[Avis tiré de ma fiche de lecture du livre, d'où le manque de transitions, le caractère descriptif avant tout, etc.]

Lucien Goldmann commence par définir ce qu’est la vision tragique après avoir explicité la méthode dialectique qu’il utilise. 

Qu’est-ce que la vision tragique ? 

→ Dieu est spectateur, il n’intervient jamais. Dieu est présent et absent en même temps. C’est aussi une pensée qui est anhistorique, il lui manque la dimension temporelle du devenir. 

→ La vision tragique est un point de passage entre le matérialisme classique (empiriste ou rationaliste) et la dialectique. Elle reconnaît les limites de la raison, le caractère contradictoire des choses et la vérité contenue dans chaque perspective, mais elle ne cherche pas à résoudre ces contradictions apparentes. 

→ Les valeurs morales supra individuelles sont remises en question. « La voix de Dieu ne parle plus d’une manière immédiate à l’homme. »

→ La vision tragique implique une crise grave entre l’humain et le monde. Elle apparaît à certaines périodes historiques en proie à ce genre de crise. 

L’auteur avance que Sophocle et Shakespeare sont aussi des auteurs dont la vision du monde est tragique, ainsi que Kant.

Chaque vision tragique a vu une réponse lui être apportée et la contredisant : le platonisme pour Sophocle, le rationalisme et l’empirisme moderne pour Shakespeare, et enfin la dialectique et le marxisme pour Pascal et Kant.

→ Selon Lucien Goldmann, le pari marxiste (qui parie sur l’humain et l’avenir historique) a remplacé le pari pascalien. Le pari implique la foi, catégorie que l’auteur met en avant tout en sachant très bien le paradoxe apparent impliqué par ce vocabulaire identifié comme religieux. 

→ Le « oui » et le « non » restent les deux seules attitudes reconnues par la vision tragique. C’est le Tout ou le Rien. Cette vision est véritablement bloquée devant la porte de la dialectique. 

Le OUI exige la réalisation intramondaine des valeurs, tandis que le « non » admet que le monde est essentiellement insuffisant pour la réalisation de ces valeurs absolues. L’être tragique vit exclusivement dans le monde (peu de mysticisme) sans y prendre part pour autant, ce qui lui donne une acuité de pensée exceptionnelle (d’où les aphorismes moralistes d’une lucidité et d’une précision impressionnante de la part de Pascal). 

Il n’y a donc pas de progrès, d’étapes, de transitions dans la vision tragique ; l’exemple de la conversion religieuse telle qu’elle est pensée par Pascal le montre très bien. La conversion est considérée de manière intemporelle et totale. Encore le Tout ou le Rien. En somme, les tragiques ne reconnaissent que l’infini, le néant et l’éternité ; il ne peut donc pas exister de degrés.

La classe sociale du jansénisme, la noblesse de robe :

Étudier la vision tragique de Pascal et Racine implique d’étudier le jansénisme, et donc la classe sociale dont la vision tragique est la vision du monde, c’est-à-dire la noblesse de robe selon L.G. 

Et pour comprendre la vision tragique dans sa totalité, ainsi que toute vision du monde exprimée dans des œuvres, il faut étudier :

a) Les textes ;

b) la vie psychique du groupe (intellectuelle et affective) ;

c) leur vie sociale et économique. 

→ Entre 1637 et 1677 (environ), l’auteur identifie une idéologie affirmant l’impossibilité radicale de réaliser une vie valable dans le monde. Celle de la tragédie, donc. 

L’édit de la paulette (qui crée la vénalité des charges et impôt sur la transmission de celles-ci) a eu de grandes conséquences en ce XVIIe siècle. Des changements brusques ont lieu au sein de la monarchie et diverses oppositions voient le jour. Certaines familles nobles ont des problèmes quant à leur ascension, et face à ce blocage social, se replient dans l’opposition. La propagande janséniste fait son œuvre et ramène en son sein une noblesse de robe en difficulté et désormais rebelle au pouvoir monarchique (une partie d’entre elle, évidemment). Pour rappel, Pascal est très sceptique quant à l’idée de reconnaître la valeur des institutions et des lois de ce monde. Beaucoup de fragments insistent là-dessus.

→ L’auteur avance que le caractère tragique de ce jansénisme provient d’une part que la noblesse de robe se rebelle contre la monarchie, mais d’autre part qu’elle est dans l’impossibilité d’imaginer une autre situation que celle qui les a rendu rebelles. 

Sur Pascal spécifiquement :

→ L’auteur montre que Pascal, dans deux fragments très précis traitant directement d’épistémologie, se rapproche beaucoup de la dialectique, si ce n’est que ces fragments représentent déjà la naissance de celle-ci (ce sont les fragments traitant du rapport entre les parties et le tout). 

Toujours dans la même idée, L.G. dit que la raison du « cœur » chez Pascal est une exigence de synthèse des contraires de la même manière qu’est la « raison » au sens de Hegel et Marx (qui subsume « l’entendement » qui est la raison au sens des matérialistes classiques comme Descartes).

Enfin, certains fragments de Pascal concernant le pari se rapprochent de la praxis et des Thèses de Feuerbach en ceci que Pascal ne sépare pas l’action de la théorie à l’inverse des matérialistes mécanistes. Pascal dit : en cherchant Dieu, tu l’as déjà trouvé… En se mettant dans telle ou telle disposition de comportement, on peut alors trouver la vérité. Le rapport action – théorie est partiellement dialectisé. L.G. rappelle cependant que cette analyse repose sur seulement quelques fragments, donc c’est à prendre avec les pincettes.

→ Pour Pascal, le christianisme est la religion vraie car elle est contradictoire et paradoxale à l’image de l’humain. Surtout, elle propose des synthèses à ces contradictions, par exemple dans l’immortalité de l’âme et du corps. 

Sur Racine spécifiquement :

Il est étonnant que le public ait apprécié les pièces de Racine qui sont imprégnées de jansénisme, la classe sociale visée par le jansénisme n’allant pas au théâtre. Racine devait donc éviter que le public prenne réellement conscience des valeurs morales se dégageant de ses pièces. 

Phèdre est sa pièce la plus rigoureusement janséniste. Phèdre veut Tout ou Rien, elle exige l’utopie de l’harmonie absolue des valeurs face aux autres personnages qui représentent la banalité du moyen, du partiel.

En conclusion :

Il est réjouissant de lire une application d’une méthode réellement marxiste et dialectique, non dogmatique, à ce genre de sujet. Non seulement parce que nos chers dialecticiens adorent se masturber sur l’épistémologique de la dialectique et s’enfoncer dans des débats sans fins au lieu de s’attaquer directement à des études historiques dialectiques afin d’en prouver la pertinence, mais aussi et surtout parce que l’ouvrage est tout à fait convaincant… J’estime désormais comprendre Pascal non pas dans sa totalité – car ce serait prétentieux –, mais au moins ma connaissance de cet auteur tend vers ce point de vue (la totalité) qui est le seul moyen d’avoir une connaissance juste d’un sujet : le vrai est le Tout comme disait l’autre.

Seingalt
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le 30 oct. 2022

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