Publié en 2007 par les éditions du Sonneur, ce recueil rassemble les quatre seules nouvelles d’Arrigo Boito (1842-1918), qui fut aussi poète, mais surtout connu comme compositeur, en particulier d’un opéra d’après le Faust de Goethe, Mefistofele, et librettiste, notamment d’opéras de Verdi.

Trois de ces quatre nouvelles justifieraient à elles seules et pour moi l’acquisition de ce livre, et en particulier "Le fou noir" (1867), la première d’entre elles.
Dans un palace de Suisse, deux hommes, un américain blanc et un jamaïcain noir, vont s’affronter en une partie d’échecs, et ce jeu et les coups que les pièces se portent sur l’échiquier deviennent plus réels qu’une guerre, miroir d’un conflit véritable entre blancs et noirs. Cette histoire fut inspirée à Arrigo Boito par la révolte de Morant Bay, en Jamaïque en 1865, lorsque les noirs, après l’abolition de l’esclavage en 1833, se rebellèrent contre l’oppression et la discrimination dont ils étaient toujours victimes.

«Anderssen combattait avec la science et le calcul, Tom avec l’inspiration et le hasard. L’un faisait la bataille de Waterloo, l’autre la révolution de Saint-Domingue. Le fou noir était l’Ogé de cette révolution.»

"Le poing fermé" (1870), nouvelle fantastique, est digne des grands prédécesseurs de Boito dans le genre, E.T.A. Hoffmann ou Edgar Allan Poe. En Pologne en 1867, un médecin recueille l’histoire extraordinaire d’un mendiant atteint de la plique polonaise, une maladie qui comme cette nouvelle fait se dresser les cheveux sur la tête. Cet homme démesuré et atrocement marqué par la maladie, lui confie l’histoire d’un usurier juif (mettons de côté le temps de ce commentaire l’antisémitisme sous-jacent, à l’époque banal) assis sur le tas d’or qu’il a constitué, rongé et aveuglé par son avarice. Pour compléter sa fortune, il va être victime d’une malédiction qui semble diabolique et qui va refermer son poing, peut-être pour toujours, sur ce qu’il croit être un florin rouge d’une très grande valeur.

«Par une bizarrerie de la mémoire, pendant que j’observais l’homme presque terrible que j’avais en face, j’entendais un bourdonnement incessant dans mon cerveau qui répétait ce fragment du tercet de Dante ou est décrite la damnation des avares et des prodigues :
Ceux-ci surgiront du sépulcre
Avec le poing fermé et le cheveu dressé.»

La dernière du recueil, "Le trapèze" (1874) est une aventure inachevée, magnifique et fascinante, marquant l’imagination par les visions successivement merveilleuses et décadentes du couple d’amants du cirque, Ambra et Ramàr.
Yao, un mathématicien chinois, raconte à son disciple – par la calligraphie car il est devenu muet – pourquoi le trapèze en mathématiques fut toujours pour lui la cause d’une grande confusion jusqu'à le rendre un jour totalement muet. L’histoire démarre lorsqu’il fut confié, enfant, par sa mère désespérée à cause de la famine à un capitaine de navire. Après une longue traversée pendant laquelle il comprend que cet homme est, non pas ce qu’il semble être mais une incarnation du mal, Yao qui cherche toujours à maîtriser sa très grande sensibilité en lisant et relisant les écrits de Confucius, devient trapéziste-jongleur dans le monde clos d’un cirque de Lima.

Ce recueil est donc une belle découverte très inattendue, romantique et noire.
MarianneL
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le 16 févr. 2014

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