Et pourtant, ça aurait pu marcher...

Dans la mesure où il s'agit de l'élément final d'une série de romans dont la qualité pourra raisonnablement être remise en question, L'Héritage surprend : ça aurait pu être pire encore. Je m'attendais à une épreuve, un véritable calvaire long de 800 pages d'ennui et de désespérance. J'anticipais un récit si stupide qu'il en devient comique, dans la veine de l'abominable Brisingr... Eh bien, las, je me trompais : ce quatrième volume est correct.
Attention : il n'est pas bon. Bien au contraire.


Commençons cependant par ce qui fâche : la proposition de Paolini est classique. Tout est attendu, tout est prévisible, du début jusqu'à la fin. De Galbatorix tentant d'attrier Nasuada et Eragon du côté obscur de la force (ah, mes excuses, je me suis trompé d'oeuvre), aux oeufs de dragons accompagnés de leurs esprits gardiens qui ne surprennent que dans la mesure où ils sortent de nulle part ; à ce point du récit, j'en étais réduit à tourner mollement les pages, dans l'attente que tout ceci, enfin, s'achève, puisque ce n'était pas assez mauvais pour mériter un catapultage par la fenêtre en bonne et due forme, mais certainement pas assez bon pour que j'éprouve un quelconque enthousiasme.


C'est effroyablement mal écrit. La syntaxe est pauvre, les phrases sont dénuées de rythme, les descriptions sont à peine fadasses -- il est tout à fait inutile de se lancer dans la description de cités merveilleuses et improbables si on est incapable de rendre compte de leur splendeur. Et ce ne sont pas les quelques mots érudits semés ici ou là qui changeront quoi que ce soit à la piteuse écriture présentée.


Continuons, et parlons du grand méchant loup. Le traitement de Galbatorix, pour le formuler simplement, pue l'amateurisme. L'auteur nous bassine depuis trois tomes, c'est-à-dire un beau paquet de pages, avec son Grand Empereur du Mal, sans qu'on n'en voit ne serait-ce que l'ombre de l'arête du nez -- notez que c'était pas un mal, son absence créait une véritable menace -- et, alors qu'il entre enfin en scène, non seulement il est une coquille vide et ô combien décevante, mais tout l'effet est miné par la Révélation Soudaine que nous offre un chat-garou (ne sont-ils pas pratiques ?) qui nous sort nonchalamment : "Il y a d'autres puissances à l'oeuvre en Alagaësia." Heureux de l'apprendre, je suppose, bien ça vienne sans doute un peu tard. Tellement tard qu'il ne faut attendre qu'une centaine de page (soit une petite demi-heure de lecture, en prenant son temps) pour que l'on apprenne le fin mot de l'histoire... Et comme de juste, Paolini nous sort un bon vieux deus ex machina de derrière les fagots. Il faut dire que lorsqu'on s'est fourré dans un cul-de-sac narratif comme celui-là (j'y reviens), il n'y a pas trente-six solutions.


Galbatorix, donc, est un merveilleux coquillage. Il est très joli, on regrette juste qu'il ne fasse pas grand'chose. On pouvait le sentir venir, ceci dit : rester caché ainsi plus des trois-quarts du cycle, c'était suspect. Et aussi loin dans le récit, continuer à nous titiller avec le Grand Méchant, tellement incroyable qu'il a génocidé une caste de surhommes à lui tout seul, et puis il aurait aussi pu tout résoudre dès le prologue du premier tome pour peu qu'il ait dénié sortir de sa caverne, ça devenait gros... comme un dragon, tiens. Comment donc expliquer l'incompétence de ce vilain ? Mais c'est bien sûr ! Il ne voulait pas tuer ses ennemis, mais les convertir... Certes, certes : on ne sort guère des sentiers battus, dites-moi. Ceci n'explique toujours pas pourquoi il n'aurait pas pu sortir son gros bestiau quelques milliers de pages plus tôt et s'occuper de tout ce merdier qui finira, immanquablement, par lui coûter son empire ; il est à peu près clair qu'il équivaut à lui tout seul une armée. Rien de l'empêchait de régler le problème posé par les rebelles dès le premier tome (tout en tuant un Dragonnier débutant qui finirait par devenir gênant au passage), et donc de lancer sa tentative de retournement sur Nasuada un peu plus tôt... et de manière sans doute plus efficace, sa cause étant de toute manière fichue. Mais tout cet axe scénaristique fait à peu près autant de sens et est aussi bien écrit que Star Wars III, et ce n'est pas exactement l'objectif qu'un écrivain débutant devrait viser. Pour épiloguer : Galbatorix, du moment où il apparaît en chair et en os, est un méchant en mousse d'une fadeur presque remarquable ; ceci étant dit, lorsqu'on pose comme axiome que le Grand Méchant est (littéralement) imbattable, on s'interdit de fait l'essentiel des voies de résolution possibles et il ne reste donc que la plus stupide.


Enfin, le récit est très inégal. Si les chapitres concernant Nasuada (à l'exception de son incarcération, entendons-nous bien) brillent au milieu du reste, les enjeux de pouvoir présentés n'étant pas inintéressants, les atermoiements d'Eragon et de Roran sont d'une ennui... Quoique : même si les deux sont des chiffes molles sont consistance, on peut difficilement reprocher au premier de ne rien faire. Au second, par contre...


Pour nuancer tout ceci, il faut quand signaler que certaines choses fonctionnent, bien qu'elles soient rares. Et qui sait, peut-être qu'un jour Paolini écrira (s'il écrit encore) quelque chose digne d'intérêt. D'une part, l'épilogue étendu n'est entièrement à jeter. C'est bien sûr d'une naïveté confondante, et les termes finaux de la résolution du conflit se voient venir trois cent pages à l'avance... mais je reste impressionné par l'arrogance nécessaire pour oser sortir une conclusion pareille, pardonnable pour un gosse de 10 ans qui n'a jamais lu un journal de sa vie, mais certainement pas pour un adulte qui avait plus de vingt-cinq ans à la parution de ce dernier tome. Au-delà de la discours niaiseux (type "La guerre c'est mal parce que y'a des gens qui meurent"), il y a quelques réflexions ici et là, classiques certes, et menées sans grande originalité, mais qui ont le mérite d'exister et de poser des questions pas complètement inutile : la place dans une société et la réglementation de la magie, ce qui revient à peser l'intérêt de la technique face à ses dangers, au risque de créer une élite despotique ; l'entente entre les peuples (bien que dans ce cas précis, il vaut mieux ne pas essayer d'apporter des solutions) ; et, de manière particulièrement importante, le rôle du langage.


Et ici nous avons un problème de cohérence. Si je suis content qu'il se pose enfin la question de la place du langage dans son univers, dans la mesure où tout son système de magie est entièrement fondé là-dessus, je suis dépité par la manière dont il la mène, sans réflexion générale et soumis à sa piètre narration. Il affirme le langage comme constituant de base de l'univers, comme racine de celui-ci : l'ancien langage, c'est dit clairement, n'est pas qu'un véhicule ; il est une représentation directe et parfaite de l'univers, au point qu'il en est la langue naturellement parlée et comprise par le végétal et l'animal, si ce n'est le minéral. Autrement dit, l'ancien langage est l'univers, et de là ses propriétés unique : la langue force le vrai, et même le crée, puisqu'elle (très littéralement) est. D'où, très logiquement, l'impossibilité du mensonge (ce qui, au passage, invalide irrémédiablement l'ancien langage comme mode de communication, et il devrait y avoir en sus de l'ancien langage, un "elfique", mode de conversation courante). Donc, puisqu'un langage, c'est-à-dire un mode de communication verbal ordonné car doté d'une grammaire, est à la racine-même du cosmos (pour être plus exact : il y a identité entre les deux), rien ne devrait pouvoir s'exprimer hors de ce langage. Donc, les dragons sauvages mais intelligents qui s'expriment à grand coups d'idées et d'images, c'est stupide, et le sort rose bonbon qui guérit Galbatorix, c'est pire encore. C'est certainement très pratique, vu le puits au fond duquel Paolini s'est fourré à ce point du récit, mais stupide malgré tout.


Donc : j'accorde un bon point pour avoir réfléchi un peu (en particulier, la jolie idée trop peu exploitée du nom de tous les noms ; c'est très joli, bien que facile et trop pratique, mais joli néanmoins -- par contre : "Galbatorix l'a trouvé après maintes recherches sur des tablettes très très poussiéreuses dans des contrées très très lointaines", c'est nettement moins joli), mais je le retire aussitôt parce que peut mieux faire.


En guise de conclusion : j'ai gâché beaucoup de mots pour quelque chose qui n'en vaut sans doute pas autant. Et je me permettrai d'affirmer que L'Héritage, autant que ce qui le précède, c'est nul. Divertissant, probablement, mais mauvais néanmoins.
En dehors de Nasuada, comme évoqué pour plus haut, et à la rigueur Angela, qui fait preuve de traits d'humour bien placé (Cui cui ?), tout est à jeter sans discrimination. Et parce que je ne peux pas ne pas le mentionner : il y a au milieu de tout ça une explosion nucléaire. De toutes les explications possibles pour la désertion de l'île des dragonniers, il a fallu qu'il nous sorte E = mc², un cours de physique niveau CE1, des animaux mutants et des escargots bondissants -- ces derniers étant parfaitement normaux et issus, à en croire les notes de fin de volume, d'un pari (prenait-il son propre roman au sérieux ?). Et histoire de conclure de conclure dans les révélations innatendues : Arya devient reine, et dragonnière de surcroît, parce que le syndrome Mary Sue n'était pas encore assez présent.

Penro
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le 1 nov. 2012

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