Sortir du monde

Quel est le point commun entre Boris Pasternak, Jack London, Thoreau, Tolstoï, Louis L’Amour, Michael Crichton, Gogol ? Il s’agit d’auteurs dont les livres ont été retrouvés dans les bagages de Chris Mc Candless, après son décès, dans un bus abandonné en Alaska.

D’abord les faits : 6 septembre 1992, trois chasseurs découvrent le cadavre déjà en décomposition d’un randonneur ; en l’absence de traces de violence ou de blessures, l’autopsie permet de conclure à une mort par dénutrition. Pourtant le randonneur possédait une Remington et des cartouches et sans doute du gibier à portée de tir. Janvier 1993, le magazine Outside commande un article sur ce sujet à Jon Krakauer dont le livre Tragédie à l’Everest a été un bestseller. Avril 1995, Krakauer publie Into the wild et livre sa version de l’histoire (2008, Sean Penn réalise l’adaptation du livre au cinéma, à la suite de quoi le mauvais garçon d’Hollywood rafle 2 Oscars).

Ce livre est hors norme. Au départ, il s’agit d’une enquête qui vise à décrire le parcours du jeune garçon à travers le témoignage des témoins qui ont accompagné Chris sur un bout de son chemin d’Atlanta jusqu’à la piste Stampede, en Alaska. Puis une tentative d’explication sur les motivations de Chris qui fuit la société autant que sa famille. Le tempérament du randonneur prend des nuances : un type intelligent, au charisme énorme, exigeant, mais marqué au fer rouge par une blessure affective.

Bien sûr, Chris n’est pas le seul aventurier à avoir risqué sa vie. Au milieu du livre, Krakauer fait un grand détour et nous conduit sur la piste d’autres illuminés, consumés par leur folie au cœur d’une nature bien cruelle. Il nous parle également de sa propre histoire pour tenter de mieux comprendre celle de Chris.

Puis vient l’enquête sur les causes de ce décès. L’approche scientifique devient alors aride, mais elle est honnête. Ses erreurs d’analyse, l’auteur qui complète sa version originale ne les cachent pas dans sa postface. L’humilité et l’intégrité de sa démarche sont sans doute quelques unes de ses grandes qualités.

Au départ, les gens n’ont pas été tendres sur Chris et sa mortelle naïveté. Pourtant quel chemin parcouru ! Nombreux sont ceux qui traversent l’existence de manière plus raisonnable, sans risquer bêtement leur peau. Oui, nombreux sont-ils à le juger comme un brave type peut-être, comme un imbécile, assurément. Mais ceux-là, au bout de leur chemin n’auront peut-être pas acquis sa sagesse. Celle qui permet de témoigner au terme de sa vie, comme Chris Mc Candless :

« Happiness only real when shared. »

Un bouquin surprenant, difficile à lâcher.

Thomas Sandorf

https://thomassandorf.wordpress.com/2019/10/19/into-the-wild-jon-krakauer/