Les autres senscritiqueurs parlent unanimement d’une écriture de la spontanéité, parfois expéditive, servant un récit balisé et sans surprise. Ce qui est vrai. Mais là où nous tombons en désaccord, c’est de se dire : « pourquoi pas ? »
Car suffit-il qu’un récit soit balisé pour en ôter la qualité intrinsèque ? Faut-il forcément qu’originalité soit synonyme de qualité ? André Breton, en tout cas, nous a bien convaincu du contraire.


Car même si globalement ce récit de maison hanté n’offre aucune réelle surprise, il n’en demeure pas moins sanglant et viscéral à l’extrême, et nous rappelle bien que la littérature fantastique est aussi une littérature d’image. Et là, Matheson nous sert prodigalement : la sensualité exacerbée autant que la violence occasionnelle et d’autant plus intense prennent aux tripes, ne serait-ce que pendant la deuxième partie du roman. Bien que lent dans le décompte des jours et des heures, et sans trop de profondeur psychologique par le point de vue externe employé, la plongée dans l’horreur est bien réelle et poignante.


Chaque personnage, aux motivations claires et aux caractères bien définis, en a pour son compte ; la maison hantée se révèle progressivement assez archétypale dans ses cas de possession, sans en ôter de la violence. De la bestialité sexuelle pour les uns, des tentatives de suicide pour les autres, tout cela sur fond des 120 journées de Sodome (revendiqué par le récit lui-même), rendant cette hantise d’autant plus carnassière.
Et même dans le registre de la possession, La Maison des damnés prend un certain contrepied, en donnant au phénomène de la maison hantée une explication mi-spirituelle, mi-matérialiste, par l’incursion de la science. La hantise n’est plus de nature exclusivement démoniaque, mais est potentiellement le résultat de la croyance de l’homme lui-même, et de la production de fluide découlant de la force de sa conviction (l’aura). Aucune thèse n’invalidant l’autre, les deux recours étant nécessaires pour vaincre Belasco et sa Hell House.


La dégradation des personnages n’est pas que mentale, elle est aussi physique, et jamais immédiate ; les blessures s’enchaînent jusqu’au carnage, Florence ne se suicide qu’ébranlée au plus profond d’elle-même, avec un fort ressenti sur le lecteur. L’épouvante de Matheson est protéiforme, et se matérialise sous un chat, un marécage, une forme noirâtre, ou simplement sous la forme d’ectoplasmes narcissiques et pervers. La dialogues, pour plats qu’ils sont, sonnent cependant authentiques, sans tomber dans le piège du babillage verbeux. Entre le croisement des convictions, le dialogisme fusionnel, le dérèglement psychologique, l’authenticité de la terreur et les nombreux symboles de la superstition et du scepticisme américains, on se rapproche presque d’un certain naturalisme chez Matheson…


Hell House n’est pas un roman majeur, et n’a manifestement pas les capacités de devenir un jour un chef-d’œuvre. Mais le reléguer à un roman de divertissement fade serait peut-être abrupt.

Aldorus
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le 10 mars 2018

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