Jaunes Yeux
7.8
Jaunes Yeux

livre de Stefan Platteau (2021)

Lorsqu'il est demandé à Stefan Platteau, dans une interview des Imaginales, ce qui le pousse à écrire, il répond : "Ce qui m'a poussé à prendre la plume, c'est un tragique accident qui est arrivé quand j'avais environ six ou sept ans : j'ai appris à lire, et j'ai donc eu très envie d'écrire, tout de suite". On peut déceler dans cette formulation ce qui caractérise (un peu trop à mon goût) l'écriture de l'auteur, il aime faire le malin. Depuis le tome 1, depuis Manesh, cette série souffre de longueurs abrutissantes et d'un style pompeux. Pompeux non dans ses formulations, mais dans son vocabulaire, troquant les mots habituels pour des variations moins usitées, ou vieillottes. "Ceux" devient "iceux", "manteau" devient "mantel", etc... (et parfois, "papa" devient "daron"... surprenant). Il y a un certain charme là-dedans, et parfois sommes nous portés par cette langue d'un autre temps, mais lorsque le récit peine à raconter quelque chose et qu'il s'étire sur des centaines de pages, nous sommes en droit de nous demander : Stefan Platteau ne se regarderait-il pas un peu trop le nombril ? Les romans de l'auteur donnent parfois l'impression de n'exister que pour lui permettre d'exhiber les beaux mots qu'il stocke dans son crâne (ou dans sa tronche, sa binette, sa bobèche, comme il l'aurait peut-être écrit). Jaunes Yeux est, jusqu'ici, le pire représentant de ce défaut au sein de la saga.

Il n'y a que bien peu d'histoire, dans cette histoire. Le tome 4 fait du surplace. La situation évolue, un peu, au début, et puis l'auteur parvient avec un talent sans égal à faire tenir le lecteur sans ne rien raconter de plus, ou presque. De temps en temps, de petites éclaircies viennent relancer la machine, mais globalement c'est l'ennui ! Ça manque d'enjeux, de moments forts, de rebondissements ! Pourtant Platteau sait y faire, il l'a démontré plusieurs fois au cours des tomes précédents, mais ici c'est piano piano.

Le récit survivaliste, du barde et sa bande, ne parvient pas à repartir après le coup d'éclat de la fin du tome 3. Quant au récit au passé, le fameux témoignage d'un personnage contant sa vie qui constitue l'une des particularités de cette saga, il s'englue dans une mélasse dont on pourrait croire ne jamais pouvoir en sortir. Cette trame là s'est muée en une chronique féministe qui répète à l'envie les mêmes scènes jusqu'à la nausée. On peut reconnaître à Stefan Platteau son intention de dépeindre un couple toxique, sujet fort rare en fantasy, mais il échoue à créer la moindre émotion, à ajouter la moindre puissance à cette histoire, la faute à des personnages unilatéraux, manquant de nuances, tout occupé qu'il devait être à compulser son dictionnaire de vieux français. De plus, aborder ce sujet, fort actuel, en y intégrant des mentalités modernes dessert l'immersion, nous ramenant à notre quotidien, bien loin de cet univers médiéval aux influences Indiennes. Pêle-mêle, le roman parle aussi de transidentité et de communauté homosexuelle, avec beaucoup de maladresse en terme d'intégration. C'est là pour être là, au forceps, dans une histoire qui n'entre pas écho avec ces sujets là, laissant perplexe, avec la désagréable impression que la frontière du 4ème mur n'est pas loin. On perd en subtilité.

En plus de ces trames vient s'ajouter une troisième, cette fois n'étant plus contée par le barde ou un membre de l'expédition, venant totalement briser le concept même de la saga. Le principe n'était-il pas que le lecteur soit en train de lire un compte rendu du barde ? Comment pourrait-il être informé, et dans le détail, d'événements se déroulant à des centaines de km ? Cette troisième couche apporte avant tout de l'action, comme un peu de sucre sur une crêpe fade, et - ironiquement - l'événement le plus important depuis le début de la saga, en fin de tome, bien loin de nos protagonistes.

Jaunes Yeux me laisse une impression de manque de maîtrise narrative, l'auteur ne semble pas savoir doser ses chapitres avec talent. Alors il met tout, il ne jette rien, c'est du bourrage. Dans le lot, il y a de bons moments, mais moins que d'habitude. Je suis très déçu, tout en ayant malgré tout aimé me replonger dans cette exploration mystique et ce monde étrange. J'espère que le tome 5, le dernier, relèvera le niveau à ce que Stefan Platteau sait faire de mieux.

Pirlouit
6
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le 12 nov. 2022

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