La Faim
7.9
La Faim

livre de Knut Hamsun (1890)

«C'était au temps où j'errais, la faim au ventre, dans Christina, cette ville singulière que nul ne quitte avant qu'elle lui ait imprimé sa marque...»(p. 13)


Parole prise d'une errance. La «marque» c'est une subjectivité, une pratique de vie, qui refuse de mourir. Le «je» est là, perdu dans une ville qui évoque les femmes et le Christ. Dieu et les femmes deux des des objets de désir qui assaille Hamsun. Alors le je se divise en deux, entre elle et lui. Mais ce ne sont que des objets, ils sont les lieux marquant de sa tentative d'exister. Le sujet demeure entre les deux possibilités d'incarnation - la possession érotique ou l'inspiration divine.Il n'est pas impossible de voir ici des mécanismes qui se recoupent ; la possession comme l'inspiration sont toute morale, la fondation est prise sur des préjugés ; reste à savoir s'il sont positifs pour lui.


Alors finalement qui parle ? Un je qui erre «la faim au ventre». Je marche et je a faim. Il veut pouvoir évoquer en lui la possibilité d'une satiété. Le je veut se combler, il veut se voir aussi positivement que l'apparence de la raison - les mots et leur grammaire. Mais Hamsun ne le sait pas. Il parle et parle dans sa solitude, dans un décalage toujours plus pathétique avec la norme. Ses usages semblent n'avoir aucun recoupement durable avec la norme amoureuse de son temps, qu'elle soit dite par la femme ou Dieu.


L'usage fait de la description devient la parole d'un fou qui essaye de voir un monde auquel il n'appartient pas ; la voyance qu'il donne sont deux aspirations mondaines en lambeaux. Le journalisme n' étant qu'un moyen convenu d'exister pour les femmes ou pour Dieu. Le journalisme n'est pas une fin, faim, mais une tentative de reconnaissance par l'autre d'un moi qui cherche à être dans leur regard. Et finalement, il n'y a que retour à soi, retour à une solitude, un échec. Alors le sujet se libère malgré lui en se retournant sur lui-même ; il rejette les deux formes d'altérités qui lui sont proposées. Aliénation. Il ne parvient pas à croire. Le dieu donneur de vie ou la femme donneuse de sens demeurent tout deux au creux de l'expression. Les objets raisonnent, la parole se contemple ; elle se réalise comme sans fin. Alors la description est symptomatique de la faim qui porte un regard sur les choses et n'évoque que son incapacité de se saisir d'un monde et de s'y complaire.


L'identité est en crise. Le «moi» est éclaté. «La conscience n'existe que dans la mesure où la conscience est utile» (volonté de puissance I aphorisme 238). Une conscience réduite à un jugement de valeurs sur le devenir sensible de soi. La crise d'identité est une crise de jugement, la crise existentielle est une crise de conscience. Les valeurs deviennent nocives, elles sont un appel à la conversion permanente, transfiguration sans fin, par l'errance dans le désert. Hamsun évite la réduction et l'aporie dialectique par l'échappée physique. Il refuse, malgré lui, la ligne droite du dévoilement de soi comme conscience ; l'évidence - l'être - n'est plus le socle au s'érige la raison. N'est possible maintenant que le recalibrage permanent d'un je vagabond. Un historicité en rupture perpétuelle ; il n'y a plus continuité à soi. L'existence pleine, dans son unité temporelle, devient une fragmentation d'événements que le jugement, toujours nouveau, doit perpétuellement remettre en ordre.


L'oeuvre entière d'Hamsun est un miroir de cette fragmentation. Chaque récit de vagabondage raconte, décrit, fantasme, une personnalité d'Hamsun. Le narrateur se reconquis par le récit de ses événements en rupture d'eux-même. Ainsi, il ne semble pas y avoir de connection entre le personnage de «Pan» et de la trilogie vagabonde ; ne sont évoqués que des rencontres et des actes passés, définitivement perdu, des âges révolu. Pourtant Hamsun semble se confesser de sa crise de conscience encore en action, en continue. La continuité demeure alors dans le seul corps que l'on retrouve creusé et sec dans la «dernière joie» (même si Hamsun se décrit comme un pacha sur-alimenté, son caractère est plus abrupte que jamais. Seul compte le fait que «j'ai pénétré dans la forêt» p. 9 que le monde se débrouille sans moi). Un corps qui se fait derrière l'arbitraire d'un nom : Hamsun. Un signe aui se déploie dans la nature de Norvège et se confond à elle.


Il devient le temps d'une nature qui ne prononce pas son propre nom. Les Hommes seulement sont capable de la signifier pour faire fuire le silence écrasant d'une actualité qui de joue d'eux. «Ne va surtout pas croire qu'ici il ne se passe rien. Les flocons de neige tombent comme en ville, oiseaux et animaux s'occupent de leurs affaires du matin au soir, du soir au matin. Je pourrais envoyer d'ici de terribles histoires ; je ne le fait pas», (dernière joie), il ne peut pas trahir une nature qui agit sans fin ou en fin, faim, perpétuelle. Il ne peut la trahir en la réduisant à l'objectivité d'un description, à un jugement de fait dépendant de signe humain, bien trop trop humain.


La faim du premier roman se soigne dans les derniers par la disparition du langage, des mots ou de la raison positive. L'angoisse n'existe que par le sursaut d'une conscience étrangère, aliénation. Alors Hamsun découvre le silence d'un nature qui absous toutes métaphysiques ; transcendance et immanence sont rompus, les concepts s'évaporent et ne laissent voir que les brumes des fjords.


(L'orthographe... disons que j'ai la flemme de relire)

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le 8 avr. 2018

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