Rien de très abstrus dans l'Insoutenable légèreté de l'être, juste des dynamiques desquelles il faut bien revoir la pertinence à la baisse. Pour récapituler le procédé, deux plateaux d'une balance existentielle viennent s'ajuster tout le long du récit, dont l'un jauge la légèreté, l'autre, la pesanteur d'un trait, d'un comportement, bref, d'un caractère singulier de la condition de l'« être » : tant l'amour, que la fidélité, que l'attache, que le sentiment.

Pour autant, le problème de ces mesures qui courent sur tout le roman provient de ce qu'elles sont tellement ressassées qu'elles en deviennent des rengaines plus ou moins insupportables et l'on ne cesse dès lors de se demander s'il était bien utile de s'y appesantir autant. Toujours les mêmes considérations qui resurgissent comme des ressorts interminables : « Il avait passé avec elle la plus belle année de sa vie, mais il n'en subsistait aucune preuve tangible. » et engoncent immédiatement l'oeuvre dans un dualisme catégorique qui incite au pathos.

Dans la même lignée, les personnages s'intègrent tous dans des cadres délimités de façon plus ou moins coriace. Carrés, duaux eux aussi, l'impression subsiste que l'on a affaire à des personnages-cubes mal ou trop ciselés, comme si l'intrigue quadrillait un tétris littéraire.
Tereza se pose en amoureuse d'un libertin par instinct, ce que l'on comprend suffisamment dès les premières pages, honnie par l'infidélité forcément vénielle pour son instituteur aux charmes irrésistibles qui fornique avec la première venue d'un simple « déshabillez-vous », ce qui, pour tous ceux qui ne l'auraient toujours pas bien enregistré, cristallise la figure du libertin absolu.
Tous les griefs convergent tous par ici, puisqu'à mesure que Kundera en rajoute des tonnes sur les figures et les dualismes qu'il ne cesse d'alimenter suivant les mêmes préceptes narratifs et qui ne font plus miroiter personne, l'ensemble en devient exsangue et compassé. Au final, reste un contenu famélique qui s'évertue à se dénicher une profondeur métaphysique qu'il est probablement difficile de faire émerger de la pédanterie.

Néanmoins, l'ouvrage n'est pas démuni de qualités intrinsèques. L'incipit s'élance sur une superbe lecture de l'Éternel retour nietzschéen étendue sur deux pages qu'il sera difficile d'oublier : « dans le monde de l'éternel retour, chaque geste porte le poids d'une insoutenable responsabilité. » Ca, c'est bien, quand même. On déplore, toutefois, que ces développements n'aient pas trouvé d'aboutissement satisfaisant, même si le récit s'efforce d'en apporter une illustration qui en vaille le coup.
Si le roman est émaillé d'aphorismes plus ou moins réussis, impossible de se résoudre à ne pas en citer les plus savoureux : « la coquetterie est une promesse non garantie de coït », « au royaume du kitsch s'exerce la dictature du coeur ». Les passages sur le kitsch sont à recommander. Quoiqu'on y retrouve, de toute évidence, les traces d'un ton on ne peut plus péremptoire.

Dommage, parce que l'approche générale était pour le moins intrigante. Kundera, en plus d'être catégorique et de peiner à masquer le pompeux de son propos, insiste trop sur ses filons et se borne au tropisme de la dualité.
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