Le Cid
7.4
Le Cid

livre de Pierre Corneille (1637)

Qu’il est joli garçon l’assassin de papa

En étant une tragi-comédie, Le Cid s’inscrit dans une tradition du foisonnement diégétique, comme les romans. Mais dans le cas du Cid, Corneille épure cet habituel code du genre. Dans la tragi-comédie, on trouve de nombreux rebondissements qui appartiennent à un topique, c’est-à-dire à un des cas typiques de rebondissement (comme le topos de la reconnaissance romanesque). Le Cid ne tombe pourtant pas dans ce type d’excès, et se munit d’une unité et d’une tension dramatique réelle. En cela, Le Cid n’est pas une tragi-comédie typique et s’écarte du roman. Il n’en demeure pas moins que si le dramaturge a dû expliquer cette unité de péril, c’est qu’il en sentait la nécessité, notamment dans l’articulation entre le conflit privé et le conflit public. Par ailleurs, on a parfois questionné dans la pièce, au nom de l’unité, la présence et la fonction du personnage de l’Infante. Sa dimension essentiellement lyrique (elle n’agit pas, son action est toujours avortée ou est antérieure au champ d’action de la pièce) semble contredire le principe d’économie diégétique que la doctrine tragique et esthétique sont en train de bâtir à l’époque. Cette Infante, on a pu la considérer comme un personnage qui ne reflétait pas la nécessaire cohérence de l’histoire. Au fond, dans un tragédie classique parfaite, rien n’est utile : l’infante donne lieu à certaines des plus belles scènes, mais à aucune unité diégétique réelle (elle s’empêche de favoriser son amour pour Rodrigue). Par ailleurs, le romanesque ne se limite qu’à la saturation. Dans la diégèse d’un roman «romanesque » (le fameux « romance »), deux effets vont être très présents : la multiplication des effets de suspens, la valorisation de l’inattendu. Donc qu’en est-il de ces effets dans Le Cid ? D’abord, on peut voir une dramatisation que l’on peut définir comme une hyperbolisation des enjeux : de ce point de vue, Le Cid va pour le coup un peu dans cette direction, parce qu’on a souvent remarqué que chaque acte se clos sur un effet de suspens. Ensuite, on voit une valorisation de l’inattendu, de coup de théâtre (lol) : la querelle entre Don Diègue et le comte contredit et empêche par sa déflagration inattendue tout ce que tout le monde attend (l’annonce du mariage) ; les deux visites de Rodrigue chez Chimène constituent des effets de surprise (non seulement pour elle, mais aussi pour le lecteur/spectateur : une jeune femme honnête acceptant la présence du meurtrier de son père, oulalala).


Donc dans une certaine mesure, en ce qui concerne la querelle, Corneille a été pris dans son propre piège : voulant écrire une pièce régulière dans un caractère irrégulier, il doit faire face à des tensions d’une manière qui ne satisfait ni les jaloux ni les doctes. C’est donc sur la vraisemblance que la querelle va jouer alors même que le romanesque se définit justement par sa distance par rapport à l’expérience authentique du monde. Là où la réponse de Corneille sera intéressante au coeur de la querelle, c’est que, loin de se prévaloir du genre de la tragi-comédie, il va opposer le vraisemblable au vrai, c’est-à-dire la vérité historique ou du moins ce que le monde accepte dans ce qui s’est passé.

jerrej
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le 4 mars 2016

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