… "J’avais accepté car personne ne refuse l’invitation d’un artiste
dans son atelier."



Lorsque le photographe animalier Vincent Munier proposa à Sylvain Tesson de l’accompagner par-delà les hauts-plateaux tibétains, on imagine aisément celui-ci répondre en un clin d’œil à la promesse d’une nouvelle aventure. Car on connaît désormais chez notre cher écrivain, toujours en quête d’une escapade sur les crêtes du monde, ce besoin vital d’aller se frotter contre la nature sauvage pour insuffler en lui la matière première nécessaire à l’écriture d’un livre.


L’objectif du voyage ? La panthère des neiges. Elle n’a pas disparu pensa-t-il ? C’est ce qu’elle fait croire lui répondit l’artiste…


La Panthère des neiges, sorti le 10 octobre dernier aux éditions Gallimard raconte donc le dernier périple de Sylvain Tesson. Le livre prend dès les premières pages des allures de traque espiègle pour trouver l’animal menacé d’extinction, gardien des montagnes et chasseur embusqué. Mais Vincent Munier tempère rapidement l’entrain excessif de l’auteur. Le félin ne se donne pas à tout le monde, il faut mériter son observation, savoir patienter des heures et des jours dans le froid et sous les bourrasques pour une hypothétique apparition. Le seul moyen « d’appâter» sa venue étant L’affût, la technique immémoriale du prédateur silencieux qui veut tuer sa proie. Bien évidemment l’appareil photographique jouant ici le rôle pacifique du fusil meurtrier.


Sylvain Tesson a un tempérament frénétique. Dissimuler son corps dans le paysage sans mot dire fut une sacrée gageure tant l’écrivain a la gigote en toutes circonstances ainsi qu’une propension abusive à la discussion légère et spontanée. Il dut renfrogner son caractère expansif, l’enfouir sous les roches et le dérober dans les grottes, couvertures minérales de premier choix pour le voyeur cherchant un abri devant le regard accusateur du fauve. C’est uniquement à ce prix que la panthère daignera sortir le museau des glaces. Cette initiation à l’art séculaire de l’affût éveillera en lui des développements spirituels encore insoupçonnés. Ralentir le temps, il l’avait déjà expérimenté Dans les forêts de Sibérie. Il génère à travers La Panthère des neiges une toute autre métaphysique: plus poétique, plus mystique plus… Intime. À croire que l’attente en tête à tête avec soi-même, ceinturé par des conditions climatiques extrêmes, combinée à la prière sourde d’un surgissement bestial conféra à l’écrivain un pouvoir de conteur jusqu’alors inaccessible.


« Au tout, tout de suite de l’épilepsie moderne, s’opposait le sans doute rien, jamais de l’affût». La récompense est dans la possibilité, pas dans la finalité nous dit-il. Pendant ces phases de méditation attentive, Sylvain Tesson se livre comme il l’a rarement osé dans ces écrits précédents. Il parle de sa mère avec des mots qu’on sent rigoureusement choisis, collectés avec précision afin de ne pas dénaturer la force du sentiment ressenti sur le moment. Ils sont chargés d’une émotion éclatante pour celle qui le quitta il y a seulement quelques années. Il ira même jusqu’à voir en la panthère sa réincarnation: une silhouette agile et fugace, imperceptible mais présente. Elles partagent toutes deux des traits aiguisés et souverains. Et lorsque celle-ci survient au sommet d’un col, fantôme des vallées glaciales, ce n’est rien d’autre que sa mère qui lui rend visite…


Croire réconforte. L’écrivain compose sa galaxie intérieure par rapport aux éléments naturels. Il voit, associe, imagine et traduit. Il se fait l’interprète contemporain d’un animisme ancestral, furetant dans la symphonie parfaite de l’adaptation des éléments organiques à près de 4000 mètres d’altitude et sous moins 30 degrés, le geste d’un esprit supérieur, oublié dans nos sociétés postmodernes dégagées de toute transcendance. Sylvain Tesson pérennise notre lien avec l’animal, la pierre et le vent.


Récemment auréolé du prestigieux Prix Renaudot, notre «écrivain national» comme le titrait le magazine Le Point la semaine passée conforte plus que jamais sa place parmi les auteurs qui comptent aujourd’hui.


Après tout… Comment douter de l’exceptionnel talent d’un homme qui affûte son crayon pour raconter un monde sous des latitudes où le commun des mortels souffre de la raréfaction de l’oxygène ?

Liverbird
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le 15 nov. 2019

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