Ecrire sa vie

Le jeudi 6 octobre 2022, l’écrivaine Annie Ernaux obtient le Prix Nobel de Littérature. En entendant la nouvelle à la radio, j’ai ressenti un grand soulagement : j’avais souhaité qu’elle soit récompensée et j‘ai été entendu ! S’il fallait retenir un livre parmi sa bibliographie, je choisirais sans hésiter L’événement, sorti en 1997, qui relate son avortement clandestin dans les années 60 alors qu’elle était étudiante. A l’époque, l’avortement était considéré comme un crime, comme le prouve un extrait de l’édition de 1948 du Nouveau Larousse Universel, cité par Annie Ernaux dans L’événement :

« Dr. Sont punis de prison et d’amende 1) l’auteur de manœuvres abortives quelconques ; 2) les médecins, sages-femmes, pharmaciens, et coupables d’avoir indiqué ou favorisé ces manœuvres ; 3) la femme qui s’est fait avorter elle-même ou qui y a consenti ; 4) la provocation à l’avortement et la propagande anticonceptionnelle. L’interdiction de séjour peut en outre être prononcée contre les coupables, sans compter, pour ceux de la 2ème catégorie, la privation définitive ou temporaire d’exercer leur profession. »

La lutte pour le droit des femmes dans les années 70 a porté ses fruits : la loi sur la légalisation de l’avortement, ardemment défendu par Simone Veil, a été adoptée en 1974 à l’Assemblée Nationale.

La lecture de ce récit intense, beau et intime d’Annie Ernaux m’a bouleversé. J’ai ressenti sa détresse, son envie d’en finir avec cette grossesse non-désirée, son envie de disposer de son corps, de sa liberté, son envie d’émancipation. Il n’y a pas vraiment de dialogue mais le texte nous fait éprouver au fond de nous-mêmes cette épreuve qu’elle est en train de traverser dans une société à la fois archaïque et moderne qui ne se préoccupait guère du sort des femmes. Le livre et l’adaptation cinématographique (que je recommande chaleureusement) rappellent que l’avortement est un droit, malheureusement remis en cause dans certains pays de nos jours (aux États-Unis par exemple) et à travers L’événement, Annie Ernaux apporte sa propre réponse à la question : est-ce la Loi qui détermine ce qui est juste ?