Cette réécriture du chef-d’œuvre de Joseph Conrad, parsemée d’une touche de fantastique, nous entraîne au cœur de l’Afrique profonde.


Durant le confinement, Joseph Denize, auteur d’un premier roman, Quand on parle du diable, relit Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Et il y découvre un chef-d’œuvre. Ce texte l’envoûte. Passionné également de fantastique, et tout particulièrement de Lovecraft, Denize murît un projet : et si la folie de Kurtz ne provenait pas seulement de la moiteur, des profondeurs et de l’étrangeté de la jungle congolaise, mais plutôt de quelque chose d’incroyable ?


Au départ du roman, Jan Kurtz embarque pour le Congo. Sa mission : rédiger un rapport sur les fameux bienfaits de la colonisation. Le problème ? Kurtz doute déjà de cette vision européanocentrée, et comprend bien que la colonisation cache une projet peu glorieux, le pillage des ressources de l’Afrique, et notamment de l’ivoire. Au fur et à mesure que Kurtz s’enfonce dans la jungle, les visions infernales se succèdent : comportements inappropriés et violents des colons, rites barbares et incompréhensibles des autochtones, animaux et insectes à la taille démesurée… Tout cela sous une chaleur accablante et une humidité étouffante. Harcelé par ses autres camarades colons, Kurtz perd peu à peu la raison.


La progression de Je suis les ténèbres force le respect : le lecteur a parfaitement l’impression de pénétrer dans un cauchemar. Ce préquel d’Au cœur des ténèbres va doucement dans la gradation, de la paisible Angleterre aux villes coloniales congolaises pour s’enfoncer ensuite au cœur de la forêt. Les deux premiers tiers du livre se révèlent très précis sans pour autant être alourdis par des descriptions superflues. Denize procède par touche et fait ressortir ce qui nous intrigue et nous effraye. Le narrateur, Kurtz, arrive à faire partager ses questionnements sur un territoire qu’il découvre et les dérives de la colonisation (sur les exactions perpétrés par les colons, on pourra penser à certains passages de Voyage au bout de la nuit de Céline ou à Ténèbre de Paul Kawczak).


Si le dernier tiers peut dérouter, il s’inscrit pourtant dans la continuité voulue par Denize, celle d’une poursuite de l’horreur. Lorsque la nature et les humains ont fini par montrer leurs pires aspects, comment aller plus loin dans le cauchemar ? L’auteur choisit alors la voie du fantastique, car la peur agit comme un moteur : « Sans la peur, c’est-à-dire sans le mal, l’intelligence entrerait en déliquescence et à l’évolution succéderait une période de stagnation, puis une régression s’engagerait qui entraînerait l’homme vers la condition du bœuf ou du mouton. » Un étrange roman, qui donne envie de relire Conrad ou revoir Apocalypse Now.

JulienCoquet
8
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le 17 août 2022

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Julien Coquet

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