Citation de Jean-Pierre De Muylder



Ben oui, ce sont des choses qui arrivent : je n’avais encore jamais lu un ouvrage de Joyce Carol Oates ! Tous ses bouquins, depuis 70 ans, me sont passés sous les yeux sans que je les voie. On va corriger cette lacune, avec son soixantième roman "La nuit. Le sommeil. La mort. Les étoiles". Une grande saga familiale autour d’un drame : la disparition brutale du chef de famille laissant une veuve et cinq enfants (adultes) complètement désemparés.


Faut-il la présenter ? Joyce Carol Oates est née en juin 1938 à Lockport dans l'État de New York, c’est une femme de lettres américaine, poétesse, romancière, nouvelliste, dramaturge et essayiste. Elle a également publié plusieurs romans policiers sous les pseudonymes de Rosamond Smith et Lauren Kelly.
Elle sort diplômée de l'université de Syracuse en 1960, puis obtient une maîtrise universitaire en Lettres de l'université du Wisconsin à Madison en 1961. Elle commence à enseigner brièvement à Beaumont, au Texas, puis, en 1968, à l'Université de Windsor, en Ontario, au Canada. Dix ans plus tard, elle décroche un poste de professeur en création littéraire à l'université de Princeton, dans le New Jersey. Elle enseigne dans cette institution jusqu'en 2014.


Peu prolifique, elle n’a rédigé que :
- 62 romans (dont 11 sous pseudonymes),
- 11 nouvelles,
- 42 recueils de nouvelles,
- 9 pièces de théâtre,
- 10 recueils de poésies,
- 9 recueils pour la jeunesse,
- 18 essais et mémoires.
- J’ai oublié la suite…
Sur SensCritique, j’ai dénombré 120 ouvrages signés ou cosignés Joyce Carol Oates.


Que nous raconte-t-elle cette chère Joyce (Vous permettez que je vous appelle Joyce ?). L’histoire d’une famille américaine, de nos jours, vivant dans l’État de New York, à Hammond. D’après le livre, il semble que ce soit une ville de taille moyenne (dont le lycée du "district scolaire riche de North Hammond" accueille au moins huit cents ados). Alors que d’après Google, la Ville de Hammond (The Town of Hammond is in the northwestern corner of St. Lawrence County) serait plutôt une agglomération d’à peine 1200 âmes, à proximité du fleuve Saint-Laurent et du lac Ontario.
Peu importe, nous sommes dans la fiction pure.


La famille comprend le père, John Earl McClaren, 67 ans, dit Whitey, la mère Jessalyn, 61 ans, et leurs cinq enfants (trois filles et deux garçons) par âges décroissants : Tom (39 ans), Berverly, Lorene, puis Virgil et Sophia (28 ans).
Chaque personnage est tracé avec précision, détails et authenticité, c’est toi, c’est moi, c’est quelqu’un que l’on connait. Nous ne sommes plus dans la fiction mais dans la vraie vie, quand bien même chacun serait-il un peu trop caractéristique, un peu trop typé, un peu trop exagéré. Voire caricatural. Et pour ce faire, l’autrice a pris son temps, s’est mise à l’aise en s’allouant plus de 920 pages pour bien traquer chaque personnage. Ce qui entraine, inévitablement, des longueurs.
Whitey, l’ancien maire de la ville de Hammond, est le notable aimé, craint et respecté par tous. Il vient de mourir des suites d’un AVC dramatique plongeant la famille dans la tristesse et le désarroi le plus absolu.
Sa veuve, Jessalyn, a toujours vécue dans l’ombre de son mari « Jessalyn était depuis si longtemps l’épouse et la mère parfaite, invisible. Si heureuse de vivre pour les autres qu’elle n’avait quasi pas de vie. » Oui, mais… « Elle avait épousé l’homme qui l’aimait. Elle s’était réjouie de l’amour de cet homme, s’était laissé adorer comme une femme autre qu’elle était, et était devenue cette femme pour plaire à l’homme qui l’aimait. »
Quant aux rejetons, Tom est l’aîné, l’héritier, « le tyran, dont vous pouviez trouver les sarcasmes drôles quand ils ne vous visaient pas », mais, sans l’appui paternel, ne serait-il pas un peu lâche et désorienté ?
Beverly, la mère de famille, envieuse, hystérique, belle et gourde : « Fais comme si tu avais un cerveau, Maman, d’accord ? »
Lorene, la maîtresse d’école sardonique, "Mme Gestapo", proviseur de lycée « aussi dure et asexuée qu’un navet. » Prétentieuse, despotique, intransigeante, jalouse et rancunière, névrosée et paranoïaque, sans cœur et sans âme…
Et que pensent ces trois aînés des deux derniers ? « En tout cas, il est évident que Sophia était un accident. – Et Virgil. À la façon d’aînés certains d’avoir été voulus par leurs parents, ils rirent comme des conspirateurs. – Virgil n’est pas seulement un accident, il est une aberration. » « Un trouble neurologique, voilà ce qu’a Virgile. Il lui manque une partie du cerveau. »
Oh, la belle fratrie …
Après relecture il apparait qu’il faille quand même souligner le thème principal du livre, même si initialement je voulais le laisser découvrir : il s’agit pour les enfants, bouleversés par la disparition brutale du chef de famille, de "protéger" leur mère qui, la pauvre, doit être la plus détruite, la plus dévastée par ce deuil subite...


En toute honnêteté, je me suis demandé ce que je fabriquais là ! Tout le monde à l’air de trouver merveilleux cette sombre chamaillerie familiale. Je n’ai aucun goût pour ces trucs qui trainent en longueur et racontent des histoires qui ne nous concernent pas, où bons nombres de protagonistes sont débiles ou hystériques (ou les deux à la fois). J’ai eu le sentiment de me trouver devant une mauvaise série TV que j’aurais dû abandonner depuis longtemps mais que je persistais à regarder par négligence ou, malgré-tout, pour savoir comment ça allait finir. Il parait que « Joyce Carol Oates est cette énigme, une autrice qui marque, décennie après décennie, l’histoire littéraire et échappe, aussi régulièrement au prix Nobel qui aurait pourtant dû, depuis longtemps, couronner son œuvre (*) », je serais surpris que ce livre-là le lui confère.


Néanmoins un passage a retenu mon attention évoquant, pour moi, la leçon d’un professeur de peinture que j’ai eu, en tant que peintre amateur, qui nous martelait que « lorsque vous peignez une pomme, vous ne peignez pas une pomme… vous peignez un tableau ! ». Ainsi lorsque Jessalyn, visitant une exposition de photographies d’art, a vu celle, troublante, intitulée "Veuve", représentant la silhouette d’une femme éplorée, penchée sur une tombe, elle a trouvé cette œuvre tout à fait pathétique et extraordinaire, jusqu’au moment où, tout à coup, horrifiée, elle s’est reconnue dans le personnage photographié. S’en ouvrant à Virgil, la seule personne un peu sensée de la famille, celui-ci lui a expliqué qu’« une photo est une œuvre d’art, Maman. Une photo n’est pas la vie. Aucune œuvre d’art ne devrait être confondue avec la vie. […] Cette silhouette sur la photo n’est pas toi. […] La photographie représente "une veuve", pas toi. » Une notion généralement difficile à admettre. Serait-ce aussi difficile s’il s’agissait d’une huile ? (Même peinte d’après photographie ?)


Enfin, bien sûr, on ne peut passer sous silence le message de l’auteure pour dénoncer le racisme des forces de police aux États-Unis, et la lutte des classes, plaçant le lecteur devant les contradictions de la société américaine. Le suprématisme blanc omniprésent, faisant ainsi le portrait d’une nation en pleine crise identitaire, encouragée en permanence : une interrogation sur Wikipédia donnera pour Hammond les inévitables pourcentages raciaux de la population (The racial makeup of the town was 97.18% White, 0.50% Black or African American, 0.66% Native American, 0.17% Pacific Islander, 0.25% from other races, and 1.24% from two or more races. Hispanic or Latino of any race were 0.33% of the population.). Pas évident de faire des comparaisons avec des villes françaises, par exemple… Où, malgré tout, le racisme n’est pas absent.


Il est amusant de voir l’érosion de la note attribuée au fil de la lecture, heureusement limité à quelque neuf cents pages… au premier quart, j’étais gaillardement à neuf sur dix ; au tiers, à huit ; à la moitié du livre, j’envisageais un sept, bien payé ; aux trois quarts j’hésitais entre cinq ou six tant la lassitude se faisait sentir. Enfin, arrivé au point final, un quatre ou un cinq me paraissait encore bien suffisant, ayant trébuché, à mon tour, sur le dernier chapitre. Il m’a fallu relire le papier de DIACRITIK (*) pour me convaincre de ne pas être trop sévère et d’attribuer, généreusement, un six, malgré la fatigue et mon désamour.
Je suis certainement passé à côté de ce long fleuve, pas toujours tranquille.


(*) https://diacritik.com/2021/12/10/joyce-carol-oates-la-mort-transforme-le-connu-en-inconnu-la-nuit-le-sommeil-la-mort-les-etoiles/

Philou33
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le 22 janv. 2022

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