"La Nuit du Faune" est un roman de science-fiction écrit par Romain Lucazeau et publié en 2021 dans l'excellente collection Albin Michel Imaginaire.
Polémas le faune, entendez là le bon satyre (qui se faisait récemment shooté dans la nouvelle du même nom de Joe Hill), gravit une montagne pour atteindre le point lumineux dominant son sommet et a priori habité par un Dieu. De Dieu, il n'en trouvera pas (ni là-haut, ni ailleurs), mais il rencontrera Astrée: fillette vivant dans sa forteresse de solitude, simulacre d'une vie d'antan, depuis plusieurs centaines de milliers d'année. Dernière héritière de sa race, elle accède à la demande du faune: elle lui portera la connaissance du cosmos, au détriment de ses espoirs individuels et en tant qu'espèce. Car Astrée est catégorique: en découvrant les apogées et décadences des civilisations passées, Polémas ne pourra plus que contempler le reste de sa vie (et arrêtera donc de pousser son rocher au sommet de la montagne).
Le récit tient franchement du conte philosophique et vient rapidement cerclé le lecteur d'une aura poétique, à la fois philosophique et durement scientifique, de telle sorte qu'on aura vraiment l'impression d'être le troisième membre du voyage (me sentant plus proche de Polémas que d'Astrée à titre personnel).
Il est probablement important de souligner la rigueur scientifique du récit, d'où sa qualification de hard-sf dans les milieux savants. Ne lisant que peu de SF, je leur fais une absolue confiance, sans conteste que le ressenti est là: le bouquin est riche, fait danser des dizaines de concepts et théories, et la prose (certes alambiquée mais) poétique de Lucazeau fait tranquillement passer tout ça. Et vient alors l'émerveillement.
De façon factuelle, il est annoncé un "voyage" gagnant en ampleur, au moins à dix reprises, jusqu'aux confins de l'univers et de l'entendable. Autant dire qu'on s'y attend donc, mais alors il vous sera franchement difficile d'y être préparé. Sorte de récit holistique, synthèse d'un SF prolixe et diverse, on va en voir de toutes les couleurs tandis que l'intellect part aux triple gallot.
Et on assiste donc, sidéré et ébahi, à cette espèce de bascule intellectuelle et sensorielle: l'avènement de concepts gigantesques englobant temps et espace, tandis que religion, déterminisme, individualisme, civilisation s'effondrent dans une vague neutralité cosmologique. Et il y a finalement peu d'autres choses à dire: tout réside ici. Dans ce changement d'échelle, confinant à l'inconcevable, venant, malgré une prose lyrique et mielleuse, rouster dans les règles de l'art un lecteur déjà blasté.
Alors, on n'enlèvera pas que la prose de Romain Lucazeau peut émerveiller autant qu'elle peut rebuter. Il sait être abscons, enroulant ses explications d'une syntaxe riche et plombée. Intervient alors une certaine résilience à ces espaces "incompris", n'empêchant finalement ni l'émerveillement, ni le plaisir de lecture.
Bien sûr, je vous conseille "La Nuit du Faune". C'est excellent et cela fera probablement référence à l'avenir, tant ce bouquin semble synthétiser ce sentiment inaltérable et entropique du lecteur de SF à revenir à ses classiques.