L'Éthique
8.2
L'Éthique

livre de Baruch Spinoza (1677)

Précurseur de la morale laïque et du développement personnel

Il est étonnant d'appeler rationaliste le philosophe incapable de distinguer la vérité de la réalité. L'inaccessibilité de la première occasionne la seconde, sitôt que la tentative d'objectivation de la vérité conduit inexorablement à s'enfermer dans une sous-matrice de la réalité : la croyance. Dès lors, se rit-on des velléités spinozistes d'opposer sa fallacieuse définition de Dieu à celle des religions par le travestissement de la nature, c'est le fameux panthéisme.


D'après Spinoza, il n'existe qu'une seule substance (ma préférence va pour immanence), soit Dieu, pour expliquer tout ce qui est. Pour ma part, j'en distingue deux : la nature et la raison, car prétendre que la raison est un attribut de la nature reviendrait à rejeter la faillibilité de cette raison au regard de son infalsifiabilité, ce qui est absurde, à moins d'envisager un mode de connaissance adéquat par intuition, mais de toutes ces astuces aporétiques, il ne ressort rien de plus qu'une complexification purement abstraite par malhonnêteté intellectuelle, sinon par aveuglement de principes résolument faux. On voit assez bien la manière dont a été structuré l'essai, les propositions se succèdent par empilement pour faire accepter les précédentes, sans le souci de la solidité des fondations. La preuve suffisante concernant les bases lacunaires de l'ouvrage se tient à l'absence de définition de l'entendement. « Un entendement, actuellement fini ou actuellement infini, doit comprendre les attributs de Dieu et les affections de Dieu et rien autre chose. » (prop.XXX-1ère partie) cela est beau de lire que même chez les tenants du déterminisme, on est soumis à quelque devoir.


Il n'est pas grand chose à dire sur la deuxième partie, où la voie s'ouvre à une étude psychologique, et il n'appartient pas à cette critique de s'affairer de cette balayure de la philosophie, on eût aimé pour le moins connaitre le rapport au réel vis-à-vis des affections qu'il propose tant ses démonstrations ressemblent davantage à des explications qu'à des argumentations. On notera simplement (cor. prop.XLIX) « La volonté et l’entendement sont une seule et même chose. » : il ne faut pas s'étonner d'une telle assertion chez ce malheureux abstracteur, mais il convient néanmoins de signaler que si la volonté est la même chose que l'entendement, c'est dire que la nolonté n'existe pas en ce qu'il n'existe pas de non-entendement, cette incohérence nous force à considérer la volonté comme puissance agissante de l'entendement. Bien sûr, il s'agit dans le même temps de réaffirmer la substance de l'entendement, nous éclaircissant sur la nature de cette erreur chez Spinoza.


Dans la troisième partie, l'auteur revêt sa casquette de coach en développement personnel et nous offre ses définitions pour chaque affection. Outre la facilité déconcertante de l'exercice, la grossièreté des définitions (« l'amour est une joie qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure » alors que toute affection renvoie nécessairement à une cause extérieure), ce qui doit interpeler le lecteur, c'est qu'il n'est toujours pas question d'éthique, c'est-à-dire du traitement d'une objectivité de la justice. D'ailleurs, si le livre ne s'était appelé « l'Éthique », je ne me serais jamais attelé à cette médiocre lecture. Il est quand même scandaleux qu'avec un titre pareil, l'œuvre ne s'attache qu'à décrire tout ce qu'il y a de plus subjectif et irrationnel (Dieu, l'âme, les affections) en s'affirmant comme unique et seule Vérité.


La partie 4 est la plus intéressante du livre, intérêt tout relatif quant à la stérilité globale de l'entreprise, c'est simplement celle qui expose le mieux la morale laïque de Spinoza. Par exemple, sa proposition VIII contrevient absolument à l'éthique en ce qu'une chose nuisible à la conservation de son être peut être bénéfique pour sa substance mère (qu'il faudrait appeler dignité), soit la délivrance d'un mal (suicide ou euthanasie) apparait une meilleure option qu'une vie douloureuse. D'autre part, le suicide rationnel, volonté essentielle de l'être humain pour accéder à la maitrise de soi, ne semble pas effleurer l'esprit du philosophe, de là s'observe une sacralisation terriblement religieuse de la vie. De toute évidence, puisqu'il rejette également le « droit naturel » (concept totalement absurde chez l'être doué de raison) au profit de la loi (donc éminemment subjective) (voir prop.XXXVII scolie II) au motif fallacieux qu'une affection ne saurait être réduite que par une affection plus forte, Spinoza ne comprend pas l'essence même de l'éthique, dont le sujet n'est par ailleurs jamais abordé, qui conçoit une justice objective, immanente, c'est-à-dire comprise en soi par tout être raisonnable.


La dernière partie n'apporte aucun élément supplémentaire à ce ramassis d'arguties, on y lit dans la préface « Quant à la manière de porter l’Entendement à sa perfection et à la voie y conduisant, ce sont choses qui n’appartiennent pas au présent ouvrage », voilà qui est fort dommage, on eût apprécié avoir les leçons de cet homme admirable, dont la raison a pu accéder à la Vérité, pour nous en indiquer la voie. Hélas, c'est là le fardeau du coach en développement personnel qui vous dit quoi faire sans se montrer capable de l'exemplifier tant son existence est misérable.

kaireiss
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le 12 mars 2022

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