Les Maîtres du Fantastique N°1 : l'anticipation selon H.G.Wells


Je ne puis pas discuter ce soir. Je veux bien vous raconter l'histoire, mais non pas la discuter. Je vais, continu a-t-il, vous faire le récit de ce qui m'est arrivé, si vous y tenez, mais il faudra vous abstenir de m'interrompre. J'ai besoin de raconter, absolument. La plus grande partie vous semblera pure invention; soit ! Mais tout est vrai du premier au dernier mot. J'étais dans mon laboratoire à quatre heures et depuis lors... j'ai vécu huit jours... des jours tels qu'aucun être humain n'en a vécu auparavant ! Je suis presque épuisé, mais je ne veux pas dormir avant de vous avoir conté la chose d'un bout à l'autre. Après cela, j'irai me reposer. Mais pas d'interruption ! Est-ce convenu ?



Je viens de m'abonner à la collection "Les Maîtres du fantastique" par The Classics Collection qui propose pas moins de 60 romans tirés des pionniers du fantastique du XIXe siècle qui en brisant les conventions de leur époque sont à l'origine d'une nouvelle forme narrative qui encore aujourd'hui ne cesse de nous étonner tant l'imagination déployée est extraordinaire. Des écrivains visionnaires qui à travers la science-fiction, le fantastique, l'horreur et le merveilleux ont instauré les codes d'aujourd'hui en bouleversant au passage ceux de leur temps, ne cessant de nous bousculer et de nous questionner en explorant les peurs profondes de l'humanité. Des classiques de la littérature considérés comme de véritables joyaux du fantastique illustré à travers des livres magnifiquement soignées. Il faut le reconnaître cette collection à de la gueule avec des couvertures d'une beauté étonnante dont l'illustration est directement inspirée des prestigieuses éditions d'époque avec un marquage au fer à dorer qui offre beaucoup d'élégances aux ouvrages de la collection. On retrouve également à l'intérieur des livres des illustrations et frontispices originaux réalisés avec soin par les plus grands artistes d'époque contribuant à faire de chaque ouvrage des pièces uniques luxueuses et distinguées. J'entreprends de lire et de critiquer tous les livres dans leur ordre de parution.


On commence très fort avec le numéro 1 : "La Machine à Explorer le Temps" de H.G. Wells qui en plus m'a fait la belle surprise de contenir 11 nouvelles de l'écrivain autour d'espace et de temps avec : Le Vol du microbe, Les Argonautes de l'air, Un étrange phénomène, L'Histoire de Plattner, Les Pirates de la mer, L'Œuf de cristal, L'Etoile, Le Nouvel accélérateur, Un Rêve d'Armageddon, Les Cuirassés de terre, et, La Porte dans le mur.


Le génial Herbert George Wells en grand maître de l'anticipation propose en 1895 le livre qui bouleversera à jamais sa vie et les rouages de la science-fiction avec La Machine à Explorer le Temps. Un roman qui mêle habilement la passion de l'écrivain pour la biologie, en grands défenseurs de la théorie de Charles Darwin qu'il est et qui se retrouvera dans divers chapitres de son histoire, avec son étonnante imagination qui au vu de quelques passages noirs "clés" du récit n'est pas sans rappeler des éléments traumatiques propres à la jeunesse de l'écrivain qui enfant vivait avec ses parents dans une maison avec une cuisine souterraine située dans le sous-sol du magasin de porcelaine familiale et qui offrait une vue sur la cour de la boucherie avec des bestiaux entassés les uns sur les autres qui ne cessaient d'hurler à la mort. Des souvenirs affectifs teintés d'obscurités que partage Wells par le biais de son histoire qu'il mélange astucieusement à son enthousiasme débordant pour l'étude des êtres vivants offrant une science-fiction horrifique moderne qui côtoie le merveilleux. Une fiction littéraire fondatrice qui n'est pas la première à se consacrer au voyage dans le temps, mais la première à proposer une machine capable de le faire.


La Machine à Explorer le Temps est un roman facile à lire qui commence lentement avec l'Explorateur du Temps (qu'on appellera ainsi tout du long) en train de philosopher avec des convives de marque sur la réalité d'une quatrième dimension venant confronter l'espace, en trois dimensions tels que les mathématiciens l'entendent. Des explications scientifiques simplifiées sur la composante du temps qui permet de suivre sans incompréhension la logique de L'Explorateur du Temps qui le jour suivant narrera à ses invités son incroyable aventure avec sa machine qui l'a propulsé en l'an 802701. La narration est très intéressante, l'histoire étant racontée non pas comme un écrivain posant un décor central prenant en compte l'ensemble des composants et des personnages de son récit mais comme une discussion autour d'un cigare où un homme fatigué narre son aventure de son seul point de vue avec sa propre expérience, appréciation et supposition de ce qu'il a pu voir, et non comme un conteur d'histoire. Une particularité qui amène une histoire percutante qui délivre un véritable message de vie à la portée sociale étonnante tant il aborde avec intelligence des concepts de société autour de la lutte des classes, le développement industriel et de l'évolution humaine avec une pertinence sans limite qui démontre la limite de notre société. C'est fou de constater que cent après, l'histoire de Wells reste toujours plus d'actualité laissant présager la profondeur de l'ouvrage.


Le récit avance rapidement, dès le quatrième chapitre on voyage dans le temps. Au début, tout comme l'Explorateur du Temps, on est un peu déçu par la découverte de ce futur qui finalement va rapidement devenir saisissant au point de tourner les pages les unes après les autres avec une certaine frénésie, voulant en apprendre toujours plus. L'écriture de Wells évoque en nous une pléthore d'émotion en nous faisant passer par une large palette de sentiments avec des moments de joie, d'étonnements, d'aventures, de tristesses, d'inquiétude et de terreur, le tout appuyé par un suspense admirablement bien géré qui stimule les sens. En clair, tous les ingrédients pour vivre une expérience de haute volée sont là ! Certains chapitres sont réellement effrayants et suffocants, je pense en particulier à la plonger dans le monde souterrain et éteint des Morlocks. On est pris par la tension de certaines situations qui en deviennent toujours plus tendues. Une visite du futur se transformant en véritables jeux de survie qui n'a eu de cesse de m'étonner. On aura également droit à une ultime vision de ce que serait le futur de l'homme 30 millions d'années après. Le final bien qu'arrivant trop tôt et très intelligent, permettant une conclusion sur les chapeaux de roues auprès de l'Explorateur du Temps qui finalement sera à jamais l'ultime aventurier. Le seul à connaître le futur des hommes.


Un futur aux décors paradisiaques avec ces étendues de verdure jonché par des bâtiments et des statues antiques masquant quelque chose de bien plus noir et servant de terrain de vie aux Eloïs. Les Eloïs, l'évolution humaine de la classe des riches qui finalement sont arrivé à une opulence et une sureté de vie absolue sans le moindre problèmes ni le moindre danger, où toute question à trouver sa réponse et toutes maladies furent exterminées par le biais d'un capitalisme extrême qui aura conduit les riches à une hyper sécurisation qui à travers les siècles les feront fatalement régresser dans une forme plus primaire, simplet et innocente. Le revers de la perfection. Ceci nous conduit à une autre évolution humaine avec les Morlocks, la classe ouvrière, condamné par l'extrême capitalisme à vivre sous terre dans une vie de certitudes pour la classe des riches qui se sont réservé la surface. Les milliers d'années auront fait d'eux des êtres monstrueux, aveugles et primitif, plus intelligent que les Eloïs. Les Morlocks sont les nouveaux maîtres, des éleveurs de bétail qui ont fait des Eloïs des animaux consentant heureux, telle des vaches vivantes paisiblement dans son carrée de verdure en attendant d'être mangé sans la moindre résistance de leur part. Un constat sans appel sur le traitement inhumain de la classe supérieure qui démontre les limites des bienfaits du progrès social et par conséquent de l'évolution humaine. Une vision cauchemardesque étonnamment crédible qui fait froid dans le dos. Finalement, mon seul regret sera la courte durée de vie du livre qui aurait mérité beaucoup plus d'exploration et surtout de réponses.


CONCLUSION :


La Machine à Explorer le Temps d'Herbert George Wells est un livre stupéfiant d'une perspicacité frissonnante qui va habilement conjuguer une aventure fantastique avec une critique sociale sur le capitalisme et le mode de consommation par la lutte des classes avec une remarquable pertinence. À travers cette science-fiction fondatrice Wells déclare son amour pour la science humaine et le développement technologique, ne tombant nullement dans une idéalisation absolue puisqu'il pose également le revers de l'évolution en démontrant qu'entre des mauvaises mains elle pourrait conduire au déclin de l'humanité et non à son élévation.


Une utopie cauchemardesque de l'avenir par le biais d'une aventure magistrale qui n'a rien perdu de son efficacité en posant tout le génie et les obsessions de son écrivain.



Je cherchai alors à me protéger contre l'horreur qui m'envahissait en envisageant la chose comme une punition rigoureuse de l'égoïsme humain. L'homme s'était contenté de vivre dans le bien-être et les délices, aux dépens du labeur d'autres hommes; il avait eu la Nécessité comme mot d'ordre et excuse et, dans la plénitude des âges, la Nécessité s'était retournée contre lui.


B_Jérémy
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le 15 août 2021

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