'The Red Badge of Courage' est un roman publié par l'américain Stephen Crane en 1895 se déroulant durant la guerre de Sécession. On est à fleur d'Histoire, 30 ans après la capitulation du Sud, c'est encore bien frais dans la mémoire collective même si l'auteur lui même, il a alors 24 ans, n'a pas participé au combat. Et pourtant, à la lecture, on jurerait qu'il y était !


« Je suis convaincu que nul homme ne comprend jamais tout à fait ses propres esquives et ruses pour échapper à l'ombre sinistre de la connaissance de soi. »
— Joseph Conrad, Lord Jim


Un jeune homme qui a trop lu de romans d'aventures, un jeune Don Quichotte trop gorgé de romanesque s'en va en guerre, tiraillé par l'idée de peut-être ne pas être ce qu'il voudrait ou croyait être. En d'autres termes, il a les pétoches non pas tant d'affronter les Gris, d'être blessé, de mourir, mais de prendre ses jambes à son cou tandis que ses camarades camperont bien leur position. Les pétoches d'avoir les pétoches. Il suce cette idée comme un cailloux, la ressasse et la pétrit, se trouve des excuses, se perd en justifications et ratiocinations morales, se sentant peu à peu de plus en plus exclu de sa brigade qui, semble-t-il, est loin de partager ses appréhensions. Ou quand l'ennemi n'est pas tant le typhon ou le gris d'en face que soi-même, son propre reflet. C'est Blutch sans le sergent Chesterfield derrière-lui pour lui éperonner les fesses quand sonne le Chaaaaargez ! La conquête du titre, ou l'insigne rouge à mériter, c'est donc ce combat contre soi-même. Notons que ce jeune soldat, d'abord non nommé, juste un anonyme "jeune homme" trouve au fil de la narration, et comme tous les autres soldats le grand, celui à la voix bruyante, un nom propre.


Conrad avait-il l'ouvrage de Stephen Crane en tête en écrivant Lord Jim ? Quelques rapides recherches me confirment sans surprise qu'ils s'admiraient réciproquement et qu'ils ce sont même rencontré en Europe :


"He had indeed a wonderful power of vision, which he applied to the things of this earth and of our mortal humanity with a penetrating force that seemed to reach, within life's appearances and forms, the very spirit of life's truth. His ignorance of the world at large--he had seen very little of it--did not stand in the way of his imaginative grasp of facts, events, and picturesque men."


On ne verra donc pas de Grant, de Sherman, ni de Hancock — encore moins de Confédérés en bonne et due forme, ils resteront toujours des apparitions sombres sur le champs de bataille brouillés par la fumée jaune ou des silhouettes à l'horizon. Les descriptions sont à ce titre impressionnistes ou pour le dire plus précisément focalisées : on baigne dans un grand flou et quelques détails comme un drapeau trop coloré ou un fléchissement de la lumière (ou donc des noms propres) se précisent dans la mêlée, au cœur de grands mouvements de masses, exactement ce qui se passe avec notre vue lors d'une montée d'adrénaline, réflexe nous permettant d'ignorer l'environnement superflu, le brouhaha et le tintamarre assourdissant et de se focaliser sur le danger. Stephen Crane avait-il en tête la bataille de la Chartreuse de Parme ? Une rapide recherche nous apprend que Crane nia farouchement ce rapprochement déjà fait à l'époque de la publication.


L'écriture du récit ou au moins sa traduction se fait fluide, légère, parfois un peu surannée ou rigide, légèrement irisée de l'argot gentillet et clairement tempéré des troupes, foin de glauque soldatesque. Il y a forcément un décalage entre cette écriture toujours bien tenue et la violence des affrontements mais aussi des remous internes du protagoniste, nous ne somme pas encore au XXe siècle, toute cette littérature là est encore à venir mais ce décalage loin d'être plat ou fade lance au contraire des étincelles — on sent bien toute la retenue et la contention de ce pauvre hère perdu sur le champ de bataille.



Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,



Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,



Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,



Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.



[...]



Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;



Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,



Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.



— Arthur Rimbaud, le Dormeur du Val


Nushku
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le 21 mai 2016

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