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Là où tout se tait est et restera sans doute le livre le plus bouleversant de l'année 2021. Jean Hatzfeld en a écrit des bouquins sur le génocide rwandais et est sans doute le journaliste français le plus pointu sur le sujet. Mais là, il dévoile l'un des aspects les plus méconnus et les plus passionnants du génocide le plus efficace et le plus rapide de l'Histoire : la condition des très rares Hutus à avoir résisté à la folie meurtrière ambiante pour avoir secouru les Tutsis. Ces Justes comme Hetzfeld les appelle sont bien rares et pour cause, le génocide a été trop rapide, trop structuré, trop totalisant pour laisser aux individus le temps de réfléchir ou de résister, d'autant plus que les Hutus modérés risquaient autant leur peau sur le moment que les 800 000 Tutsis assassinés. Là bas, ils semblent faire l'objet d'un curieux tabou : une donnée aberrante pour les Tutsis, ce qui est compréhensible étant donné que contrairement à de nombreux crimes contre l'Humanité, toute la population civile a été mobilisée pour ratisser les terres agricoles du Rwanda et pour couper tous ceux qu'ils croisaient, mais une honte aussi pour les Hutus qui les considèrent au pire comme des traitres opportunistes, au mieux pour des couards. C'est dans ce silence assourdissant que se niche la plume colorée de Jean Hetzfeld et sa capacité à faire naître la parole des hommes : pour donner la possibilité à ceux qui ont sauvé, ont été sauvés ou encore ont vu le sauvetage de poser des mots sur ce qui reste ineffable. Pour rendre l'honneur et la dignité aux Hutus valeureux : Isidore Mahandago, Eustache Nyongira, Claudette Mukando, Marcel Sengati, François Karingare, Valérie Nyirarudodo et tant d'autres. Il est impossible de comprendre ce qui a bien pu se produire dans les consciences de ceux qui, manipulés sans doute, ont assassiné, mais plus difficile encore de savoir ce qui a pu dans la conscience de ces Justes permettre la résistance qui était quasiment synonyme de suicide. Par amour pour certains, par principe pour d'autres, par foi religieuse aussi, toutes ces raisons sonnent creux à la lecture du roman qui jette le trouble sur ceux qui, morts ou vivants, tellement rares, ont choisi la bifurcation de l'Humanité et qui paraît finalement ténue et si inexplicable, dans ces jours où la condition humaine n'avait plus de sens et où le nettoyage ethnique dans toute son horreur, qui frappait tout le monde sans distinction et qui s'est déchaînée aussi vite qu'elle s'est arrêtée, laissant chacun hagard et saoul et qui questionnera sans doute ceux qui l'ont vécu pour le restant de leurs jours, a été franchement totalitaire. Les cérémonies officielles, les procès internationaux et même les romans les plus magnifiques ne pourront rien y faire : le pardon semble impossible et très étrangement, alors que le génocide est très bien documenté, ce qui s'est passé au Rwanda semble rester un effroyable mystère. Hetzfeld touche là encore cette impossibilité de dire, de voir, de comprendre du doigt : un recueil de témoignages absolument magnifique.

PaulStaes
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le 6 mars 2021

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