L'Humanité disparaîtra, bon débarras ! par Julius-Grakus

Albert Einstein disait qu'« il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre. »


Les problèmes qu'évoque ici Yves Paccet, que je lis avec 15 ans de retard, tout le monde les connaît désormais : ils sont gigantesques, plus grands que nos plus hautes montagne. Ils sont gravissimes, brûlants comme un feu de forêt en Amérique du nord et toxiques comme une marée noire. Bref, ils sont aussi encombrants et polluants qu'un continent de plastique.
On en parle (au 20 heures), on en discute (dans des COP et dans des colloques), on les analyse (dans les rapports de GIEC et dans des essais brillants), on s'en saisit (dans des promesses électorales et autres argumentaires commerciaux).


Yves Paccet, lui, en fait une arme, et pas n'importe laquelle : de destruction massive. Une méga, qui pourrait anéantir rien moins que le genre humain dans son entier.


Ce cri de rage (ô) et de désespoir (très haut), je l'ai formulé avant même de connaître l'existence de ce bouquin. J'ai en effet souvent pensé que nous n'étions qu'une pauvre espèce ratée, ne méritant pas sa chance. Animaux néoténiques dit-on : nés incomplets. Allez disons les choses clairement : on n'est finis les gars !


Pourtant, en lisant Andréas Malm (L'anthropocène contre l'histoire), j'ai recouvré mes esprits : non l'espèce humaine n'est pas fautive dans son ensemble, nous ne partageons pas tous les mêmes responsabilités. Parlons de capitalocène plutôt que d'anthropocène. Et pour ceux qui en douteraient, plongez dans La fin de la mégamachine de Fabian Scheidler ou dans Le Progrès sans le peuple de David Noble. Lisez aussi, si ce n'est encore fait, Humanité, pour une histoire optimiste de Rutger Bregman. Lisez Ellul et lisez Illich encore (oui, oui, j'aime beaucoup les anarchistes).
Je sais qu'il en est pour soutenir que « de tout temps » l'homme a détruit son environnement, saccagé le couvert végétal et décimé les animaux avec qui il devait cohabiter : extermination de la mégafaune par nos ancêtres chasseurs-cueilleurs (en fait, surtout à partir de -50.000 ans, avec la conquête du monde par Homo Sapiens lorsqu'il décide de quitter l'Afrique et avec – attention ça fait mal – le développement du langage), concurrence pour le surplus de la production déjà observable dans les vieilles civilisations (Sumer de -3700 à -1600, Rome de -500 à 500, Mayas de 200 à 900…). C'est pourtant une vision fortement discutable, et à double titre :
1. Parce que certains exemples pris pour illustrer le propos sont aujourd'hui reconsidérés (l'Ile de Pacques par exemple) ;
2. Parce que le mal qui ronge notre avenir aujourd'hui est d'une tout autre ampleur.
La logique reste la même, serait-on en droit de penser : une simple différence de degré plutôt que de nature. Aujourd'hui que nous avons les moyens, nous pouvons défaire les choses en grand ! Je n'en suis pas certain (qui est ce nous ?). Car cette logique, justement, semble effectivement préindustrielle mais pourtant complètement corrélée à l'idée de hiérarchisation des rôles et des responsabilités au sein de certains groupes humains. Il en est chez nos frères en humanité qui ont fait, sciemment, le choix inverse et sont parvenus à le maintenir assez longtemps pour que des anthropologues (Clastres par exemple) nous montre qu'ils n'étaient pas des peuples sans État mais contre l'État. Il en est encore pour défendre des projets du même ordre (et je retrouve mes anars qui sont, me semble-t-il, les seuls à avoir compris avec autant d'acuité que le mal vient de l'appropriation – de la propriété).


J'ai donc bien envie de crier comme Yves Paccalet que nous ne valons pas l'air que nous respirons, pas la crotte de chien dans laquelle nous piétinons. Que nous ne sommes que des vaniteux gloutons nuisibles imbéciles. Un vrai cancer pour cette planète. Mais même si je comprends cet énervement (souvent fort bien exprimé), cette provocation (souvent drôle), cela reste fondamentalement injuste (en plus d'être désespérant) : c'est faire fi des rapports de domination qui sont, pour une grande part des humains de cette planète, en eux-mêmes une véritable abomination, une mort symbolique, déjà.


Bref : voici un petit essai fort et souvent percutant, une bonne claque pour se réveiller (prendre conscience) ou se coucher (baisser d'un ton sur le progrès, la supériorité de l'animal humain, etc.). J'ai même tendance à penser qu'il est malheureusement probable que Paccalet ait raison : il est possible que la plupart de l'humanité ne se remette pas des erreurs qu'elle laisse faire depuis trop longtemps (par faiblesse ? croyance ? égoïsme ?) et qu'elle pourrait finir en fumée dans un bouquet final en forme de champignon nucléaire (le plus vénéneux de tous) plutôt que de se laisser tranquillement sécher au soleil, sous les températures augmentées par les gaz à effet de serre : car comme disait une fois encore, Albert « Je ne sais pas comment on fera la Troisième Guerre mondiale, mais je sais comment on fera la quatrième : avec des bâtons et des pierres ». Pourtant, ce ne serait pas juste.

Julius-Grakus
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le 21 déc. 2021

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