Cette courte nouvelle sera à l'époque un aperçu de ce que deviendra le style de Howard Phillips Lovecraft. Toutefois, "L'Indicible" ayant été écrite au début de sa carrière, on ne sent pas encore toute la pertinence, la noirceur et le désespoir diffusés par l'ambiance cauchemardesque et dépressive propre à cet auteur de génie. En effet, dans cette nouvelle-ci, le narrateur est relativement immature concernant le domaine de l'indicible et du surnaturel. Même son attitude lors de son échange avec son interlocuteur (qui sera le second principal personnage du récit), et ses prises de position, seront, dans les futures oeuvres du Sieur Lovecraft, très différentes, bien moins enfantines et puériles. En effet, Lovecraft se caractérise par un univers noir où l'espoir n'a pas sa place, où rien n'a de sens, et où chaque protagoniste ne fait qu'avancer inexorablement vers sa chute, tout en en ayant plus ou moins conscience. A l'époque où vit Lovecraft, le fantastique, le surnaturel, et le gothique semblent les derniers refuges pour ces personnes banales (qui existent encore aujourd'hui d'ailleurs) qui recherchent un peu de frisson et de magnificence dans une société où le monde a de moins en moins de secrets à découvrir, où la science explique de plus en plus de choses, et où plus aucune parcelle de la surface du globe n'est inconnue. Et là où la plupart des auteurs de littérature fantastique essaient donc d'instaurer un peu de "magie", de "fantaisie" macabre dans leurs oeuvres, Lovecraft, quant à lui, refuse ces facilités et, même s'il méprise le monde réel et sa froideur insipide et terre à terre, il refuse tout de même, par respect pour ses lecteurs, d'écrire des histoires candides, aussi gothiques, macabres, et sinistres qu'elles pourraient tout de même être malgré tout. Il n'y a pas de surnaturel, il n'y a pas de magie, et la seule transcendance existante, dans notre univers désolé et morose, c'est la science bien plus développée, et les facultés de créatures, issues tout comme nous, du chaos de cette nature absurde où rien n'a de sens, qui nous surpassent tout simplement sur le plan de l'évolution, rien de plus, rien de moins.
Ce qui nous paraît invraisemblable, et donc fascinant, dans la littérature fantastique, le paraît souvent tout autant à certains personnages, au début des nouvelles de Lovecraft, sans que l'auteur n'omette le fait qu'il ne s'agit que de sciences qui nous dépassent, car nous sommes des créatures insignifiantes.
Rien n'a de sens dans nos vies, mais les personnages de Lovecraft refusent de l'admettre, tout en ayant malgré tout au fond d'eux conscience de la vacuité de l'existence, une existence qui les mène inexorablement à leur perte.
Bref, dans cette courte nouvelle, nous n'avons que les aspects les plus superficiels de l'univers mythique de Lovecraft: des personnages avides de connaissances, des créatures indescriptibles, aburdes et grotesques d'un point de vue humain, mais pourtant ô combien supérieures à nous autres, pauvres mortels insignifiants.
Voilà pourquoi j'ai un peu de mal avec cette nouvelle, trop courte et superficielle. Toutefois, la plume y est magnifique, et l'atmosphère ne peut qu'emporter le lecteur. Bref, cette nouvelle prometteuse ne pouvait que laisser présager à quel point Lovecraft, avec la maturité, allait devenir un écrivain incontournable de Science-Fiction/Fantastique/Homérique.