L'Idiot
8.4
L'Idiot

livre de Fiodor Dostoïevski (1870)

Une première expérience avec Dostoïevski (enfin, mise à part une de ses nouvelles s'étant avérée plutôt décevante). Et une première expérience merveilleuse...
Bon, loin de moi l'idée d'écrire une critique en tant que telle, c'est-à-dire longue, aboutie, fouillée. Elles sont déjà bien trop nombreuses et bien trop intéressantes. Cela dit, je vais parler d'une relation capitale dans l'oeuvre, parce qu'elle est splendide: le triangle amoureux Mychkine- Rogojine- Nastassia.


Il faut avant tout s'intéresser à chaque personnage. Rogojine, le sombre, celui qui dépense tout son argent, le débauché, l'effréné. Mychkine, le prince d'une incroyable douceur, mais si réaliste. Un peu naïf, mais à peine, il n'est pas candide. Il observe justement. Nastassia, elle, est complètement torturée, inconstante surtout, et ne peut se donner à un autre- elle s'aime bien trop. Vus comme ça, ces personnages sont presque stéréotypés. Mais c'est leurs différentes relations qui leur donnent une réelle profondeur. Rogojine est lié à Mychkine, comme un frère. Ils s'aiment, et il me semble que c'est l'amour le plus honnête du roman. Toutefois, on observe une espèce d'adversité entre les deux. A priori, à cause de l'amour qu'ils portent à Nastassia. Mais cela n'est pas grave. Dès leur première rencontre, ils s'aiment. Et à la toute fin, devant le cadavre de leur bien-aimée, ils s'aiment. Ils ne sont pourtant qu'assez peu ensemble- seul petit reproche que je ferai au roman- seulement de brèves rencontres (mais magistrales). Leur relation n'en est pas moins marquante...
Viennent Rogojine et Nastassia. Ce qui est étonnant, c'est la façon qu'ils ont de former à la fois qu'un seul et même être, et deux personnes bien distinctes. La majeure partie du temps, ils sont ensemble. Souvent, Nastassia laisse croire au prince qu'elle voudra de lui. Mais elle retourne toujours dans les bras de Rogojine. Leur unité est marquée par la fuite perpétuelle de Nastassia (avec Mychkine aussi, d'ailleurs) liée à sa folie. Elle est incapable de rester avec Rogojine. Il en est de même avec Mychkine. Le dernier chapitre du livre I, et la fin du livre IV le montrent plus encore que le reste: elle s'amuse, elle lui demande s'il veut l'épouser, elle semble même le désirer. Puis elle rit, aux éclats, elle est effrayante et hystérique (une personne raisonnable voudrait à tout prix s'en éloigner, mais Rogojine et Mychkine, ils l'aiment, c'est ça qui est fabuleux). Et son mariage avec Mychkine représente sa fuite finale, ultime. Elle était proche de l'autel, elle a préféré rejoindre Rogojine. Elle a couru vers la mort. Le personnage de Nastassia est fascinant, peu importe si elle meurt, elle semble ne penser qu'aux deux hommes, les posséder et les fuir. C'est sa folie, semble-t-il, qui la pousse et la guide. Dès lors qu'on lui retire un de ses amours- ou jouets- elle sombre dans l'hystérie la plus totale (il suffit de voir lorsqu'Aglaïa lui donne rendez-vous, pour parler du prince, elle sait qu'Aglaïa en est amoureuse, alors elle crie au prince de la choisir, et bien qu'il aime Aglaïa, il choisit Nastassia, difficilement, mais définitivement; même s'il essaie encore constamment de revoir Aglaïa). A côté de tout ça, Mychkine est le seul à, à peu près, ressentir un amour non-dévastateur. Et encore... On hésite entre une sorte de compassion protectrice qu'il a pour Nastassia, ou un amour réel, profond, et incompréhensible. Il le dit lui-même, elle l'effraie. Son visage l'effraie.
Alors on ne comprend pas tout ça. Pourquoi Mychkine aime-t-il Nastassia alors qu'il en a peur? A-t-il vraiment peur d'elle, ou d'autre chose? Pourquoi Rogojine la tue-t-il? Et d'autres questions encore... On ne comprend pas ce triangle amoureux, on croit le comprendre, mais on ne peut pas... Il se ressent, seulement.
Bien sûr, on peut voir dans l'Idiot une critique de la noblesse russe à travers le regard naïf et sincère de Mychkine. Le thème du désistement et de la véhémence (comme l'a si bien décelé Michel Guérin) aussi, par exemple. Mais je préfère, largement, être émue par la puissance d'un amour étrange et complexe, si beau. Beau, c'est le mot, l'oeuvre est d'une beauté époustouflante. Et, c'est la beauté qui sauvera le monde...

Pithecanthropus
9
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le 25 janv. 2014

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