Jean Santeuil
6.9
Jean Santeuil

livre de Marcel Proust (1952)

Première tentative de Marcel Proust d'écrire le roman de l'écrivain en devenir : Jean Santeuil n'est pas, même s'il est inabouti, "La Recherche en moins bien". Des trous, des erreurs, des redondances, certes, il faut prendre ce Jean Santeuil pour ce qu'il est, un manuscrit non-revu, et pour tout dire abandonné par son auteur. Mais en tant que tel, il constitue une matière trop riche pour ne pas être fascinante. C'est une lecture dans l'autre que l'on pratique en lisant Jean Santeuil, tant on "lit" La Recherche entre ses lignes et ses fragments disjoints. Beaucoup de correspondances, les épisodes se répètent. De l'un à l'autre, on est passé du "il" au fameux "je" de La Recherche, un "je" s'appelant Marcel (peut-être uniquement par accident) et qui était juste la personne qui sent, qui aime, qui vit, mais qui en tant que personne sociale, s'est si souvent rendu invisible : on lisait à travers son regard. Dans Jean Santeuil, le regard porté sur le personnage est extérieur, ses traits et son caractères sont plus précis et donc plus particuliers ; les événements ont plus d'objectivité, Jean s'exprime plus en tant que personnage mais non moins en tant que narrateur ; à moins qu'un autre vienne lui disputer sa place ― qui ? ce n'est pas clair, on croit voir l'apparition d'un personnage distinct, observateur anonyme, ou lire les commentaires de l'auteur lui-même. Réflexions sur les personnages qui composent les salons plus ou moins fermés du grand monde ; analyses tout aussi justes et drôles que dans La Recherche : cette façon de passer de l'esprit sensible, intelligent, indépendant que ces personnages affectent d'avoir, à au-delà des apparences : tout le contraire. La différence dans Jean Santeuil est que cette série de portrait ne s'inscrit pas dans une logique narrative, elle est inclue dans le roman dans une partie qui en fait l'objet.


Les descriptions sont toujours aussi minutieuses, celles du corps, de l'expression d'un regard, descriptions à l'intérieur desquelles Proust nous révèle très souvent une idée, une métaphore aérienne ou bien aquatique qui ira rejoindre l'amas diffus de ses impressions sur le temps et sur l'amour. On voit comment l'auteur de La Recherche a réussi à faire la synthèse d'un contenu déjà abondant, où les idées s'entrechoquent dans une perpétuelle reformulation, comme une sorte de brainstorming, comment il a ensuite élargi son propos, diversifier les exemples dans un ensemble romanesque nettement plus complexe, riche et subtil. Je me disais au début que Jean Santeuil avait un côté plus autobiographique, ce n'est pas cela qui compte, ou pas tellement, mais son regard artiste que d'un volume à l'autre, il précise, l'enrichit de mille nuances, et nous invite à en faire de même pour notre propre façon de voir les choses.


Lu du 23 février au 16 mars 2021. 871 pages – Quarto (Gallimard).

Elouan
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le 15 mars 2021

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