Là-bas
7.9
Là-bas

livre de Joris-Karl Huysmans (1891)

Foutaises démodées ? Calembredaines surannées ? Les deux ?

Après la lecture du « Soumission » dans lequel Michel Houellebecq rend un hommage indirect à Karl Joris Huysmans je m’étais promis de découvrir cet auteur défenseur de la cause naturaliste aux côtés de Zola et de Maupassant cause que soit dit en passant il renie avec virulence dans son premier chapitre. Egalement, vivement intéressé par les turpitudes sanguinaires de Gilles de Rais ancien compagnon d’armes de Jeanne D’arc qui se donnera corps et âmes à l’alchimie puis au satanisme pour devenir violeur et égorgeur de centaines d’enfants je découvris que KJH le mettait au menu de ce « Là bas ». Je décidai donc de lire cet ouvrage et m’apprêtait avec plaisir à rencontrer un nouvel auteur.

Voilà ! Livre terminé il faut faire le point car être en désaccord avec Michel Houellebecq et bousculer un auteur reconnu, largement oublié tout de même, ce n’est pas évident, cela doit être justifié !

Bien sur c’est un très bon écrivain, certainement un travailleur acharné qui utilise les mots, la langue française avec brio. Certains passages notamment la description d’un clocher ainsi que le travail de Carhaix le « sonneur », un simple repas entre amis, l’affaire Gilles de Rais sont très bien rendus. Tous les lexicographes, les lexicologues vont s’esbaudir à cette lecture car KJH est un très grand vocabuliste. Les mots rares, inusités peu courants sont légions et il faudra recourir assez souvent au dictionnaire ou, XXIème siècle oblige, à internet. Le récit, malgré une fin stupide, sans queue ni tête, est assez bien agencé autour d’une intrigue qui imbrique satanisme, religion catholique, amourette épistolaire puis consommée et vie de Gilles de Rais.

Le diable a existé au Moyen Âge il existe toujours et l’auteur tient à nous le prouver. KJH n’a de cesse à travers les dialogues alambiqués souvent sans intérêt de ses personnages à faire des allers-retours entre Dieu « Là bas » tout en haut et Lucifer l’ange déchu « Là bas » tout en bas. A vouloir mettre en place constamment une dualité manichéenne sans jamais passer réellement dans le fantastique KJH devient réellement lourd et ennuyeux avec ses digressions vides. Jamais on ne se sent pris par la main comme peut le faire un Lovecraft pour aller ailleurs vers ce nulle part tant convoité. L’intrigue…au fait y a-t-il réellement une intrigue ?...ne captive pas. L’histoire et la personnalité de l’auteur que l’on découvre à travers Durtal son avatar littéraire sont donc extrêmement décevantes. Le héros est un vieux garçon solitaire aigri et misogyne dont la vision de l’amour entre un homme et une femme n’existe tout bonnement pas. Que dire de la sexualité ? Il se repaitra seulement trois fois de sa maîtresse mais n’y trouve que fatigue et dégoût ! Pour lui le sexe n’est que « levain d’ordures », « Immondice en émoi ».

Le récit est fade, inconsistant, vide d’amour, emplit de longues palabres sur le satanisme, les vénéfices, la magie, l’alchimie comme on peut en trouver dans un ouvrage de seconde zone pour apprenti sorcier. La relation amoureuse vaudevillesque est d’une bêtise consternante et l’image de la femme ternie. Par moments il semblerait même que KJH dans sa prose obscure dédouane Gilles de Rais de ses crimes abjects. Oui Durtal est aigri il n’aime pas son époque et la conchie allègrement cherchant à nous prouver que le Moyen Âge avait des vertus cachées que l’on a oubliées.

On l’aura compris cette prose ne pourra intéresser qu’historiens, philologues et autres adeptes de sornettes ecclésiastiques. Le grand Michel Houellebecq au moins sur cet ouvrage se fourvoie donc quand il vante ce KJH (et encore plus quand il nous dit que Prévert est un con) malade de sa misogynie, de sa misanthropie, de ses aigreurs et qui peine à convaincre à travers des personnages peu consistants surtout stupides et malheureux sans le savoir.

Pour étayer mon raisonnement somme toute assez rapide, j’ai relevé ci-dessous quelques passages assez éclairants sur son aigreur, sa vision de la femme, du sexe et du Moyen Âge.

Aigreur

1/ introduction : A propos de Zola qu’il ménage tout de même et du Naturalisme

Non, il n’y a pas à dire, toute l’école naturaliste, telle qu’elle vivote encore, reflète les appétences d’un affreux temps. Avec elle, nous en sommes venus à un art si rampant et si plat que je l’appellerais volontiers le cloportisme. Dans un style en mauvais verres de couleur, de simples anecdotes, des faits divers découpés dans un journal, rien que des contes fatigués et des histoires véreuses, sans même l’étai d’une idée sur la vie, sur l’âme, qui les soutienne. J’en arrive, après avoir terminé ces volumes, à ne même plus me rappeler les incontinentes descriptions, les insipides harangues qu’ils renferment ; il ne me reste que la surprise de penser qu’un homme a pu écrire trois ou quatre cents pages, alors qu’il n’avait absolument rien à nous révéler, rien à nous dire.

Oui c'est vrai KJH à travers "Là bas" n'a pas grand chose à nous dire !

2 / Conclusion édifiante

Tout cela est fort bien, grogna-t-il ; mais ce siècle se fiche absolument du Christ en gloire ; il contamine le surnaturel et vomit l’au delà. Alors, comment espérer en l’avenir, comment s’imaginer qu’ils seront propres, les gosses issus des fétides bourgeois de ce sale temps ? Élevés de la sorte, je me demande ce qu’ils feront dans la vie, ceux-là ?

— Ils feront, comme leurs pères, comme leurs mères, répondit Durtal ; ils s’empliront les tripes et ils se vidangeront l’âme par le bas-ventre !

3 / Quant au peuple, on lui a enlevé l’indispensable crainte du vieil enfer et, du même coup, on lui a notifié qu’il ne devait plus, après sa mort, espérer une compensation quelconque à ses souffrances et à ses maux. Alors il bousille un travail mal payé et il boit. De temps en temps, lorsqu’il s’est ingurgité des liquides trop véhéments, il se soulève et alors on l’assomme, car une fois lâché, il se révèle comme une stupide et cruelle brute !

Quel gâchis, bon Dieu ! — Et dire que ce dix-neuvième siècle s’exalte et s’adule ! Il n’a qu’un mot à la bouche, le progrès. Le progrès de qui ? Le progrès de quoi ? Car il n’a pas inventé grand’chose, ce misérable siècle !

4 / Nous sommes peu méritants, car de quoi parler ? Répliqua Durtal ; les conversations qui ne traitent pas de religion ou d’art sont si basses et si vaines !

5 / Au reste, il n’y a d’intéressants à connaître que les saints, les scélérats et les fous ; ce sont les seuls dont la conversation puisse valoir. Les personnes de bon sens sont forcément nulles puisqu’elles rabâchent l’éternelle antienne de l’ennuyeuse vie ; elles sont la foule, et elles m’embêtent !

6 / Vraiment, quand j’y songe, la littérature n’a qu’une raison d’être, sauver celui qui la fait du dégoût de vivre !

7 / L’art devrait être ainsi que la femme qu’on aime, hors de portée, dans l’espace, loin ; car enfin c’est avec la prière la seule éjaculation de l’âme qui soit propre !

La femme

1 / Il se régurgita les souvenirs féminins de sa jeunesse, se rappela les attentes et les mensonges, les carottes et les cocuages, l’impitoyable saleté d’âme des femmes encore jeunes ! Non, décidément, ce n’est plus de mon âge, ces choses-là. — Oh ! Et puis, pour ce que j’ai besoin maintenant des femmes.

2 / Ce sont les femmes dites du monde qui achètent les livres et déterminent les succès ou les fours ; aussi, est-ce à la dame, comme l’appelait Schopenhauer, à la petite oie, comme je la qualifierais volontiers, que nous sommes redevables de ces écuellées de romans tièdes et mucilagineux qu’on vante !

Ça promet, dans l’avenir, une jolie littérature, car, pour plaire aux femmes, il faut naturellement énoncer, en un style secouru, les idées digérées et toujours chauves.

Le sexe : Aïe, Aïe, Aïe !

1 / Mais, soulevé quand même, il prit ce corps qui se tordait en craquant et il éprouva l’extraordinaire impression d’une brûlure spasmodique, dans un pansement de glace.

2 / Ah oui, sa désillusion était complète ! L’assouvissement de l’après justifiait l’inappétence de l’avant. Elle le répugnait et il se faisait horreur !

3 / La mort dans le cœur, il se dit : — oui, j’avais raison d’écrire qu’il n’y a de vraiment bon que les femmes que l’on n’a pas eues.

4 / Il n’y a que ces amours réelles et intangibles, ces amours faites de mélancolies éloignées et de regrets qui valent ! Et puis il n’y a pas de chairs là dedans, pas de levain d’ordures !

5 / s’il y avait seulement possibilité de la convaincre de l’inutilité des soubresauts charnels !

6 / Il était nu, et à la place du linge qui ceignait ses flancs, l’immondice en émoi de l’homme surgissait d’un paquet de crin.

8 / De même qu’un homme qui a trop bu, la veille, songe, le lendemain, à des diètes de boissons fortes, de même il songeait, ce jour-là, à des affections épurées, loin d’un lit.

10 / On aurait peut-être pu sans cela rester camarades, pécher modérément ensemble, s’aimer mieux que dans la voirie des chairs

11 / Ci-dessous je crois qu’il veut dire que sans femme on est mieux et que quand on n’y tient plus on peut toujours aller se faire sucer par une prostituée !

Enfin, ce petit roman est terminé ; la bonne chose que d’avoir le cœur en grève ! L’on ne souffre ni des mésaises d’amour, ni des ruptures ! Il me reste bien un cerveau mal famé qui, de temps en temps, prend feu, mais les postes-vigies des pompières l’éteignent, en un clin d’œil.

Sur Gilles de Rais et le Moyen Âge

1 / Et cela lui suffisait pour dresser debout la formidable figure de ce satanique qui fut, au quinzième siècle, le plus artiste et le plus exquis, le plus cruel et le plus scélérat des hommes.

À n’en pas douter, ce fut une singulière époque que ce Moyen Age, reprit-il, en allumant une cigarette. Pour les uns, il est entièrement blanc et pour les autres, absolument noir ; aucune nuance intermédiaire ; époque d’ignorance et de ténèbres, rabâchent les normaliens et les athées ; époque douloureuse et exquise, attestent les savants religieux et les artistes.

— Ce qui est bizarre, se dit-il, soudain, après un silence de réflexions, c’est que, toutes proportions gardées, Gilles de Rais se divise comme elle en trois êtres qui diffèrent.

D’abord le soudard brave et pieux.

Puis l’artiste raffiné et criminel.

Enfin, le pêcheur qui se repent, le mystique.

Il est tout en volte-face d’excès, celui-là ! À contempler le panorama de sa vie, l’on découvre en face de chacun de ses vices une vertu qui le contredit ; mais aucune route visible ne les rejoint.

2 / Il fut d’un orgueil orageux, d’une superbe immense et lorsque la contrition s’empara de lui, il tomba à genoux devant le peuple et il eut les larmes, l’humilité d’un Saint.

Sa férocité dépassa les limites du loyer humain, et cependant il fut charitable et il adora ses amis qu’il soigna, tel qu’un frère, dès que le démon les meurtrit.

Et ce peuple dont il avait et mâché et craché le cœur, sanglota de pitié ; il ne vit plus en ce seigneur démoniaque qu’un pauvre homme qui pleurait ses crimes et allait affronter l’effrayante colère de la sainte face ; et, le jour de l’exécution, dès neuf heures du matin, il parcourut, en une longue procession, la ville. Il chanta des psaumes dans les rues, s’engagea, par serment, dans les églises, à jeûner pendant trois jours, afin de tenter d’assurer par ce moyen le repos de l’âme du Maréchal.

3 / Le Maréchal soutenait ses complices, les embrassait, les adjurait d’avoir grande déplaisance et contrition de leurs méfaits et, se frappant la poitrine, il suppliait la vierge de les épargner, tandis que le clergé, les paysans, le peuple, psalmodiaient les sinistres et implorantes strophes de la prose des trépassés.

4 / Ce qui est certain, c’est que les immuables classes, la noblesse, le clergé, la bourgeoisie, le peuple, avaient, dans ce temps-là, l’âme plus haute. On peut l’affirmer : la société n’a fait que déchoir depuis les quatre siècles qui nous séparent de Moyen Age.

Alors, le seigneur était, il est vrai, la plupart du temps, une formidable brute ; c’était un bandit salace et ivrogne, un tyran sanguinaire et jovial ; mais il était de cervelle infantile et d’esprit faible ; l’église le matait ; et, pour délivrer le Saint-sépulcre, ces gens apportaient leurs richesses, abandonnaient leurs maisons, leurs enfants, leurs femmes, acceptaient des fatigues irréparables, des souffrances extraordinaires, des dangers inouïs !

Ils rachetaient par leur pieux héroïsme la bassesse de leurs mœurs. La race s’est depuis modifiée. Elle a réduit, parfois même délaissé ses instincts de carnage et de viol, mais elle les a remplacés par la monomanie des affaires, par la passion du lucre. Elle a fait pis encore, elle a sombré dans une telle abjection que les exercices des plus sales voyous l’attirent. L’aristocratie se déguise en bayadère, met des tutus de danseuse et des maillots de clown ; maintenant elle fait du trapèze en public, crève des cerceaux, soulève des poids dans la sciure piétinée d’un cirque !

Le clergé qui, en dépit de ses quelques couvents que ravagèrent les abois de la luxure, les rages du Satanisme, fut admirable, s’élança en des transports surhumains et atteignit Dieu !

SombreLune
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le 30 juil. 2022

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