Humiliés et offensés commence par un premier chapitre absolument stupéfiant. Dans un décor passant sans prévenir de la chaleureuse lumière au sombre glacial (donnant une image correcte du roman, où les personnages passeront sans cesse de l'espoir à la déprime), le narrateur rencontre un personnage très particulier, un petit vieux, un pauvre hère faible, mendiant, tenant à peine debout, accompagné d'un chien qui lui ressemble en tout point.
Ce petit vieux va mourir à la fin de ce chapitre, mais son ombre va planer sur l'ensemble du roman, une présence inquiétante ou pitoyable, selon les épisodes, et qui ressurgira brutalement à la fin. Il va être, avec le narrateur, l'autre grand point commun à l'ensemble des épisodes du roman.
Un roman qui donne, il est vrai, une impression de décousu, mais cette impression n'est qu'un leurre. En gros, le narrateur, Ivan Petrovitch (on ne connaîtra jamais son nom de famille), est tiraillé entre trois problèmes :
1°) la fille qu'il aime, Natacha, vit une histoire très compliquée avec le fils d'un prince, Aliocha. Restons poli : Aliocha n'a pas inventé le fil à couper l'eau chaude. Cet abruti est une sorte de girouette qui va changer d'idées (et de sentiments) au gré des vents contraires : d'un côté Natacha, de l'autre son père, le prince, qui refuse catégoriquement cette union et veut obliger son fils à épouser une riche héritière, histoire d'avoir l'argent qu'elle apportera. Si, là-dessus, on ajoute que le père de Natacha cherche à renier sa fille mais qu'il ne le veut pas vraiment... Enfin, je vous passe les détails.
2°) le narrateur rencontre Elena, la petite-fille du vieux monsieur du chapitre 1. orpheline, elle est obligée de mendier et développe un manque de confiance facilement compréhensible.
3°) Le narrateur lui-même, écrivain ayant connu la gloire suite à un premier roman et qui n'arrive pas à écrire le second.


C'est là un aspect plutôt surprenant de ce roman : son caractère ouvertement autobiographique. Ceux qui connaissent Dostoievsky savent que l'autobiographie est plutôt rare dans ses romans. Mais ici, les allusions sont évidentes.
C'est peut-être cette expérience personnelle qui fait la force de ce roman. Sorti du bagne depuis peu, Dostoievsky se sent toujours proches des milieux les plus pauvres et défavorisés qui sont décrits ici avec beaucoup d'émotion et d'humanité. ses personnages sont profonds et humains. D'où leurs incohérences, d'où leur frénésie, d'où leur hystérie parfois.
Les personnages de Dostoievsky se laissent guider par leurs émotions. prenons ainsi Ikhménev, le père de Natacha. Il est tiraillé entre son cœur, qui aime profondément sa fille, et son sens de l'honneur qui lui dit "tu dois te sentir bafoué, donc il ne faut pas lui pardonner".
Et ces personnages sont décrits avec beaucoup de sensibilité et d'humanité. Aucune moquerie, aucune ironie.
A l'inverse du prince, seul personnage vraiment méchant du roman. Là, on sent un message politique de Dostoievsky, une méfiance envers les dirigeants, envers la classe au pouvoir et ses manigances dont le peuple est la victime finale.


Humiliés et offensés n'est sûrement pas le meilleur roman de Dostoievsky. Face à des monologues souvent interminables et incohérents, le temps paraît parfois long. Mais c'est roman de l'émotion. Certaines pages sont d'une infinie tristesse. Et même si on y sent une grande confiance et un grand amour pour les classes qui souffrent le plus, il y a aussi un arrière-goût bien amer.

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le 19 févr. 2016

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SanFelice

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