Ce livre est souvent présenté comme une véritable référence de la SF française, et son auteur souvent acclamé comme étant un des auteurs francophones les plus emblématiques. En tant que grande consommatrice du genre, je suis pourtant passée à côté de ce livre pendant de nombreuses années. J’en entendais évidemment beaucoup parler, mais je ne m’étais jamais penchée sur la question. Il s’agit donc là de mon premier livre de Barjavel, et de mon dernier. Souvent présentée comme la « plus belle histoire d’amour » et comme un « chef-d’œuvre », j’ai évidemment entendu énormément de critiques dithyrambiques à propos de cette histoire. Ayant trouvé un exemplaire en farfouillant dans la bibliothèque de mes parents, je me suis dit « ah bah oui, il est enfin temps ! », et voilà une belle erreur. J’aurais dû laisser ce livre à sa place, sous la poussière et les toiles d’araignée. 


D’un point de vue purement littéraire, l’écriture est plate, presque journalistique, inintéressante. Les dialogues sont absolument mornes, presque moribonds, ils manquent de vie et de réalisme. La première moitié du livre est absolument soporifique, la deuxième d’un intérêt discutable. Rien dans cette histoire n’a su capter mon attention. Les personnages sont caricaturaux, plats, et trop nombreux. 


Cependant, le cœur du problème se trouve bien dans la misogynie gluante et dans le racisme puant du livre. Des femmes qui n’existent que pour être belles et… c’est tout. Il y a exactement deux (2) personnages féminins dans ce livre, et elles n’existent que pour leur beauté et pour leurs relations aux hommes. Elles se prennent des réflexions, des blagues misogynes, ne sont pas respectées, ne sont jamais vues comme des êtres humains dignes de l'égalité. Elles sont intelligentes, mais toujours moins intelligentes que les hommes, attention ! Leur seule valeur repose dans leur relation avec leur homme, logique ! Elles sont dénigrées, dirigées, doivent se soumettre aux hommes. Elles ne sont ni qualifiées, ni réfléchies, elles pleurent, ne sont qu’émotions. Éléa est magnifique (on finit par le comprendre à la 50 000e description de ses formes généreuses, de ses grands yeux presque irréels et du sex appeal qui dégouline par tous les pores de sa peau) et c’est tout. Puisqu’on parle d’Éléa, parlons de la société dans laquelle elle est née ! Cette société géniale, super développée grâce à l’énergie perpétuelle, avec sa super science et son langage genré (bah oui les hommes et les femmes ne parlent pas la même langue, faut pas déconner, on mélange pas les torchons et les serviettes) dans laquelle l’homosexualité n’existe pas (un couple c’est un homme et une femme, et c’est décidé à vos 7 ans, bah oui logique) et où les femmes se baladent nues, mais pas les hommes (faut pas déconner !)… Vive la modernité ?


Petits exemples des moments qui m’ont donné envie de m’arracher les yeux : 

« L’Ordinateur a choisi les femmes pour leur beauté et leur santé, et bien entendu aussi pour leur intelligence. Il a choisi les hommes pour leur santé et leur intelligence, mais avant tout pour leurs connaissances. » Ah ? D’accord ? « Sois belle et tais-toi », on a compris ! Pourquoi choisir une femme sur les mêmes critères qu’un homme quand on peut en prendre une avec des seins magnifiques ?

«  Elle comprenait Higgins, Hoover, Léonova, Lanson et sa caméra sans film, l’Africain Shanga, le Chinois Lao, le Japonais Hoï-To, l’Allemand Henckel et Simon. » L’Afrique est devenue un pays, chouette ! Première nouvelle. 

« — Quoi ! Vous ne l’avez pas reconnu ? Vous, une femme ?... C’est de l’or !... » Je suis MORTE de rire. 

« Certains et certaines ne portaient qu’une bande souple autour des hanches. Quelques femmes étaient entièrement nues. Aucun homme ne l’était. Les visages n’étaient pas tous beaux, mais tous les corps étaient harmonieux et sains. Tous avaient, à peu de chose près, la même couleur de peau. » Chouette ! La société parfaite contient donc : des femmes nues (mais pas les hommes), absolument 0 personne de couleur, 0 personne grosse, et 100% de gens pas trop moches !

Et encore, je vous épargne le moment où il nous explique que les « Noirs viennent de Mars »… Ah et les grands méchants sont en réalité les ancêtres des Natifs Américains ! Ce peuple qui a subi un littéral GÉNOCIDE ouioui !

Je vous épargne également la scène de sexe la plus douloureusement écrite par un homme, terriblement gênante. Ah et aussi les moments où Léonova se prend plusieurs mains aux fesses non-consenties, mais que « c’est ok, parce qu’elle est amoureuse du gars à la fin ! »... Sans parler du protagoniste le plus gênant de l’histoire qui s’invente une relation à sens-unique avec une femme qu’il ne connaît pas, mais qui est tellement beeelllleeeeeeee, vous comprenez. Il passe presque l’intégralité du livre à mater son corps nu, sans aucun remord, parce qu’elle est beelllllleeeeee… et parce qu’elle passe pratiquement tout son temps nue, évidemment ! 

Pour continuer sur Éléa, le seul moment où cette femme fait un choix et parvint à le mettre en place c'est quand elle se suicide. Le reste du temps, elle ne dispose ni de son propre corps ni de ses propres choix. Son consentement, on s'en fout ! Elle ne veut pas entrer dans la graine pour y dormir et être obligée de repeupler l'humanité à son réveil ? On s'en fout ! Madame a un utérus, madame est belle, alors madame doit obéir et écarter les cuisses. Coban et Païkan décident de TOUT à sa place, parce que son avis à elle : on s'en fout. Après tout, qui est-elle pour décider de ce qu'ELLE veut faire ? Toute cette histoire aurait été plus simple si Coban était parti à la recherche d'une femme consentante.

Et pour ce qui est de « la plus belle histoire d’amour », j’ai lu de meilleures histoires d’amour dans des fanfics écrites par des adolescentes. Lisez Roméo et Juliette, vous vous épargnerez plusieurs heures de souffrance. Dernier détail important : la prochaine fois que je lis un livre avec autant de descriptions des poils pubiens d’un personnage, je le brûle directement. Éléa a visiblement un travail important dans sa société, mais on s’en fout puisqu’elle a un « gazon doré » à portée de main qui capte visiblement l’attention de Simon. 


Je veux bien prendre en compte l’argument du « mais il a été écrit dans les années 1960 » nananinanana, allez pleurer ailleurs. Les cerveaux des femmes n’ont pas été inventés en 2012 et j’ai lu des livres écrits au Moyen Âge moins misogynes que ce torchon. 


En conclusion, je mets l’adoration des lecteurs pour ce livre sur le compte d’une lecture quand ils étaient adolescents. Je refuse de croire que l’on puisse lire et adorer un livre où une civilisation super avancée décide de sélectionner un homme sur des critères d’intelligence et de santé, mais de choisir une femme sur sa beauté. Je n’ai jamais autant détesté une lecture de ma vie. C’était absolument misérable, je pense qu’il faut savoir laisser des livres dans le passé, celui-ci a particulièrement mal vieilli. S’il était possible de mettre 0 étoile, c’est ce que j’aurais fait.

EmmaMaub
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le 14 avr. 2024

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Emma Maub

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