Rien qu’en lisant les quelques lignes situées sur la couverture de ce livre, je me suis posé la question. On m’avait prévenu, mais je ne pensais pas partager cet avis : Mike Horn est un être dérangé.

Ce n’est pas de la grande littérature et ce n’est pas de la poésie ; c’est le récit brut d’un exploit unique et insensé. Tout le monde a eu en tête, un jour ou l’autre, de faire « le tour du monde » : économiser de l’argent, prendre une année sabbatique, et se jeter dans vingt avions différents pour découvrir quelques endroits de notre planète. Le tour du monde à la voile, qu’il soit en équipe ou en solitaire, “ne consiste qu’à » partir depuis l’Europe pour faire le tour de l’Antarctique et revenir sur ses pas. Mike Horn est le seul homme jusqu’à présent à avoir effectué un « vrai » tour du monde, comme l’indique la couverture cette édition : il a suivi la ligne de l’équateur sur toute la circonférence de la Terre pour revenir à son point de départ. Soit 40 075 km. Ses deux seuls impératifs : ne pas sortir d’une bande de 40 kilomètres de part et d’autre de l’Équateur, et n’utiliser aucun moyen de transport motorisé.

Il est parti d’une plage du Gabon, sur la côte Ouest de l’Afrique, avec une coque de noix de 8 mètres de long pour rejoindre le Brésil. De sa vie, il n’avait navigué que trois jours sur le lac Léman. Après avoir remonté autant que possible le cours de l’Amazone, il laisse son frêle esquif et s’enfonce, toujours seul, dans la forêt amazonienne. Il y passera plus de deux mois, marchant même la nuit, à la lueur de la frontale, vers l’ouest. Pour se nourrir, il chasse et il pêche. Il se fera mordre par un serpent venimeux, il devra négocier son passage avec les FARC de Colombie, remonte en pirogue le cours d’une rivière… Une fois dans le Pacifique, il essuiera notamment une tempête qui détruira ses deux GPS. Il qualifie son escale pour traverser l’île de Kalimantan en Indonésie, recouverte elle aussi de jungle et de cobras tueurs, de « promenade ». Il reprend la mer, finalement, pour attaquer son troisième et dernier océan : l’Indien. Celui des moussons, des cyclones, des tempêtes en tous genres. Il pensait avoir le temps de le traverser avant que la saison de la mousson ne commence. Malheureusement, on ne négocie pas de rendez-vous avec la mousson : c’est elle qui fixe la date. Il se retrouve au beau milieu d’un ouragan, le vent soufflant à 120km/h dans une mer démontée. Il tente désespérément de ne pas chavirer, luttant sans dormir, ni boire, ni manger pendant 4 jours et 5 nuits. Après avoir réparé son bateau aux Maldives, il atteint enfin l’Afrique, la dernière étape. Il passe par la Somalie, le Kenya, l’Ouganda, le Lac Victoria, la RDC et le Congo. Outre les guerres civiles qu’il côtoie en RDC, il doit faire face aux miliciens de tous bords et négocier systématiquement son passage ; il manque de se faire tuer à plusieurs reprises. Enfin, le Gabon et Libreville, la plage d’où il est parti voici dix-sept mois.

Ce résumé aussi laconique qu’ahurissant, n’est qu’une version édulcorée des évènements vécus par Mike Horn. Il reflète pourtant ce qu’on nous livre dans ce récit : de simples faits. L’unique réflexion que l’on voit poindre lors de son voyage est la place de l’Homme dans la nature et la manière dont il la détruit inlassablement. Il est satisfait des bonnes rencontres, celles qui le nourrissent et qui l’aident, mais dénigre les autres, celles qui ne s’intéressent pas à son entreprise. Comment les en accuser, ces victimes de la guerre civile ou ceux qui luttent simplement pour survivre ? Au fil de la lecture, on est en droit de se demander si sa jeunesse en Afrique du Sud, du temps de l’apartheid, n’a pas façonné sa vision des choses.

« À chaque halte que je fais dans le moindre village, le premier geste des habitants est pour me tendre la main… non pour me la serrer en guise de bienvenue, mais pour me demander de l’argent.

- Donne moi de l’argent… Donne-moi de l’argent…

Pas un « bonjour », rien.

Moi, on m’a appris que l’argent, ça se gagnait. Si celui qui m’interpelle ainsi me proposait de laver mon vélo en échange de quelques pièces, ce serait avec plaisir. Mais non… […]

Si tant d’Africains ont fini par s’enfoncer ainsi dans la dépendance et la paresse, ça n’est pas entièrement leur faute, il faut bien le reconnaître. […] Qu’on n’aille surtout pas voir le moindre racisme dans mes propos. Ils expriment simplement la tristesse que j’éprouve devant ce que le monde a fait de ces hommes… que je considère comme mes frères. Car leur terre est aussi la mienne. […] En Afrique du Sud, j’ai grandi avec eux ; j’avais des amis parmi eux, apartheid ou pas. »

Mike Horn nous fait part de cette réflexion à la page 260, alors qu’il se trouve entre la Somalie et le Kenya. Il est bien connu que cette région du globe abrite des richesses extraordinaires.

Ce livre ne fera jamais partie des classiques du genre grâce au sens de la poésie de son auteur et de son nègre : les phrases sont pauvres, les images absentes, les réflexions clairsemées. Cependant, les faits sont là et ils transpercent les pages : chaque pas de plus, chaque kilomètre est d’une folie telle qu’il est impossible de s’arrêter de lire. On nous conterait une légende d’un héros grec, qu’il n’y aurait pas moins d’évènements ahurissants. Tout comme ces récits venus de l’antiquité, la lecture fatigue pourtant : on s’épuise à le voir lutter ainsi contre vents et marées, sans jamais se reposer, ou presque.

Plus les pages défilent, et plus on se rend compte de la place qu’occupe son objectif dans sa tête : rien ne doit l’arrêter, pas même la guerre civile, les morsures de serpent, la chaleur ou l’humidité extrême, les tempêtes… Il va même jusqu’à assommer et ligoter un homme en loques, qui a eu l’audace de l’observer installer son hamac. La question ne se pose même plus, après quelques pages : Mike Horn est fou. À exploit démesuré, personne démesurée. On ne peut s’empêcher de faire la comparaison avec Alain Bombard, ce naufragé volontaire qui s’était lancé dans l’Atlantique à bord d’un radeau à la dérive pour prouver qu’on pouvait survivre à un naufrage. Horn n’effectue pas un voyage « à la rencontre du monde », comme l’indique la première de couverture, c’est une prouesse sportive sponsorisée par de nombreuses entreprises.
PieroLow
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le 4 févr. 2014

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Pierre Lrnt

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