La télévision a toujours été le souffre-douleur favori des auteurs contemporains. Dans une note de fin de chapitre de sa "Foire aux Atrocités", J.G. Ballard reproche cette fois-ci au petit écran de mettre sur un même plan des images aux valences trop opposées. De juxtaposer l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy et une publicité pour les barres chocolatées, amenant le spectateur à ne plus vraiment faire la différence entre les deux, jusqu'à la désensibilisation complète.


"The Atrocity Exhibition", un titre rêveur (que reprendra Joy Division pour un de ses morceaux). Une série de "romans condensés", un assemblage de paragraphes sans fil narratif cohérent où le lecteur est emmené dans un maelstrom d'images dérangeantes. L'œuvre de Ballard porte bien son nom. C'est un livre fondamentalement désagréable et pas seulement parce qu'on y comprend rien. Je n'ai rien compris à l'Ulysse de James Joyce (même si je prétends le contraire en société) et pourtant j'ai trouvé sa lecture très agréable.
Le désagréable de Ballard c'est de mettre côte à côte, sur le même espace, des idées et des termes qu'on n'aimerait pas voir ensemble. Jackie Kennedy, des organes éparpillés, des accidents de voiture, du sexe et des hélicoptères. Certains désignent ce rouleau compresseur littéraire comme une peinture au vitriol de la société américaine, une critique acerbe du royaume des apparences.
J'invite le lecteur à se procurer la version commentée par l'auteur lui-même. Les notes de fin de chapitre n'aident en rien à comprendre ce qu'ils sont en train de subir, mais elles peuvent lui permettre d'avoir quelques lichettes d'informations sur l'état d'esprit du très picturesque J.G. Ballard.


On y apprend notamment que ces paragraphes sont avant tout des tentatives de recréer du sens là où il n'y en a plus. C'est un livre créé en réaction face à l'atroce, à ce qu'il y a de plus innommable. Les années soixante sont plutôt riches de ce côté, notamment en termes d'idoles mortes et d'idéaux déchus. Quoi de mieux que du non-sens pour affronter le hors-sens ?
J'admire Ballard pour avoir eu le courage de recracher sur le papier ses obsessions sans les enjoliver derrière une prose bien sage ou des conventions littéraires étriquées.


Tournant en spirale autour des mêmes mots, les élucubrations de la Foire s'enchaînent et nous sommes comme anesthésiés face à ce qui m'a parfois semblé être une bouillabaisse de mots (l'auteur avoue lui-même que certains passages ne sont que des exercices d'écriture automatique). Les violentes images du départ deviennent, à cause de leur répétition, presque banals au fil du texte. Rien ne semble tenir dans le monde de Ballard, rien ne parvient à expliquer les tragédies que le monde ou lui-même traversa dans cette période. Par-ci et là, des phrases saisissent : "The silence before a million auto deaths hung in the morning air" mais c'est insuffisant pour me faire regagner de l'intérêt pour ce qui semble plus s'imposer comme un travail thérapeutique personnel, un détricotage en règle de la langue, une humiliation des pouvoirs signifiants de celle-ci.


Et puis il y a les trois derniers chapitres.


"The Generations of America" / "Why I Want to Fuck Ronald Reagan" / "The Assassination of John Fitzgerald Kennedy Considered as a Downhill Motor Race".


Trois exercices de style brillants, rompant avec les sables mouvants des chapitres précédents.
En donnant une direction plus affirmée et poétique (?) à ses obsessions, Ballard m'a beaucoup plu par son habile maniement d'une langue qu'il semble pourtant abhorrer.


C'est donc un avis mitigé que je partage, pour un livre qui m'a curieusement donné très envie d'explorer un peu plus le monde de son auteur. C'est peut-être paradoxal voir peu compréhensible comme réaction. C'est en somme à l'image du livre.

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le 1 août 2021

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