Soixante ans ne font rien à l'affaire. Pour les États-Unis, ce vendredi 22 novembre 1963 est une blessure qui n'a jamais réellement cicatrisé. En un demi-siècle, l'assassinat du président John F. Kennedy a été relaté, révisé, débattu et disséqué sous toutes les angles. On dénombre environ 45.000 ouvrages à propos de ce funeste jour : enquêtes, contre-enquêtes, essais, plaidoyers, pamphlets,...Ajoutons-y les romans aux frontières du réel tels les chefs-d'œuvres American Tabloïd signé Ellroy ou le Libra de Don de Lillo. Au cinéma, le spectre du tragique évènement hante Costa Gavras (Z), Henri Verneuil (I comme Icare), Alan J Pakula (À cause d'un assassinat) ou Brian de Palma (Blow Out, Snake Eyes),...Évidemment, le JFK d'Oliver Stone est incontournable, et il est intéressant de constater combien le film suit une trajectoire symétrique à la vraie enquête du procureur Jim Garrison : rejetée pour son existence-même/conspué avant sa sortie, dénigrée pour ses errements/attaqué sur ses libertés, saluée pour son courage/récompensé pour sa puissance. En tout cas, les deux choses ont permis de verbaliser les doutes de la nation et de vulgariser les points cruciaux d'une énigme dont la solution est encore suspendue au doute six décennies plus tard. À moins que...?


Pardonnez la formule précédente, voilant à peine un sous-entendu aguicheur, car l'historien Thierry Lentz n'a pas la prétention de résoudre l'affaire avec son étude, d'abord publiée en 1995 puis "augmentée" lors de sa réédition en 2010. Comme il l'explique lui-même en préambule, cette révision ne fait pas tant suite à de nouvelles archives rendues publiques (mais il y en a un certain nombre) mais à la lecture d'un autre livre Reclaiming History: The Assassination of President John F. Kennedy*écrit par Vincent T. Bugliosi. Le pavé du procureur américain (plus de 1.000 pages), s'efforçant de réhabiliter la Commission Warren, a ainsi motivé Lentz à se replonger dans l'enquête avec un regard neuf. Non pour confirmer la thèse du tireur solitaire, bien au contraire d'ailleurs, mais affiner son analyse et offrir un regard plus clinique sur le contexte, les protagonistes, les faits avérés, les faits contredits, les témoignages solides, les témoignages douteux, les théories envisageables, les hypothèses farfelues, les disparitions en chaîne, les scenarii plausibles, les suspects probables,...Le tout en 430 pages, chargées oui. Avec minutie et sans dédain quel que soit le lecteur et son degré de connaissance. Il est préférable d'avoir quelques bases pour éviter de se mélanger dans les noms (il y en a beaucoup) mais au delà, la prose et la précision sont accessibles à tous. Lentz a trop à faire pour se regarder écrire, donc il décortique, décrit et déduit. Si le sujet vous intéresse, vous ne pouvez pas rater L'Assassinat de John F. Kennedy. On peut même lire et se lancer dans le jeu du "fact-checking" avec la profusion de citations, patronymes (témoins ou journalistes présents) et éléments publiés et retrouver pas mal d'archives écrites ou vidéos disponibles là, tout de suite, à portée de clics.


Les chapitres défilent très vite, le livre couvre absolument tous les aspects de ce jour fatidique afin d'opposer les thèses les unes aux autres et voir laquelle est la plus solide, argumentée et documentée. Lieu(x) du crime, pièces à conviction, rapports d'autopsie, notes des services de renseignements, mémorandums, transcriptions téléphoniques, photographies, tout y passe. Au point d'en oublier le prudence affichée dans l'introduction et de se croire à deux doigts de la vérité. Mais Thierry Lentz n'a pas l'inconscience de tenter le diable, il reste encore juste assez pour spéculer. Découvrons-nous de nouveaux coupables ? C'est possible, peut-être même fort possible mais il manque comme toujours la preuve décisive et indiscutable. Peut-être qu'un jour, la clé nous sera donnée, reliant tous les points d'un seul coup en confirmant la théorie X, Y ou Z au passage. En l'absence, Lentz livre en creux une peinture politique de l'Amérique d'hier assez effrayante. Une nation qui fabrique et traite ses grands mythes comme des placebos en lieu et place de réalités beaucoup plus difficiles à avaler. Un animal étrange, mutant, effrayant mais fascinant. Soixante ans plus tard, force est de constater qu'elle n'a pas changé des masses.


*Lentz fait d'ailleurs une légère coquille dans la restitution du titre. Reclaiming et non Restoring


ConFuCkamuS
9
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le 16 déc. 2023

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