Critique : L'anniversaire du Monde, de Ursula Le Guin.


Cette femme d'origine américaine, est un auteur pour le moins capée (de multiples récompenses jalonnent sa longue carrière), et est très célèbre dans le monde littératures de l'imaginaire.
Née d'une mère écrivain et d'un père ethnologue, elle a plus ou moins marchée dans les pas de ses parents.
Ursula Le Guin est plutôt considérée comme une « intellectuelle » de la littérature S-F, préférant centrer ses intrigues et ses histoires sur les relations humaines. Le côté « futuriste », ou le côté fantasy, lui offrant ainsi des univers vierges dans lesquels mettre en avant ses talents de conteuses et son regard d'ethnologue et d'anthropologue.

Aussi pour la partie qui nous intéresse, la S-F, a-t-elle créée au fil de ces écrits un univers qu'elle a appelé Ekumen.
A ce propos la préface de l'ouvrage est une très intéressante introduction à cet univers. A l'origine la planète Hain, il y a des milliers et des milliers d'années, les habitants de cette planète, peuple supérieurement avancée et intelligent s'il en est, ont essaimé sur une multitude de planètes des humanités bigarrées, génétiquement et sociologiquement modifiées.
A la vue des dégâts causés sur certaines d'entre elles, et pris d'un sentiment de culpabilité collective, les hainiens ont fini par créer une Ligue des mondes de l'Ekumen à des fins réparatrices et d'apaisement. Devenant en quelque sorte, par la même occasion, des observateurs et des compilateurs de l'Histoire de ces sociétés.

Cet ouvrage regroupe huit nouvelles qui hormis la dernière, prennent pleinement place dans cet univers qu'est l'Ekumen.
Ces nouvelles, en plus d'être des trésors de style et de plaisir de lecture, nous confrontent à des sujets pour le moins inhabituels pour l'idée que l'on peut se faire de la S-F.

La première nouvelle « Puberté en Kharaide » illustre parfaitement cette originalité du thème, puisqu'elle aborde le sujet de la puberté. Mais pas dans n'importe quelle société puisqu'il s'agit d'un monde peuplé d'Androgynes. Ici, c'est le rite initiatique d'un jeune Géthénien qui est étudié, avec cette idée plutôt amusante que chaque personne peut, suivant ses cycles et ses hormones devenir homme puis femme, tour à tour.

La nouvelle « La question de Seggri » aborde le sujet des relations sociales, et sexuelles qui en découlent, dans une société ou le différentiel entre les sexes est de 12 femmes pour un homme. Les Femmes y disposent de tous les pouvoirs et du savoir, et les hommes y possèdent tous les privilèges et les égards.....mais ceux réservés à des étalons, à savoir joutes sportives, jeux de dominance entre « mâles », et reproduction (ils vont jusqu'à être invité dans des « Forniqueries », lieux ou les femmes viennent payer des hommes pour leur plaisir ou pour la reproduction avec le meilleur étalon).

Deux des nouvelles « Un amour qu'on a pas choisi » et « Coutumes montagnardes » prennent places sur la planète O, ou se pratique un mariage des plus...atypique, le « Sedoteru ». Il s'agit d'un principe de mariage à quatre. De prime abord la chose semble peu évidente, mais est expliquée en détail, et longuement. Il faut savoir qu'il implique deux relations hétérosexuelles, deux relations homosexuelles, et deux relations dites interdites...Ce qui ressort de ce texte, c'est la notion de transgression d'un interdit sociologique pour des raisons de cœur, d'amour, et la mutation sociale d'une société par la transgression.

Suit le récit « Solitude », très beau texte de réflexion sur l'idée d'acculturation d'un être. Une ethnologue de Hain est depuis des années penchée, accompagnée de ses enfants en bas âges, sur l'étude d'une société ayant vécu un cataclysme ou un retour en arrière dû en partie aux dérive de la technologie (associée à de la magie dans le texte) . A leur départ de la planète sa fille se sent aussi étrangère sur le vaisseau de son peuple que sa mère à ses débuts sur la planète d'étude. Le mal du pays s'abat sur elle. Cette nouvelle est aussi un prétexte pour mettre en avant ses autres talents d'écrivain ; la poésie, l'onirisme, et le sens du détail, prennent ici une dimension supérieure.

Les deux nouvelles suivantes, proposent des réflexions sur des sujets plus sensibles et plus sérieux. L'esclavagisme dans « Musique ancienne » et « L'anniversaire du monde » qui décrit une société ou le roi et la déité ne font qu'un.

La dernière nouvelle, « Paradis perdu » aborde quand à elle un thème bien plus habituel à l'univers de la Science-fiction, celui du vaisseau monde, seul moyen de voyager de planète en planète et qui au vue des distances phénoménales, voit naître et mourir à son bord des générations d'hommes qui ne connaîtront comme cadre de vie que ce vaisseau, parti avant leur naissance et qui n'arrivera que bien après leur mort.


Ce recueil de nouvelles est une promenade constante d'un type de société à un autre. Ces dernières sont autant de miroirs placés devant nos sociétés, et amènent ainsi intelligemment, mais sans prétention à une réflexion sur notre passé, notre présent et ce qu'il pourrait advenir de nous dans notre futur.
Il pourrait sembler difficile de passer d'une histoire à une autre, mais ce serait mésestimer le talent de conteuse de Ursula Le Guin, et son approche méticuleuse d'une humanité, presque immédiatement on se sent happé par le thème abordé.

Bref l'univers de l'Ekumen, déjà bien abordé dans d'autres ouvrages prend ici un visage encore plus humain, et c'est justement ça qui fait tout le charme et l'intérêt de ce recueil. Pour une fois, le monde n'est pas en danger, et aucun héros n'est prévu pour le sauver, il ne s'agit là que d'histoires d'êtres humains soumis aux rigidités de leurs sociétés, aux passions dévorantes qui les animent, aux volontés des peuples à perpétuer des traditions, a la mise en branle de toute la palette d'émotions qui animent chacun de nous.
Cosmoclems
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le 14 oct. 2011

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