Steve Jackson n'écrira plus de livres-jeux après La Créature venue du Chaos, et le départ d'un des deux fondateurs des Défis Fantastiques marque la fin d'une période qu'on pourrait qualifier d'âge d'or. Ce n'est pas que la qualité des livres ira en diminuant, bien au contraire, plutôt que l'innocence un peu échevelée des débuts va laisser place à des choses un peu plus sombres et travaillées. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que dans la catégorie « sombre », La Forteresse du cauchemar place d'ores et déjà la barre assez haut.


Tout commence… dans un cachot. En route pour la bonne ville de Neubourg, où il espère de chaleureuses retrouvailles avec le baron Tholdur, un bon copain à lui, le héros tombe dans une embuscade tendue par des hommes du Sud, farouches ennemis des habitants de Neubourg. Bien entendu, il ne tarde pas à s'évader, mais c'est pour découvrir une bourgade bien différente de celle qu'il a connue : les hommes du Sud s'y promènent comme en terrain conquis, le baron agit bizarrement et la population locale se claquemure chez elle. On parle de créatures monstrueuses errant dans les rues la nuit…


Si la plupart des auteurs de la série avaient du Tolkien sur leur table de chevet, pas de doute à avoir, c'est à Lovecraft que Peter Darvill-Evans a été biberonné. Ce livre grouille littéralement de monstres tentaculaires répugnants et autres atrocités à vous glacer le sang (dans les limites tolérées par une collection de livres pour enfants, cela va de soi). Le ton tranche nettement avec les Défis Fantastiques parus jusqu'alors ; même dans Le Manoir de l'Enfer, les horreurs restaient dans un registre sataniste assez classique, presque « normal », et ne sortaient jamais de la maison du titre. Ici, l'atmosphère générale suppure le désespoir face à une menace indicible, la morale n'a plus vraiment cours à Neubourg et les lueurs d'espoir sont bien rares. Heureusement, elles existent encore, et c'est évidemment au héros de rassembler toute l'aide qu'il pourra pour mettre un terme aux agissements du grand méchant qui se cache derrière tout ça. Les illustrations contribuent bien à cette ambiance. Dave Carson fait partie de ces artistes au trait assez peu « académique » que je préfère aux Nicholson et Langford : d'autres trouveront sûrement ses dessins ridicules, moi je trouve qu'ils sont parfaitement adaptés ici. (C'est moins important, mais l'illustration du §115 doit être le meilleur portrait de femme de la série.)


Pour une fois, le livre propose une difficulté assez bien dosée. La plupart des combats se font face à des adversaires dont l'Habileté ne dépasse pas 10, et bien que le boss final pointe à 14, plusieurs objets peuvent permettre au héros d'en venir à bout sans trop de difficultés. En revanche, la Volonté, une caractéristique inédite qui correspond peu ou prou à la Peur du Manoir de l'Enfer (si ce n'est qu'il faut la tester, comme la Chance), est souvent mise à contribution et causera la perte de plus d'un aventurier. Mais ce qui mettra un terme prématuré à la plupart de vos tentatives, c'est bien les nombreux pièges qui jonchent les rues de Neubourg, les allées de la forteresse et ses souterrains. Darvill-Evans fait preuve d'une inventivité folle (et un peu dérangeante, à bien y réfléchir) dans les manières dont le héros peut succomber : il y a pas loin de 50 paragraphes de mort dans ce livre, et beaucoup sont très dérangeants pour un Défis Fantastiques. Mon préféré doit être le §4, qui n'a rien de gore mais dépeint tout de même un sort glaçant pour le malheureux aventurier.


C'est une aventure assez peu linéaire. D'un côté, c'est une bonne chose : ça permet de découvrir de nouvelles péripéties réjouissantes (pour le lecteur plus que pour le héros) à chaque relecture, et puisqu'il n'y a pas vraiment de chemin unique, ça n'est pas complètement vain même lorsqu'on a remporté la victoire. D'un autre côté, ça peut poser problème si l'on suit un chemin qui évite les paragraphes où sont expliqués les tenants et les aboutissants du scénario. Il y a toujours le risque d'arriver loin sans rien comprendre, ce qui gâche un peu l'histoire. Mais c'est un problème mineur, et de toute façon, Darvill-Evans encourage assez clairement le lecteur à suivre le chemin le plus logique.


Je vois que j'avais mis 5/10 à ce livre à mon arrivée sur SensCritique et je me demande bien pourquoi. Aujourd'hui, je me rends compte que c'est un livre très inventif et distrayant. Ce n'est peut-être pas l'un des dix meilleurs de la série, mais il est bien au-dessus de la moyenne.

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le 30 août 2016

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Tídwald

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