Dans ma découverte progressive d’Arsène Lupin, ce roman a la particularité d’être le premier texte que je lis qui est ultérieur à 1913. Publié en 1927, La Demoiselle aux yeux verts propose donc une large ellipse par rapport à ma dernière lecture de Maurice Leblanc. Est-ce que pour autant le style a tant varié ?
Non, Leblanc n’évolue guère, mais par rapport à d’autres œuvres de son cru (L’Aiguille Creuse, Le Bouchon de Cristal, moult nouvelles), La Demoiselle aux yeux verts est loin d’être sa meilleure œuvre. S’il esquive les habituelles faiblesses scénaristiques permettant à Lupin d’espionner sans être vu une dizaine de fois dans son roman, il tombe dans une autre qui est celle de la spatialisation hasardeuse. Trop souvent, c’est bien la description géographique qui est chez Leblanc peu claire quand il s’agit de présenter un territoire imaginaire où son héros va à l’aventure. Attention, je distingue cela des moments, toujours très beaux, où Leblanc décrit des territoires réels et nous fait ainsi vivre son amour de la nature.
Non, le soucis vient du fait que Lupin devant être invincible et briser toutes les limites, parfois c’est le terrain qui est comme disloqué pour lui permettre d’accomplir ses merveilles.
Mais passons, venons-en au récit. Dans la Demoiselle aux yeux verts, Arsène Lupin ne se présente quasiment jamais sous ce nom. Il est ici Raoul de Limésy. Par hasard, il rencontre un homme pommadé qui suit une anglais aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Il les suit par amusement jusque dans une pâtisserie où apparaît une magnifique jeune blonde aux yeux verts. Soucieux de retrouver la demoiselle aux yeux verts, il est conduit à prendre un train au hasard en compagnie de l’anglaise.
Malheureusement pouvait-il prévoir des meurtres, des criminels surprenants, des innocents coupables, un policier mesquin et des ravisseurs dans tous les sens ? Lupin/Limésy se retrouve à tenter de sauver une coupable qui jamais ne veut de lui et que lui-même aimerait bien livrer à la justice.
C’est vraiment difficile d’expliquer ce qu’on pense de La Demoiselle aux yeux verts sans spoiler tant le récit est une multiplication d’enquêtes qui sont reliées et qu’on ne voit qu’au fur et à mesure. C’est cela le génie de Leblanc. Il est difficile de se rappeler à la fin que l’on partait de meurtres dans un train. Tout est relié mais si loin. Il est difficile de savoir ce que l’on doit regarder, de remarquer où est notre vrai intérêt.
Bref, ce récit offre une incroyable capacité à captiver le lecteur et à le surprendre. Le tout en faisant progressivement évoluer le cœur d’Arsène Lupin qui ici aurait eu mille raisons de finir ses aventures à ce moment.
C’est également l’un des récits où le caractère enfantin de Lupin ressort le mieux, où il est le plus drôle je trouve. Le personnage de Marescal, le « véritable » méchant selon moi, aurait gagné à réapparaître ultérieurement, tant la fin montre la supériorité de Lupin sur celui qui, loin d’être idiot, a une âme trop noire pour autant.
De même, Jodot apparaît comme un horrible criminel, mais à la fin, malgré tous ses vices, on voit aussi en lui un bandit comme tant d’autres, un de ceux que Lupin peut avoir sous ses ordres car il reconnaît le métier bien fait du génial Gentleman Cambrioleur.
Enfin Brégeac est un personnage qui mériterait d’être plus mis en avant tant on se demande s’il est vraiment un être ignoble ou au contraire un personnage un peu mauvais mais qui a peut-être quelques bons aspects (surtout face à Marescal).
Bref, une bien belle galerie de personnage qui, comme souvent chez Leblanc, mériterait d’être plus traité puisque celui-ci a une tendance à quitter par petite touche le manichéisme mais n’ose aller jusqu’au bout.
Je trouve le récit vraiment agréable, captivant au possible. Bien entendu, il n’a pas la profondeur ni le génie des meilleurs Lupin, mais je trouve aussi que c’est un récit où on ne s’ennuie jamais où on est entraîné à lire d’un coup un tiers ou la moitié du récit.
Bref, c’est la magie de Leblanc & Lupin !
De fait, j’ai hésité à mettre 6 ou 7 à ce roman, mais je pense que vu mon plaisir, ne soyons pas trop excessif sur la notation.