Ou comment la frustration fut mon unique récompense.

Bon, j'imagine que même si c'est un principe compréhensible sur un site de critiques, où l'avis de chacun n'appartient qu'à son auteur, il est toujours bon de rappeler bien fort que cette critique ne va être que l'expression de mon avis et que vous ne serez peut-être pas d'accord avec moi, c'est la vie, voilà. Histoire qu'on vienne pas me dire que j'attaque gratuitement Marguerite Duras ou un autre truc dans le genre.


"L'Eden Cinéma", donc. Par Marguerite Duras, auteure culte de la littérature française qui a écrit pas mal de romans cultes ("L'Amant" étant l'un des plus reconnus) et qui fut l'une des grandes figures intellectuelles françaises du 20ème siècle. Eh bah, putain... j'espère franchement que tous ses autres romans ne sont pas comme celui-là (enfin, j'y reviendrai mais celui-là est une pièce de théâtre, pas un roman), parce que sinon, rien ne me retiendra de crier à l'escroquerie. Disons que je ne vais pas juger trop vite mais pour ce que j'ai eu dans mes mains, bon sang, que c'était mauvais.


Mais revenons au début. Ce... truc est donc une pièce de théâtre ayant été écrite pour la Compagnie Renaud-Barrault et ayant été mise en scène en octobre 1977 au Théâtre d'Orsay. Elle va nous raconter, à travers des flash-backs, l'histoire d'une vieille femme dont nous ne connaissons pas le nom. Elle est vieille, a vécu beaucoup de choses, s'est installée au Vietnam dans les années 1930 (peut-être, je dois bien avouer que ce p'tit détail, j'm'en rappelle plus) après avoir été pianiste pour le lieu donnant son nom au livre et a hérité de cultures impraticables (et a tenté plusieurs stratagèmes pour les sauver des marées de juillet, qui les détruisent). Trois autres persos gravitent autour d'elle : un caporal qui est là pour l'assister. Je crois ? Peut-être. J'ai honnêtement pas compris à quoi il servait, à part ne rien dire.


Et il y a aussi ses deux enfants : Suzanne et Joseph. La première est une ado de 16 ans ne sachant pas très bien ce qu'elle veut dans la vie (c'est tout ce que j'ai pu deviner) mais qui est attachée à son frère, le deuxième est un homme d'un âge que je n'ai pas pu déterminer, mais qui aime les armes et culbuter toutes les femmes blanches qui passent dans le coin. Je n'exagère même pas, c'est dit littéralement dans le livre.


La première partie va consister à suivre la vie extrêmement chiante et routinière du trio (vu que le caporal n'est un personnage visible et actif que si on regarde une mise en scène, je parlerai du trio de personnages) jusqu'à leur rencontre avec un dénommé Mr Jo, fils d'un riche homme possédant de larges cultures qu'il revend cher à des sociétés étrangères et qui va se prendre de passion pour Suzanne sans qu'on ne sache trop pourquoi et ça capotera parce que le père veut marier son fils à une riche. Le tout entrecoupé de déclarations se voulant profondes ou voulant partager je ne sais quelle émotion, mais qui m'ont personnellement beaucoup assommé, tellement c'était du blabla pour ne rien dire.


La seconde partie essaie un peu de s'échapper du train-train de nos bons amis et de proposer autre chose. A savoir, Joseph et Suzanne qui partent autre part, le premier pour on ne sait quoi (enfin... on apprendra plus tard que c'était pour une femme. Ouais, il a vraiment cette idée fixe, le mec, c'est un chaud lapin), la seconde pour retrouver Mr Jo, pas par amour, mais parce qu'il leur avait laissé un diamant qui coûtait 20 000 piastres et que comme la mère n'arrive pas à le vendre à ce prix, elle veut qu'il lui donne les deux autres diamants qu'il possédait. Lol. Objectif qui ne marchera pas, parce qu'il refusera tout net. Re-lol. Et c'est ainsi que ça va se finir : sans aucun but accompli. Re-re-lol. Ah, et il y a aussi une espèce de discours anticapitaliste mais il est très mal branlé et assez vague et ne se résume qu'à une lettre que la mère envoie aux gens qui lui ont vendu ses cultures. Même si je dois avouer que ce n'est pas désagréable de voir des connards se faire légitimement incendier... dommage que ça n'aille pas plus loin dans l'action et que ça n'intervienne qu'à la toute fin de ce livre merdique.


Bon. Alors, vu que je ne l'ai lu que sous forme écrite, je ne parlerai en aucun cas de mise en scène et ne parlerai pas des acteurs, parce que là, ce serait vraiment la pire mauvaise foi possible, mais... méritaient-ils cela ? Je ne le pense pas. Ils méritaient une pièce mieux écrite que celle-là. Mais je sens que vous vous impatientez, voici donc quelques raisons de pourquoi je n'ai pas du tout aimé "L'Eden Cinéma".



  • Déjà, il ne s'y passe rien. Enfin, non, c'est inexact : disons plutôt qu'il ne s'y passe rien d'intéressant. Limite, je pourrais vous refaire mon résumé en une seule ligne : "C'est l'histoire d'une vieille et de ses deux gosses qui essaient de faire des trucs et qui n'y arrivent jamais, en plus, ils ont l'air d'à moitié s'en foutre". On les voit marcher. Des fois, ils partent autre part. Y'a des persos qui discutent, mais c'est tellement bref et ça ne fait tellement passer aucune émotion (et ça, j'en reparlerai plus bas) que, bah... y'a rien. Juste rien.


  • Ensuite, les personnages sont antipathiques au possible. Mais ils le sont au stade passif. A savoir qu'on ne ressent aucune émotion pour eux. On ne s'attache pas à eux, mais on n'a pas non plus envie de les beugner ou de les secouer en hurlant pour qu'ils se bougent. Juste... rien. Et quand il y a des scènes qui se veulent émouvantes (par exemple, la scène où Suzanne retrouve sa mère après avoir fait son voyage et retrouvé Mr Jo), cela foire juste lamentablement, tellement les personnages ne font rien ressentir. D'ailleurs, les personnages sont mal écrits, tout bonnement. Leurs actions ne sont jamais justifiées, on ne sait pas vraiment ce qu'ils pensent car ils oscillent tout le temps, rien n'est jamais fixé chez eux et ça empêche l'attachement.


  • Bon, petit truc vite fait, mais je suis la seule personne à trouver qu'il y a quand même quelque chose d'assez malsain dans cette fin de première partie, avec cette tentative de relation entre Suzanne et Mr Jo ? Déjà, bon, OK, l'amour, ça se commande pas, je sais... mais bordel, elle a 16 ans ! 16 ANS ! En plus, quand la mère parle de la marier, qu'elle lui demande de rappeler son âge et qu'elle dit qu'elle a 16 ans, qu'est-ce qu'elle dit ? Eh bah, elle dit : "Seize ans... Mon Dieu... Mon Dieu...". C'est... surréaliste. C'est genre "Putain, déjà seize ans, mais ma pauvre fille, t'aurais déjà dû te marier plus tôt !". C'est littéralement ça ! En plus, elle dit à Mr Jo que comme elle risque de bientôt mourir, oh, vous comprenez, il faut que je sois tranquille sur le sort de la fillette ! Juste, merde. Et l'argument "Oui, mais on peut pas juger des vieux trucs avec la mentalité de 2020", c'est des conneries. Y'a un moment, faut peut-être arrêter. Après, je savais qu'une bonne partie de l'intelligentsia française était fan de ne pas présenter la pédophilie comme quelque chose de fondamentalement mal (alors que c'est ce que c'est), mais ça arrive toujours à me révulser...


  • Et enfin, le quatrième et dernier point, qui a découlé d'une discussion Facebook avec certains et qui me fait définitivement penser que ce livre se fout juste de ma gueule : qu'apparemment, tout ça serait un choix voulu. Que si ça m'a frustré et énervé, c'est parce que j'ai ressenti l'émotion dans ce livre, que c'est voulu si la vie de ces trois-là est merdique, sans aucun but et s'ils s'en foutent. Et là, j'ai envie de dire : donc, pour cette personne, écrire un livre de fiction, c'est ça ? C'est mettre en scène et poser un regard complaisant sur du rien ? C'est mettre le rien en scène, s'y complaire (voire légèrement le glorifier) et transmettre ce genre d'émotion au lecteur ? Oh, non, je m'excuse mais c'est pas possible, là, vous m'avez perdu. Pour moi (et là, c'est éminemment personnel, donc ne prenez pas ça comme parole d'Evangile), un roman ou une pièce de théâtre, ce n'est pas ça. Pour moi, un écrit de fiction est quelque chose qui présente un personnage ayant un but, tentant de l'accomplir et qui, même s'il n'y arrive pas, va évoluer, connaître de nouvelles choses, révéler parfois des facettes de sa personnalité...



Un bien meilleur livre que je lis actuellement, Les mots étrangers, de Vassilis Alexakis, y arrive très bien. On y voit un personnage qui a un but et fait beaucoup de choses pour essayer d'y parvenir et même si tout n'est pas forcément 100% positif, on voit sa progression, on la sent, on le voit changer et à la fin, on sent que quelque chose est achevé, qu'une vraie évolution s'est produite. "L'Eden Cinéma", lui, ne fait pas ça. Il balance juste des persos et les laisse ne rien faire. Il se vautre dans une complaisance envers le rien et la passivité qui est franchement lourdingue. Il essaie de faire passer des messages, mais ne le fait que de façon non-aboutie (je pourrais dire "molle", mais c'est pas tout à fait vrai). Il ne montre aucune évolution. Il ne montre rien et il aime ça.


Et moi, quand tout ce qu'un livre me montre, c'est du rien et qu'en plus, il ose me dire que c'est ça que je vais voir, que c'est presque fait pour que je n'aime pas et que ce sera comme ça, moi, je dis stop et je hurle "bullshit". Parce que c'est ce qu'est ce livre : un beau moment de bullshit et deux soirées perdues. C'est exactement à cause de ce genre de merdes que chez moi, les romans classiques, c'est "ça passe ou ça casse". Et je ne veux plus jamais lire ce genre de livres qui me prend pour une personne complètement idiote. Vraiment à jeter, c'est extrêmement décevant et je n'ai pas d'autre mot pour désigner cela.


Ah, et pour finir, pourquoi j'ai mis 1 ? Parce que tu peux techniquement pas mettre 0 à une oeuvre sur le site. Et aussi parce que ce livre a réussi à me faire me dire que La Princesse de Clèves et La Princesse de Montpensier n'étaient peut-être pas les pires romans que j'ai lus de ma vie. Et pourtant, ils sont tellement merdiques, même La Nausée de Sartre n'était pas si nul et ce n'est pas non plus très bien. Donc, ouais, pour cette pièce, Marguerite Duras a vraiment fait très fort. Je ne peux qu'ironiquement le saluer. D'ailleurs, c'est ironique que cette pièce soit sortie en 1977, l'année de l'explosion punk dans les pays anglophones. Ironique parce que si cette petite partie de l'histoire de la culture pop est entrée dans les annales, c'était parce qu'il y avait plein de gens qui étaient actifs. C'était "No Future", pas forcément pacifique, mais les gens se bougeaient et essayaient de profiter de cet instant. Tout le contraire de ce livre.


Oui, ironique, définitivement.

AntoineFontaine
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le 7 avr. 2020

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