« Vous aimez les fées ? Vraiment ? Cela est étonnant, et fort imprudent, jeune fille. Les fées sont splendides et belles, majestueuse et magnifique, certes, pourquoi crois tu qu'on les appelle les Belles Gens, the Fair Folk, pour les peuplades de langue saxonnes. Les admirer, oui ; les envier, peut être, les aimer, comment le pourrait on ?

« Aimer les fées, c'est aimer la folie, la part d'étrangeté qu'il y a dans chaque être humains, c'est croire, envoûtés, que beauté et bonté sont synonymes ; c'est aimer la beauté d'une flamme, d'une flamme qui est prête a vous brûler dés que vous cesser de lui prêter attention. Car tel sont les fées ! Les Sidhs, à la terrifiante beauté, plus pesante que les chaînes qui retenaient l'Oeil Mauvais de Balor, plus brûlante que le fer qui s'abat sur la croupe d'une monture rétive, sont plus proche de la flamme que de l'homme... et comme tout incendie, il ne demande qu'a se répandre et tout consumer !

« Mais aimer les fées, c'est aussi aimer la folie et la part d'étrangeté qu'il y a dans chaque être humain, c'est savoir que beauté et création vont de paire, c'est savoir que sans la beauté qu'elles apportent au monde, le monde mourrait. Et là encore, tel sont les fées ! Elles vont vivre dans la plume du poète qui les aura aperçu au crépuscule, dans l'esprit du peintre qui, sans le savoir, va apposer son pinceau malhabile sur une toile ne leur rendant jamais justice, et sans elles, poètes, peintres, musiciens et bateleurs perdraient une part des rêves qu'ils donnent aux fils de l'Homme.

« En Féerie, le pire est souvent le meilleur et le meilleur devient le pire. En Féerie, tu peux devenir le plus grand musicien que la terre est jamais portée, être Ossian en personne, allant sur les chemins en chantant l'amour des fées, connaissant les chants qui font pleurer, rire et mourir, être Myrdhin et faire rêver les petits garçons devant ta magie, devant tes tours de passe-passe, tout en te dressant et tonnant contre les cieux. Mais tu peux aussi perdre la raison pour l'un de leurs jeux cruels, et Myrdhin, prisonnier dans la forêt de Brec'helean, rêve t'il encore de sa magie, immobile sous son tertre ?

« Que sont les Belles Gens pour toi ? De belles petites femmes avec des ailes de papillons ? De majestueux elfes prêts à te ravir de leurs chants glorieux, comme dans les récits du vieux fou d'Oxford ? Ou comme les fées de Cottingley, adorées par cet autre fou de Conan Doyle ?

« Tu parles ici du petit peuple, de cette dégénérescence de l'esprit des fées, de ce que sont devenues les fées à force de ne plus croire en elle. Oui, croire en elle. Les fées ont besoin que l'on croit en elles pour exister, comme toi tu as besoin que l'on croit en toi pour que tu puisse te dépasser, et donner le meilleur de toi-même. Non, crois moi, jeune fille, le petit peuple des korrigans, leprechauns et fées clochette est aussi semblables au Beau Peuple que les chiens le sont aux loups, que les chats le sont aux tigres !

« Que sais tu des fées, de leurs cours et de leurs royaumes ? Que sais tu de ces fées qui sont prêtes à te ravir le cœur, juste pour un instant, pour un instant ressentir ce que toi tu ressent, de celles qui sont prêtes à te tromper, à te mentir, à te tuer, juste pour le plaisir ? Et qui t'auront oublié, laissant ton corps froid et émerveillé dans la neige de décembre ?

« Ce que j'en sais, moi ? J'en sais plus que toi.
« Je connais les vieilles légendes, j'ai discuté avec les vieux, qui croient toujours aux fées et ne manquent pas de respecter les vieilles coutumes. Ils déposent devant leur demeure le lait qui éloigne, ils ont toujours du sel au fond de leurs poches, ils n'oublient pas, eux... Ils savent, oh oui, ils savent et redoutent les fées, mais ils les respectent pour ce qu'elles apportent au monde.

« Il y a longtemps, dans un rêve... ou bien étais-ce l'un de leur jeux, je m'étais assoupi dans la lande, au pied d'une pierre levé. A cette époque, les Belles Gens m'étaient inconnues, et je me moquais des superstitions des vieillards.
Je dormais, comme devait dormir un homme après une longue marche au milieu des teintes jaunes et pourpres de la bruyère. Je dormais, sans me soucier de l'heure ou de l'endroit. Nous étions au automne, alors que l'Hiver commence à envahir les terres. Sais tu qu'autrefois, la date du 1er jour de novembre étais le premier jour de l'année ? Sais tu aussi que ce jour là, les frontières entre les mondes sont plus ténues, plus fines et qu'on peut, au détour d'un chemin, croiser des êtres que l'on aurait mieux fait de laisser à leurs sombres pérégrinations ?
« J'aurai du faire attention à la date... j'aurai du faire attention à la lune, aux étoiles... J'aurai du savoir qu'on ne s'endort pas impunément dans la lande un jour de premier novembre, en un jour de rassemblement, Samhain dans l'ancienne langue gaël.

« Dans mon rêve, j'ai parcouru la lande, non plus à pied et lourdement appuyé sur mon bâton de marche, mais chevauchant de fantastiques montures, riant aux éclats devant la stupeur des paysans qui voyaient parfois passer notre fantomatique équipage ; j'ai accompagné les sidhs dans leur réjouissances bienheureuses, j'ai vu la beauté de leurs Dames alors qu'elles dansaient à la lumière du soleil, dans la clarté du Printemps Éternel des cours de Lumière. Tout n'était que splendeur et magnificence... Je voyais les pookas, chantés par le barde de Stratford, se livrer à leurs farces, farces parfois mortelles, quand les unseelies régnaient sous la lune. J'ai vu les reines de ces êtres, la reine Mab, évocatrices de rêves, t'en souviens tu, Mercutio ? J'ai vu Titania, au milieu de sa cour, enchantée par Robin, this merry wanderer of the night. J'ai vu le Daghda et j'ai vu Mananan, J'ai vu Lugh Samildanach et j'ai vu Morrigan...
« J'ai vu les Trois, les Nornes, les Moires et les Parques...

« Et je me sentais étranger, je voyais les regards de mépris, les sourires en coin. Alors, toujours dans mon rêve, je me suis enfui de cette cour féerique, désespéré de n'avoir été pour eux qu'un amusement passager, j'ai de nouveau erré sur la lande. C'est là que je me suis réveillé...

« C'est un cor qui m'a fait me sortir de mon lourd sommeil peuplé de rêves, un cor dont le son m'a glacé d'effroi, plus terrifiant que le hurlement du loup dans la foret, lors d'un hiver de famine, plus terrible que le rire du bourreau qui lève sa hache, plus mortel que le sourire de ta maîtresse qui se prépare à te poignarder.
« Et j'ai contemplé une sombre chevauchée, une sombre galopade, un sombre meute. Un veneur, homme terrifiant aux bois de cerf, menait ses bêtes, chiens et hommes, créatures terribles et inconnues, Sluagh sombres et assoiffés d'âmes, redcap couvert de sang et prêt a dévorer le cœurs et les entrailles de leur proies, des bean-sidhe hurlaient, annonçant la mort d'un pauvre malheureux poursuivi par la fureur des chasseurs, trolls et géants s'apprêtaient au festin !

« Je suis persuadé que le veneur m'a vu, et mon cœur se glace d'effroi à ce souvenir onirique. Connais tu la légendes de la Chasse, Jeune fille ? Alors prie de ne point en rêver. Elle apparaît dans toutes les légendes de nos contrées. Partout une chasse poursuit l'homme isolé, par amusement ou pour ses péchés, comme veulent le faire croire les prêtres du Crucifié ; Partout, Herne le Chasseur, Arawn, Oberon, Cernunos, Wotan, mènent leur chasse sur les noirs chemins du monde.
« Je me suis réveillé en hurlant sous ce regard de mort. Ce n'était qu'un rêve, un rêve à la fois merveilleux et cauchemardesque, comme les fées... Ce n'étais qu'un rêve... que j'espère un jour refaire, endormis à la lune, un jour de Samhain ou d'Imbolg...

« Alors, jeune fille, aime les Belles Gens, mais de loin ; Regarde les, mais ne t'en approche pas ; refusent leurs cadeaux, et défie toi d'eux. »



Dis au père Ryan de ne pas faire de prières
Pour mon retour, car je suis à ce jour,
Retranchée des bénédictions et au delà des anathèmes.
Il n'est pas de ciel la ou nous chevauchons.
A une allure impensée en vos écuries,
Avec les dieux de jadis et les fils de finn,
Avec les souveraines des anciennes fables,
Et les rois vainqueurs de ce que gagnent les épées.
Vous pouvez entendre notre cavalcade au dessus de vos toits,
Par des nuits aussi calmes que le tournoiement des planètes
Mais ne prenez pas a peine de quitter votre table
Pour appeler mon nom. Je n'entrerai pas.
Car je vous ai quittés pour le peuple des fées.
(Lord Dunsany)


(En bref, lisez ce livre, vous verrez
krieghund1974
9
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le 20 juin 2012

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