(Voici le premier d’une série d’articles consacrés à la métaphysique, c’est-à-dire à la question de l’être en général. Il sera abordé ici le problème classique du changement et de la permanence de l’être mais aussi de l’un et du multiple).


« [Le matérialisme] admet la possibilité de transformations miraculeuses, dans le genre des métamorphoses d’Ovide. La matière inanimée se transforme soudain en esprit. […] Il se produit parfois de brusques métamorphoses […] Il se peut que quoi que ce soit puisse sortir de quoi que ce soit. Que s’en suit-il ? La raison ne comprend pas la soudaineté ? » Léon Chestov, Le pouvoir des clés


Bonjour tout le monde.


Alors que je traînais sur YouTube, je tombe au hasard de mes recherches sur la vidéo d’un "zététicien" (Penseur sauvage). Au programme, sans surprise, la recherche de "biais" cognitifs en tout genre.


En l’occurrence, il s’agit du fameux "biais essentialiste".


Je vous relate (en gros) le passage en question :


« On peut s’interroger sur la curieuse formulation de la première prémisse [de l’argument cosmologique] :


"Tout ce qui a COMMENCÉ d’exister a une cause".


Cette conception de "commencer à exister" n’a rien de scientifique. Elle trahit une conception essentialiste du monde. Comme si lorsque des molécules d’hydrogène s’assemblaient elles provoquaient l’existence transcendantale du dihydrogène. […] Du point de vue de la physique il n’y a pas eu "d’apparition" ou de "commencement" de l’existence, juste une TRANSFOMATION chimique de la matière. »


Faisons encore appel à un zététicien. J’ai nommé Thomas Durand de La Tronche en Biais.


La biologie évolutive, nous dit-il, enseigne qu’il n’y a pas plus "d’essence" chez les organismes vivants que dans le monde de la chimie : les grandes classifications (espèce, genre, classe, etc.) n’ont aucune réalité objective. Ce sont des conventions subjectives datées de l’époque où le fixisme régnait en maître dans la discipline. Car que signifie le mot "évolution" si ce n’est justement un gradualisme faisant fi des anciennes classifications ?


Ouf ! Heureusement que les zététiciens sont là pour nous sauver des biais qui nous assaillent !


Eh oui, si vous étiez un minimum cultivé comme ces gens, vous sauriez parfaitement que des concepts comme le "commencement" ne sont pas des termes vraiment "scientifiques". Il existe plutôt une sorte de "flux" et par convention seulement on parle "d’hydrogène" ou de "dihydrogène", ou bien "d’espèces" animales.



La vérité du nominalisme



Tout cela est très sensé (ou pas du tout, on verra plus loin).


Nos "idées", nos "raisonnements", nos connaissances, sont effectivement le résultat de processus cognitifs se basant sur notre expérience. Or qu’observe-t-on ? Des choses particulières, changeantes et mouvantes. La pensée scientifique résulte des sens, et l’expérience est première dans tout raisonnement (empirisme de Hume). Les prétendues "essences", tirées de généralisations, ne sont qu’une convention illusoire. Du moins c’est ce que nous disent ces "scientifiques". C’est le nominalisme.


Imparable n’est-ce pas ?


Mais il y a un problème. Un gros problème.


Si ces deux zététiciens avaient un minimum de suite dans les idées ils devraient logiquement fermer leurs chaînes YouTube et se taire à tout jamais.


Pourquoi ?



L’erreur du nominalisme



Il faut déjà signaler que si l’on accepte sans examen les présupposés métaphysiques de la science moderne (causalité mécanique, matérialisme, mathématisme, voire théorie évolutionniste de l’esprit, etc.), il existe bien un "biais" essentialiste.


Ou alors c'est la science qui a un a priori nominaliste.


Reprenons.


Effectivement tout change. La question du changement (et de son rapport à une certaine permanence) fut historiquement une des grandes "énigmes" métaphysique.


Pourquoi je parle d’énigme ? Parce que c’en est une. Et vraiment très mystérieuse si vous voulez mon avis. On ne le voit d’ordinaire pas car la mathématisation et le mécanicisme de la science moderne ont plus ou moins résorbé les transformations qualitatives en de simples relations quantitatives. Des atomes qui se percutent.


Mais oubliez deux secondes tout cela (si si !).


Prenons, pour l’exemple, une chenille se transformant en papillon. Expliquez moi par quel miracle à un certain moment la chenille passerait de l’être au non-être (au néant) tandis que le papillon passerait du néant à l’être ? La "chenille" et le "papillon" arrivent et disparaissent comme ça, quand ça leur chante.


Autant attribuer au néant une sorte de pouvoir causal, un processus magique et obscur à la raison. Chesterton affirmait que « le mot [évolution], comme le concept, a quelque chose de lent, de modéré, de rassurant. Mais, en ce qui concerne ces questions premières, le mot n’a guère de sens et l’idée guère de substance. Personne ne peut concevoir comment le néant pourrait engendrer quelque chose. Personne ne peut améliorer l’état de la question en expliquant comment une chose en est devenue une autre. Il est beaucoup plus logique de dire qu’"au commencement Dieu créa le ciel et la terre", quitte à penser seulement qu’"au commencement une puissance inconnue entama des opérations invérifiables » (L’homme éternel).


Effectivement, la possibilité même du changement semble impossible et si on veut garder la raison il faut nier tout changement, c’est-à-dire ce que perçoivent nos sens. Ce qui signifie toute connaissance basée sur l’expérience (dommage pour messieurs les empiristes). C’est effectivement ce que disait Parménide. « L’Etre est, le non être n’est pas ». A part ça…


Ou alors vous faites confiance à vos sens et c’est votre intellect qui est défaillant : il n’existe pas de "chose" telle qu’une "chose", pas d’essence en gros, seulement un "flux" continu de tout et n’importe quoi. Tout s’écoule. La connaissance ne peut fixer un quelconque "être", qui est fuyant (Héraclite). Encore Chesterton, « Descartes disait : "Je pense ; donc je suis." Le philosophe évolutionniste renverse et nie l'axiome en disant : « Je ne suis pas, donc je ne peux pas penser. »


Fin de l’histoire. Tout le monde remballe. Fin de la chimie, de la théorie de l’évolution, de la science, de la vérité, etc.


Bref, il est plutôt ironique de voir des gens qui se veulent rationnels, objectifs, prétendant nous délivrer un "savoir" d’un côté, tout en sapant les fondements de toute connaissance possible de l’autre...


Résumons :


1. Le changement, par nature, semble opaque à la raison.


2. L’existence d’une certaine permanence, une essence, est donc nécessaire à la connaissance objective.



La vérité du platonisme (réalisme platonicien)



Platon dira qu’il existe des "essences" immuables dont les manifestations sensibles ne sont que des approximations passagères et illusoires. Nous avons des idées innées, des "essences", que nous percevons d’un "autre monde". Ce n’est pas des sens que vient la connaissance (empirisme) mais de l’intellect pur (rationalisme, théorie des "formes"). La pensée va au-delà de la sensation et l’imagination (des illusions) pour se hisser au niveau de l’abstraction.


Autant le dire tout de suite : Personne n’a jamais vraiment réfuté l’essentialisme (du moins dans une version très générique).


Pourquoi ?


Parce que, tout simplement, pour que les mathématiques, le langage, la science, les propositions sur le monde puissent avoir un quelconque sens objectif il faut nécessairement une théorie au moins semblable (la nuance est importante) à celle de Platon. Or tout raisonnement se base sur ce genre de chose.


Prenons par exemple le "rouge en soi" (au pif). Le nominaliste nous affirmera qu’il n’existe pas de "rouge en soi", seulement des couleurs diverses qui se ressemblent que l’on nomme "rouges". Mais à quel égard se ressemblent-elles si ce n’est justement… qu’elles sont rouges ?


De plus, comme l’avait noté Bertrand Russel, la notion même de "ressemblance" auquel fait appel le nominaliste est elle-même un universel. Sinon, comment ce terme pourrait-il avoir un sens général ?


En fait, les mots eux-mêmes sont des universels : quand je fais référence au "rouge" je n’ai pas ma propre notion subjective du rouge, et vous la vôtre, et untel une autre. Cela impliquerait que la communication est impossible puisque nous n’emploierions jamais les mêmes mots pour les mêmes choses !


Bref, le nominalisme, pour argumenter, devra faire appel à des universaux. Autant se taire.



L’erreur du platonisme



Toutefois, il faut être clair : c’est certes irréfutable mais on se demande si Platon ne déraillait tout de même pas un peu… C’est certainement ce que devait penser Diogène (un sceptique), proclamant qu’il avait déjà vu le "cheval" mais pas la "Chevalité".


Peut-on faire fi à ce point de nos sens, croire que nous avons une idée "innée" du rouge, que cette essence est objective et existe indépendamment du monde matériel et de notre subjectivité, dans un mystérieux "royaume des idées" ?


De plus, l’histoire des sciences montre amplement que la raison fonctionnant dans le vide, indépendamment de l’expérience, fait fausse route. Bref, vous je ne sais pas, mais moi j’ai bien la conviction que mes "connaissances" prennent au moins en partie appui sur mes sens, la perception.



La vérité du conceptualisme



Mais il y a un deuxième souci. Nous voyons bien que les "universaux" recèlent implicitement l’existence d’au moins un esprit. Le "rouge en soi" a-t-il un quelconque sens sans l’existence de l’esprit ? Evidemment que non.


Autre exemple. Si l’opération « 1 + 1 = 2 » semble immuable et objective (expliquez-moi comment cela pourrait ne pas être vrai) elle semble aussi dépendre d’un esprit : sinon, à quoi feraient référence les symboles « 1 » et « + » ? Ce ne sont que des signes conventionnels qui renvoient, au-delà d’eux-mêmes, à une opération de l’intellect. Simone Weil disait :


« Un et un peuvent rester côte à côte durant la perpétuité des temps, ils ne seront jamais deux si une intelligence n’opère pas l’acte de les ajouter. L’intelligence attentive a seule la vertu d’opérer les connexions, et dès que l’attention se détend les connexions se dissolvent. »


En gros, le conceptualisme prétend que les universaux existent bien dans l’esprit mais pas dans le monde. Une façon déguisée d’adoucir le nominalisme.



L’erreur du conceptualisme



On résout un problème pour tomber sur un autre. Un vrai casse-tête !


Ici, le problème semble assez évident.


En gros, à suivre le conceptualisme, la logique, les mathématiques, et les essences en général ne décrivent pas la réalité objective mais uniquement la façon dont la structure de nos esprits nous amène à réfléchir sur la réalité. Nos esprits sont en partie conditionnés par des circonstances sociales historiques et culturelles changeantes : les sciences, les mathématiques et le savoir en général sont-ils à ce point contingents et indépendants de la réalité objective ?


Si on veut éviter cela (une absurdité), on peut au moins, comme Kant, affirmer que cela reflète une structure nécessaire de l’esprit, non contingente, qui ne peut être changée en rien par une évolution biologique ou culturelle (ce qui reste assez mystérieux). Mais de toute façon, le subjectivisme total de cette position la rend tout aussi incohérente à défendre que les autres formes de nominalisme.


Voici l'énigme :


1. Platon montre contre le nominalisme que l’intelligence connait autre chose (à savoir des essences) que ce que connait la sensibilité. L’intellect ne se confond pas avec les perceptions et l’imagination transitoires. Le nominaliste n’a d’autre alternative que de se taire.


2. Le nominalisme prouve contre Platon que les essences n’ont aucune existence autonome dans un "autre monde" indépendant de l’esprit (conceptualisme) mais aussi de la matière et des sens (empirisme).



La vérité du réalisme aristotélicien



Il fallut toute la perspicacité d’Aristote pour concilier ce qui semblait inconciliable.


Avec Platon, Aristote professe la réalité des essences (Aristote est réaliste lui aussi). On peut donc fonder un raisonnement objectif qui ne sape pas ses propres fondements.


La différence avec Platon, c’est qu’il fait descendre ces formes depuis leur royaume autonome vers notre réalité. L’essence d’une chose (sa nature) est incorporée à un principe de changement, la matière. Nous avons ici les deux causes intrinsèques constituant la substance (la cause formelle et la cause matérielle). Le primat est redonné à l’expérience sensible, à la matière.


L’activité intellectuelle consiste alors à aller au-delà de la simple perception des choses, à saisir l’essence en soi (non mélangée) par l’intellect. L’essence n’est donc pas non plus indépendante de l’esprit.


Voilà, surtout, ce qui permet de rendre intelligible le changement : si quelque chose "change" (se "meut"), la raison n’en est évidemment pas le néant. Rien de magique. C’est que l’effet, en quelque sorte, est déjà contenu à l’état "potentiel" (en puissance) dans la cause. La capacité à "être changé" (de quelque manière que ce soit) est la propriété de la matière. Et c’est la forme (l’essence) – élément immuable – qui définit les potentialités réelles de l’objet selon sa nature propre.


Pour qu’un potentiel devienne actuel (le changement) il faut une troisième cause, cette fois-ci extrinsèque à ce qui est changé, la cause efficiente. Voilà le changement selon Aristote : le passage de la potentialité à l’actualité par une cause efficiente.


Au contraire, dans la science moderne mécaniciste, le changement est inintelligible. Car dans la substance elle supprime la forme, l’essence, et ne reste alors que la "matière", potentialité pure. Le principe de changement selon Aristote. Au XIVe, Occam avait tracé la voie, et son célèbre "rasoir" n’est pas étranger à l’affaire. Il ne faut pas multiplier les hypothèses inutiles. Chez lui, les "essences" sont un obstacle à la toute-puissance et à l’incommensurabilité de Dieu : il faut donc les supprimer. Les essences, tissant des liens entre les individus, semblaient donner au monde une certaine autonomie vis à vis de Dieu. Éliminées par le "rasoir", il en résulte une théologie plus épurée. Mais les essences étaient-elles inutiles ?


Retour à la case départ, au royaume des transformations magiques.


Cela est particulièrement frappant dans philosophie contemporaine chez les penseurs "spiritualistes" comme Bergson. Son nominalisme, combiné à son refus du matérialisme lui fait croire aux contes de fées. L’intuition de la durée, l’imprévisibilité, la "nouveauté" imprévisible, voilà le portrait du monde décrit dans L’évolution créatrice. Les métamorphoses d’Ovide, le secret de tous les systèmes de "création continuées".


Sinon on est mécaniciste et on se donne l’impression d’avoir réglé le problème en l’esquivant. Il n’existe pas de choses mais un flux de particules. Le changement (qualité) se transforme en mouvement (quantité).


Mais il ne peut, de toute façon, dans un cas ou dans l’autre, y avoir de science objective. Car c’est bien la nature ultime de la science qu’on interroge ici. Mais aussi de l’homme, de la morale, de la politique (je vous renvoie ici vers mon texte sur les théories politiques des Lumières, qui est justement en rapport avec la question des universaux), etc.


(PS : Je n’ai pas abordé ici la dernière des quatre causes aristotéliciennes, à savoir la cause finale. Elle aussi disparait dans la science moderne. Et pourtant, c’est la plus importante des quatre causes, et sans elle, absolument rien n’est intelligible. Un article lui sera consacré).



La nature de la connaissance et de l’homme



Quelle est la "nature" (entre guillemets) de l’homme ?


Le nominalisme, par son empirisme (son "sensualisme") ramène donc la connaissance intellectuelle de l’homme à une simple connaissance sensible. Les processus cognitifs de l’homme sont relativement plus développés que pour les animaux, sa connaissance (sensible donc) est donc supérieure à l’animal en degré mais non en nature. Il n’y a pas de discontinuité foncière entre l’homme et le règne animal.


Chez les réalistes, le sensualisme s’élève ensuite jusqu’aux essences – la nature des choses - et la connaissance intellectuelle ne se limite pas à la sensibilité, elle la dépasse. Il y a une différence de nature entre la connaissance humaine et animale. Discontinuité radicale entre l’homme et le reste des animaux.


Cette différence dans l’activité de notre intellect est très bien illustrée par une expérience de pensée célèbre. Le chiliagone est une figure géométrique, précisément un polygone à 1000 côtés. Pour les nominalistes, il est impossible de saisir le concept de chiliagone parce que notre imagination ne peut pas se le représenter (on ne peut avoir aucune image mentale du chiliagone qui soit distincte d’un polygone à 999 cotés ou 1001 cotés). Tandis que pour le réaliste, bien que l’intellect s’appuie sur les sens (car il faut tout de même savoir ce qu’est une "ligne", un "angle", etc.), il le dépasse : même s’il ne peut l’imaginer, l’intellect saisit très bien le concept de chiliagone (et le distingue d’un polygone à 999 cotés ou 1001 cotés). Concevoir et imaginer quelque chose sont deux choses distinctes.


Autre exemple : Pour David Hume il est possible de concevoir un objet sans cause, il suffit de l’imaginer. Par exemple, vous imaginez, je ne sais pas, qu’une boule de bowling apparaisse – bim ! – au milieu de la pièce où vous êtes. Pour un réaliste, au contraire, on peut certes l’imaginer, mais on ne peut le concevoir : il est plus probable que vous vous mettiez à chercher une mystérieuse trappe ou toute autre explication, même la plus improbable, plutôt que d’admettre un objet sans cause.



La nature de la science



Pour le nominaliste, la science, par nature subjective, consiste en la classification de choses selon leurs ressemblances. L’homme, contrairement à l’animal, possède le langage, pouvoir qui lui permet de nommer (d’où le nominalisme) les choses et de les regrouper avec des noms communs. Une sorte de taxonomie qui ne reflète rien d’objectif. Cela revient à reconnaître à la science (mais aussi à la morale) qu’une simple valeur pratique d’utilité, d’organisation de nos activités.


Pour le réaliste, la science, objective, consiste à reconnaître une même nature dans des êtres qui ne se ressemblent en rien (une même nature au-delà des sens). Par exemple reconnaître la nature d’eau ("l’eau en soi") derrière des phénomènes aussi variés que la neige, l’eau liquide, la vapeur ou la glace. Ou encore, la gravitation newtonienne consiste à découvrir la même nature dans des phénomènes divers comme la chute verticale d’un corps, la rotation de la lune ou le mouvement des marées.



Le chef de gare et son chien



Pour finir, je laisse ici un extrait d’un livre de Jean Daujat qui m’a bien aidé pour ce sujet (Y-a-t-il une vérité ?) et qui illustrera parfaitement La Querelle des universaux :


« Supposons par exemple qu’un chien appartienne à un chef de gare. Il a souvent vu et entendu des locomotives et certainement sa connaissance sensible possède une image commune des locomotives qui lui permet de reconnaître une locomotive quand elle arrive en gare. Cette image commune est constituée par les caractères physiques et sensibles communs aux locomotives et on pourrait l’exprimer par une description en disant : quelque chose de massif et de noir qui siffle et qui fume. Cette description est faite ainsi de couleurs, de sons, d’odeurs, elle parle à la vue, à l’ouïe, à l’odorat, à la sensibilité. Il est possible aussi que le chien du chef de gare connaisse et comprenne le mot « locomotive » et que par exemple il se précipite en aboyant quand on lui dit : « une locomotive ». Ce chien a donc une image commune désignée par un nom commun : – pour le nominalisme l’idée de locomotive se réduirait à cela et il n’y aurait alors, en ce qui concerne la connaissance des locomotives, aucune différence entre le chef de gare et son chien.


Supposons maintenant qu’un jour on électrifie le réseau et qu’arrive en gare une locomotive électrique. Elle n’est pas noire, elle ne siffle pas, elle ne fume pas : au point de vue physique et sensible, pour la vue, l’ouïe et l’odorat, elle n’a aucune ressemblance avec une locomotive à vapeur et le chien du chef de gare ne pourra certainement pas reconnaître une locomotive. Mais le chef de gare dira : « C’est une locomotive », parce que son intelligence a reconnu, non point l’aspect extérieur physique et sensible, mais la nature de la locomotive, ce qu’il exprimera, non point par une description, mais par une définition, en disant : « Une voiture motrice mouvant un train de voitures mues ». Ainsi l’intelligence a reconnu une même nature en ce qui n’a aucune ressemblance au point de vue physique et sensible. »

P-b
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le 16 avr. 2023

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P. b.

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