionnaire. Un homme moderne qui comprend les nécessités de rompre avec le système féodal : Charles VII ne veut plus partager son pouvoir et aimerait écraser tous les princes et autres seigneurs, tous ces petits états dans l’état qui l’empêche de gouverner efficacement. Le règne de Charles VII, c’est la reconduite des anglais à la frontière sous l’impulsion d’une pucelle impulsive, une jeune fille tout feu tout flamme au destin brûlant, c’est la fin de la guerre de cent ans, la fin de la féodalité et de la chevalerie moyenâgeuse, la professionnalisation et la modernisation de l’armée, la reconquête du territoire français, la réorganisation des finances de l’état, le début des campagnes italiennes auxquelles se consacrera François Ier un demi-siècle plus tard, le développement des arts avec de nombreux talents qu’on fait venir en France, le développement du commerce international, la fin du schisme d’Occident…
Un roman qui nous donne une grande leçon d’Histoire en ce début de la Renaissance qui prendra ses aises au XVIe siècle. Mais aussi une histoire d’amour avec le personnage d’Agnès Sorel, maîtresse du roi, dont Jacques Cœur tomba éperdument amoureux. (Le parallèle avec Marcel Proust est évident lorsque Messire Cœur voit apparaître pour la première fois l’élue de son cœur, jeune, belle, au milieu de ses amies, riant, gesticulant, telle Albertine et les jeunes filles en fleur sur la plage de Balbec.)
Un texte très intéressant grâce auquel le lecteur apprend beaucoup. L’accession au pouvoir de Jacques Cœur m’a passionné. Mais j’avoue que la seconde moitié du livre (le sommet de sa puissance puis sa disgrâce) a été plus longuette. Le temps s’allonge alors, on attend plus rien de la vie (on a déjà absolument tout, l’essentiel comme le superflu). Le héros se fait moins entreprenant et se contente de laisser ses affaires tourner, l’enrichissant toujours plus (Jacques Cœur était l’homme le plus riche de France, plus riche que le roi, plus riche que l’état lui-même). On l’imagine s’empâtant, prenant du ventre. Et le lecteur que je suis s’alangui lui aussi. Un peu d’ennui, un bâillement ici et là. Un livre un peu long au final, correctement écrit, grâce auquel ma vision de cette première moitié du XV s’est éclaircie, mais qui ne restera pas parmi les grandes lectures de l’année.
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le 24 sept. 2013

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