J’ai replongé.


Il y a sans doute une dizaine d’années maintenant (et pour être gentille…), je dévorais tous les livres que je pouvais trouver en rapport, de près ou de loin, avec la drogue, la marginalité, la culture underground, principalement anglaise et américaine. De ces lectures, sont restés de grands noms toujours autant admirés: Irvin Welsh (Trainspotting), Jack Kerouac (Sur la route), Bret Easton Ellis (American psycho), Hubert Selby Jr. (Requiem for a dream), pour ne citer que ceux-là.


C’est une littérature qui accompagne stylistiquement et visuel les thèmes qu’elle étudie: variations multiples dans la ponctuation, longueur extrême de paragraphe sans ponctuation, vocabulaire oscillant du familier au soutenu dans une même phrase sans ciller, bref la littérature du rien-a-foutre-de-ce-que-penseront-les-biens-pensants.


De cette expérience de lectrice, j’ai retiré des valeurs essentielles pour mon écriture, et avant tout cette idée que la littérature n’appartient ni à des académiciens, ni à des élites, qu’elle n’est pas même dépendante d’une forme grammaticale ou d’une recherche de vocabulaire, que le style n’est pas une chose qui s’ordonne mais qui se sent et s’écrit tel quel. La liberté. J’ai appris que la littérature, et donc l’écriture, n’est soumise à aucune autre règle: la liberté.


C’est la Beat Generation qui a ouvert ce courant littéraire dans les années 50, autour de figures comme Kerouac, Ginsberg, Burroughs, et en marge d’eux mais pourtant dans cette mouvance : Bukowski, le vieux loup solitaire qui ne s’est jamais trop mêlé avec les autres sauf peut-être Neal Cassady dont il est toujours resté admiratif.


Leurs valeurs communes en tout cas : la liberté donc, et aussi l’expérience. Tout ce qui est raconté dans leurs livres doit avoir été vécu. Vous imaginez bien que ce n’est pas à la portée de tout le monde que d’avoir traîné dans tous les coinstots bizarres possibles, d’avoir usé de toutes les drogues possibles, d’avoir baisé et expérimenté toutes sortes de vices et sévices corporels, d’avoir vécu dans la rue, sans le sous, etc.


La Beat generation est aussi à l’origine de toute un imaginaire qu’on a trop tendance à systématiquement accoler au statut d’écrivain (alors qu’ils sont finalement peu à correspondre à cette imagerie) : le dépravé, le désespéré, la vie de bohème, le récit de son propre vécu, etc., mais c’est pas de la faute de ces gars-là, c’est juste que les gens veulent toujours mettre des étiquettes pour représenter une image universelle et caractériser quelque chose qui est, comme tout, composé d’un millier de facettes.


Bon, pour en venir à ce Charles Bukowski. Journal d’un vieux dégueulasse est un recueil de chroniques que Bukowski a publié dans la revue Open city dans les années 60. Bukowski y relate ses déboires, des scènes vécues, dans un style et une imagerie trash à souhait. On y retrouve son phrasé brut, franc, sans majuscules, à peine si les virgules y sont autorisées. Il tente de capter la pensée dans son état le plus primitif possible, constate avec une certaine objectivité la folie ordinaire quotidienne qu’il voit se dérouler autour de lui. Il n’omet pas les scènes de cul triviales, les meurtres, la pestilence, la déroute des gens qu’il croise (et la sienne propre), souvent autour d’un verre, toujours dans des situations hors normes.


« l’écrivain qui s’affiche dans la rue se fait sucer sa substantifique moelle par les imbéciles. il n’y a qu’une chose qui convienne à l’écrivain : la SOLITUDE devant sa machine à écrire. un écrivain qui descend dans la rue est un écrivain qui ne sait rien de la rue. j’ai fréquenté assez d’usines, de bordels, de prisons, de parcs et d’orateurs publics pour remplir la vie de cent hommes. descendre dans la rue quand on a un NOM, c’est choisir la facilité – ils ont tué Dylan Thomas et Brenda Behan avec leur AMOUR, leur whisky, leur idolâtrie et leurs vagins, et ils en ont presque massacré cinquante autres. QUAND VOUS LÂCHEZ VOTRE MACHINE A ÉCRIRE ? VOUS LÂCHEZ VOTRE FUSIL AUTOMATIQUE, ET LES RATS RAPPLIQUENT AUSSITÔT. »
(Bukowski, Charles. Journal d’un vieux dégueulasse. Paris : Le Livre de poche, DL 2006, cop. 1969. p. 91-92)


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Justine-Coffin
9
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le 18 avr. 2017

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Justine-Coffin

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