J'ai découvert Emmanuel Carrere, comme beaucoup peut-être, avec son ouvrage qu'il avait intitulé Le Royaume. Véritable pavé que j'avais dégusté avec délectation. Son écriture précise et studieuse au vocabulaire riche m'avait littéralement séduit. Plus tard, je décide donc de m'attaquer au travail de l'auteur avec notamment La classe de neige. Plus court, plus abordable dans son nombre de pages, ce livre est un petit bijou dans l'expression du non-dit que l'on retrouve dans la forme.
Un jeune garçon, Nicolas, que l'on nous présente dès les premières pages comme surprotégé, isolé et fragile, sert de sujet à E. Carrere pour traité de la fabulation enfantine, du mensonge peut-être involontaire, de cette nécessité indéniablement humaine d'être au centre de l'attention ou de susciter une certaine admiration. Nicolas, pauvre petit être complexé par des "pipis au lit", se retrouve loin de son environnement familier en voyage scolaire à la neige. Il arrive déposé par son père avec un jour de décalage ce qui l'isole davantage des autres enfants déjà présents sur site. Son père, propriétaire d'une R 25, part en oubliant de confier à Nicolas son trousseau d'affaires personnelles, ce qui, encore une fois, isole un peu plus le garçon. Le père devient injoignable et on finit par l'oublier. C'est alors qu'arrive Patrick, le mono du centre, qui servira de figure masculine, une sorte de repère pour Nicolas, entre l'ami et le protecteur bienveillant.
Curieusement, et au début avec crainte et méfiance, le jeune garçon se lie d'amitié avec le plus grand, le caïd de la classe. Il lui racontera alors différentes histoires basées sur des faits réels qui ne seront que des fabulations sorties de son imagination. Un monde intérieur riche dont il est le héros.
Il existe plusieurs types de mensonges. Ceux par omission, ceux par protection, ceux pour susciter l'admiration, pour se réévaluer. Il existe ceux qui sont faciles et ceux plus difficiles dont la vérité est imprononçable. A aucun moment, E. Carrere n'est explicite dans ce qu'il narre, tout est dans la subtilité des mots et de la syntaxe mais le lecteur, parfois perplexe, comprend grâce à la fluidité, grâce à la clarté de l'expression tous les non-dits de ces situations. Un malaise est ressenti dès les premières phrases du roman et va crescendo sans jamais n'être prononcé.
Il est question d'enfants, il est question de voyage, il est question de neige et de froid, il est question d'une R 25, il est question de fabulations, il est question d'un journal, il est question d'un meurtre.
Un ouvrage passionnant qu'il est vivement conseillé de lire... et de voir puisqu'il existe une adaptation filmique dont le scénario est écrit par Emmanuel Carrere.