Nathalie Saint-Cricq n’est ni romancière, ni historienne. Elle avertit dès le début et le prouve pendant tout le reste.

On a un problème pour publier cette correspondance entre Georges Clémenceau, grandeur éternelle en fin de vie, et Marguerite Baldensperger : par respect de la volonté de l’amante, on n’a conservé que les missives de GC. Solution : inventons donc la moitié manquante.

NSC imagine alors parfois un journal intime de Marguerite, parfois commente les correspondances, ouvre des chapitres sur Clémenceau (et aux oubliettes la correspondante le temps de la parenthèse…). Le bilan donne une pelote de fils décousus et discontinus. Pour résumer cette architecture narrative, on ouvre les guillemets, un bout des lettres de Georges Clémenceau, on referme les guillemets et tout autour on sauce de commentaires de texte, de paraphrases et d’explications. On en louche sur des pages de redondance portant sur l’étude de caractère de Clémenceau. On tuerait bien l’ennuie avec le rythme d’une histoire, un souffle qui donnerait du relief narratif. Ah non, il est bien nourri de bout en bout.

Avouons, pour reconnaître la curiosité de cette affaire, que les deux amoureux ont autant de différences de caractère qu’un carré et un rond. Et ça ne se complète en rien. NSC insiste inutilement.

GC est si vivant, malgré l’âge, qu’il rythme la vie de tout ce qui l’entoure et ne subit rien de personne. Il s’élève avec énergie et torse bombé sur le roc de ses intransigeances et convictions. A côté de lui, bien plus bas, Marguerite, morte, passive, apathique, quasi muette, subit tout ce que la vie lui apporte, deuils et joies, mari et amant, le temps stérile et l’âge qui coule.

Pendant que lui, il prend toute l’espace qu’il s’estime bien naturellement légitime d’occuper, elle se trouve toujours ailleurs, et jamais à la bonne place. Il met une quasi obsession à tout faire pour la façonner à ses goûts, tandis qu’elle semble vouloir le suivre, sans jamais y parvenir. Elle subit GC comme tout le reste de sa vie.

NSC n’arrive jamais lui associer joie ou bonheur. Les réflexions qu’elle lui attribue, ne l’affichent qu’en objet de GC, toujours moins cultivée, moins avisée, moins pertinente. Elle n’apporte jamais un commentaire intelligent ou élaboré. Sa seule rébellion est un petit chapitre de féminisme frustré, si empruntée de réflexions et de mots contemporains, qu’elle en paraît toute fausse, comme une retouche rococo criard sur du pastel délavé.

Avec tout ce qui ne les réunit pas, on peut se demander si lui ne l’aime qu’avec le désespoir d’une dernière histoire. Et elle, comment se permettre de bouder l’aventure de l’intérêt d’un tel mandarin. Une telle ponte, même en fin de vie vous ouvre à l’Histoire.

Petit extrait : « Vous avez emporté toute la vie de la maison en partant. Avec vous, les oreilles et les yeux avaient de l’occupation. J’ai vécu de bruits et voilà que j’entends aujourd’hui les pas étouffés du silence. » Mais d’est GC qui le dit, pas NSC.

Sepanta
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le 6 nov. 2022

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