Deuxième tome de la compilation des pastiches de Lovecraft, cette fois écrits après la mort de l'auteur dont on ne retrouve ici qu'une seule nouvelle. Allez, sans perdre de temps, voyons le détail du menu...



Celui qui hantait les ténèbres, par H.P.Lovecraft (1935)



La dernière nouvelle du Cycle de Cthulhu est l'occasion de (re)découvrir une facette très sympathique de Lovecraft, trop souvent passée sous silence. Ami et « conseiller » littéraire du jeune écrivain Robert Bloch (celui qui a écrit « Psychose »), qu'il a guidé durant de longues années notamment en réécrivant gratuitement certains passages de ses textes, Lovecraft a accepté d'apparaitre en tant que victime dans l'une des oeuvres de son jeune ami. Pince-sans-rire, l'homme de Providence lui renvoie la politesse avec « Celui qui hantait les ténèbres », où un certain Robert Blake va en prendre plein la gueule grâce à une émanation de Nyarlathotep, le « chaos rampant ». Ha c'est sûr, il est taquin Lolo...


Le résultat de cette plaisanterie partagée est un texte bien pensé, où l'une des pires crevures des Grands Anciens vient titiller de pauvres humains dans un cadre extrêmement banal... et donc d'autant plus flippant lorsque la couche de normalité s'effrite. Ce glissement s'opère sur Providence, la ville de résidence de Lovecraft. On sent le malin plaisir que l'auteur prend à pervertir son cadre de vie, à rendre malade l'intime tout en injectant une certaine dose de poésie. Jamais le laid n'avait paru si beau, si nostalgique depuis Poe. Le déchainement final du surnaturel en devient presque superflu. La véritable victime finale n'est pas seulement le pauvre Robert... mais la ville elle-même. Toutes nos villes.



L'ombre du clocher, par Robert Bloch (1950)



Conclusion du jeu littéraire entre Bloch et Lovecraft, cette nouvelle fait aussi office d’hommage posthume du premier au second. "L'ombre du clocher" est la suite directe de "Celui qui hantait les ténèbres", dernière contribution de Lovecraft à son Mythe de Cthulhu. Bloch met donc en scène un personnage qui enquête sur sa propre mort (celle de Bloch, ici renommé Blake) et je dois dire que l'auteur se débrouille vraiment très bien cette fois. Les années ont passé, Lovecraft commence à devenir une légende et on sent l'envie sincère de Bloch de redonner un nouveau souffle à ce fascinant univers littéraire.


L'enquête se suit avec plaisir, sans noyer le lecteur sous des tonnes de descriptions et la conclusion met intelligemment en scène un grand personnage du Mythe (mais est-ce vraiment lui... ?). On sent véritablement la menace cosmique franchir un nouveau pas et devenir plus moderne, peut-être même plus subtile. De quoi donner de l'inspiration pour les futurs continuateurs, parfois un peu trop sclérosés par leur héritage...



Manuscrit trouvé dans une maison abandonnée, par Robert Bloch (1951)



Bloch est décidément en très grande forme puisqu'il nous livre l'un des meilleurs pastiches de ce recueil ! Fait rare, le héros est un enfant. Peut-être qu'il s'exprime un peu trop bien pour son âge mais ça ne l'empêche pas d'être très vite attachant, au point où je me suis sentis concerné par son sort. La forêt "hantée"qui entoure la maison de notre jeune ami est délicieusement flippante, grâce à une ambiance paranoïaque admirablement décrite. La nouvelle sait être spectaculaire en restant toujours assez psychologique pour déranger le lecteur. Un excellent travail qui conclut brillamment les participations de Bloch dans le recueil !



Epouvante à Salem, par Henry Kuttner (1937)



Un autre écrivain que je ne connaissais absolument pas. Malheureusement, on n'aura pas la même agréable surprise qu'avec Long (voir ma critique du tome 1). Cette nouvelle est un peu faiblarde. Le personnage principal est en quelque sorte victime d'une maison hantée et fait partie de ces héros d'horreur un peu horripilants qui préfèrent continuer à s'enfoncer plutôt que de fuir. Lovecraft a très souvent utilisé cette ficelle mais elle est ici exploitée sans réel génie. La menace est trop banale pour installer une réelle ambiance. Il n'y a que le fait que le héros est écrivain, et la façon dont c'est utilisé dans l'histoire, que j'ai trouvé un peu rafraichissant. Le reste est trop vite torché pour rester dans les mémoires.



On rôde dans le cimetière, par J. Vernon Shea (1969)



Atmosphère de film de série B pour cette nouvelle qui traite justement de ce genre de cinéma. Harrod, le "héros", n'hésite pas à se servir d'un cimetière manifestement possédé par une présence indescriptible pour assouvir sa passion de films d'horreur. Le cimetière est traité comme un personnage à part entière et la relation entre ce dernier et Harrod est intrigante et assez originale. La fin m'a semblé par contre un peu trop explicite et le comportement d'Harrod réussit à devenir agaçant à force d'idioties. Le vent d'originalité est toutefois le bienvenu, avec l'entrée définitive du Mythe dans la modernité.



Sueurs froides, par J. Ramsey Campbell (1969)



Je suppose que cette histoire se voulait un hommage à la littérature d'horreur et à ses représentants les plus excessifs. L'idée est intéressante mais un peu gâchée par un personnage principal particulièrement antipathique sans que cela ne soit par ailleurs justifié (parce qu'il aime les histoires d'horreur ? Bonjour le cliché...). Ha oui, précisons aussi qu'il passe la plupart du temps d'action de la nouvelle à faire des balades trépidantes dans les rues enneigées de sa ville... On voit assez rapidement où l'auteur veut en venir mais, avant d'y arriver justement, on trouve le temps un peu long. La librairie maudite aurait tout de même pu être mieux exploitée même si les derniers paragraphes sont assez sympathiques.



La Cité soeur, par Brian Lumley (1969)



Un jeune homme enquête sur la mort de ses parents et va découvrir qui, ou ce qu'il est vraiment... Pas vraiment d'ambiance horrifique dans ces pages, sans pour autant que ça en soit vraiment ennuyeux. Il y a quelque chose d'old school assez agréable. L'auteur s'attache à son modèle sans jamais parvenir à trouver l'essence du maitre. Un travail agréable mais très vite oublié faute d'un quelconque moment marquant, si ce n'est la description fragmentaire du mode de vie d'une race qui présente une certaine particularité: pour une fois, ce n'est pas elle qui est hostile à l'Homme, c'est l'Homme qui risque de la détruire sans même s'en rendre compte...



Le Rempart de béton, par Brian Lumley (1969)



Très moyen. Si vous cherchez une quelconque originalité, passez votre chemin. Un jeune gars rend visite à son oncle devenu fou après que l'une de ses fouilles archéologiques a mal tourné... Une quasi copie carbone d' Au delà du Seuil de Derleth (voir ma critique du tome 1). Des thèmes tellement rabâchés qu'il n'y a plus une goutte de jus pour émoustiller le lecteur de recueil. Sinon, évidemment, le style est propre et pas désagréable à suivre et un fan de tonton Lolo peut quand même passer un bon petit moment – à condition d'être très résistant à la répétitivité et d'accepter le fait de connaitre la fin de l'histoire dès la première page. L'ennemi présenté est quand même sympathique (c'est l'ancêtre du film Tremors !) et sauve la nouvelle de l'oubli total...



Ceux des Profondeurs, par James Wade (1969)



Ca fait quand même du bien de revenir à un auteur qui a les cojones de s'éloigner assez drastiquement de la sacro-sainte formule des pastiches ! Cette nouvelle n'est pas foncièrement extraordinaire, mais elle est tellement différente de tout ce qu'on a lu avant qu'elle marque quand même un peu l'esprit du lecteur – le mien en tout cas. Ici l'ennemi est... le dauphin ! Le cadre scientifique océanographique crédible mêlé de culture hippie semble s'inspirer du célèbre psychonaute John Lilly. Malheureusement, point de voyage indicible sous LSD (mais ça ouvre de superbes perspectives pour qui penserait à unir Lovecraft et drogues enthéogènes) mais des personnages plus travaillés qu'à l'accoutumée, une atmosphère dépaysante et de subtils rappels du Mythe qui s'insèrent très bien dans le tout. Rien d'extraordinaire, je le répète, mais je pense que la nouvelle vaut le coup d'oeil et me donne envie de m'intéresser à l'oeuvre de l'écrivain, également compositeur et journaliste.



Le retour des Lloigors, par Colin Wilson (1969)



Nous terminons (enfin !) ces deux recueils de pastiches par un gros morceau. Je n'ai pas toujours été convaincu par les tentatives de Lovecraft de transformer certaines de ses histoires en enquêtes. A mon humble avis, c'est dans ces moments-là que l'auteur de Providence révélait son écriture la plus lourde et maladroite. Wilson n'a pas ce problème. Sa prose est d'une redoutable efficacité et l'on tourne les nombreuses pages avec plaisir. La menace, tentaculaire, tient en haleine et sait ménager de vrais moments d'intensité et de malaise. Enfin, le héros est agréable et l'idée de mêler le célèbre manuscrit de Voynich aux affres du Necronomicon est bien vu – Lovecraft lui-même n'hésitait jamais à mêler inventions littéraires et ouvrages réels. Une façon idéale de terminer cette longue rétrospective de pastiches !



Conclusion



Bien que certaines de ces nouvelles se révèlent répétitives dans leur obsession de suivre le canevas inventé par Lovecraft, certaines permettent de s'en détacher suffisamment pour attiser l'intérêt des fans. Une lecture certes optionnelle mais d'assez grande qualité pour satisfaire les amateurs du bizarreries cosmiques...

Amrit
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le 7 juil. 2015

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