Publié sur L'Homme Qui Lit :


Dès que j’ai l’occasion de faire un trajet en voiture, généralement un trajet d’une bonne demi-heure pour me rendre dans le petit hôpital situé tout en bas de mon département, je mets le podcast de La Grande Librairie dans ma voiture et avec un aller-retour j’ai presque écouté l’intégralité de l’émission, à défaut d’avoir le temps – où l’envie – de la regarder en replay. Toutes ne me passionnent pas, cela dépend un peu du casting, mais cette émission « Retour à la terre » qui parlait de la campagne était un très bon moment. J’y ai retrouvé Marie-Hélène Lafon que je devais rencontrer en librairie mi-novembre et dont j’avais adoré Histoire du fils ; mais également Mathias Enard qui m’a tellement donné envie de lire Le Banquet annuel de la Confrérie des Fossoyeurs que j’ai instantanément imaginé à la croisé d’un Jaume Cabré et d’un Carlos Ruiz Zafon, et qui dès le lendemain avait rejoint ma bibliothèque. J’y entendais également Serge Joncour présenter Nature humaine et sans aucun doute, ce roman terminera lui aussi entre mes mains.


Et puis, Mauvignier. Je dis Mauvignier, ça fait comme si je connaissais, alors qu’en réalité vous m’auriez dit Laurent Mauvignier la veille de l’émission je vous aurais regardé avec des grands yeux de vache, fait une petite moue négative et dit en secouant la tête de gauche à droite, « connais pas » . Maintenant que je l’ai lu, j’ai l’impression d’en faire partie, d’en être, et de m’autoriser à dire « j’ai lu le dernier Mauvignier, c’est quelque-chose quand même ! » . Et quel livre, c’est vrai, c’est incroyable. Vous allez finir par penser, le gars n’a dû lire que des Okapi jusqu’à maintenant pour être extatique un roman sur deux, ça n’est pas tout à fait vrai mais je me sens en veine de lire d’aussi bons livres en cascade.


Histoires de la nuit, ça vous emmène en rase campagne dans un lieu-dit de trois maisons joliment nommé « L’écart des trois filles seules » dans le hameau de La Bassée. C’est un lieu assez banalement rural qui pourrait être situé dans la plupart des départements du pays. L’une de ces maisons est inhabitée et est à vendre, l’autre est occupée par Christine une artiste peintre en exil de la cité, venue se réfugier dans la solitude et dans l’art il y a plus de vingt-cinq ans. La dernière maison est celle de la ferme des Bergogne, où Patrice son complice agriculteur vit avec sa femme Marion, qui travaille à l’imprimerie du coin, et leur fille Ida, qui est assez grande pour comprendre certaines choses par elle-même.


La vie est assez calme, si ce n’est ces lettres anonymes qui emmerdent Christine et qui l’obligent à se faire conduire par Bergogne à la gendarmerie du coin, où l’affaire ne soulève pas un képi. Ce jour là, tout le monde à mieux à faire que penser à ça : ce sont les quarante ans de Marion, Patrice lui prépare une fête surprise et intimiste avec Christine et deux de ses copines de l’imprimerie ; Christine est chargée de préparer les gâteaux et se voit déjà passer une belle soirée avec cette famille d’adoption ; Ida attend cette soirée avec impatience car elle semble être un des rares évènements qui insuffle un peu de joie entre son père et sa mère ; Marion doit montrer de quelle trempe elle est faite lors d’une réunion avec ses deux collègues, son chef de projet et son directeur, où ils espèrent lui faire porter le chapeau d’une erreur collective. L’esprit est à la fête ce jour là, à La Bassée, jusqu’à ce que débarquent des inconnus, et que tout bascule.


Tenez-vous bien, parce que vous allez littéralement tomber à la renverse avec ce roman. Si vous vivez dans une maison un peu isolée à la campagne, je vous mets au défi de réussir à le lire sans aller vérifier que votre porte est bien fermée à clé. J’ai eu la chair de poule dès les premiers chapitres, c’est un thriller qui n’en a pas l’air mais qui est diablement efficace. Les phrases sont longues, fournies, tout est détaillé à l’infini et j’ai traversé cette brève histoire de 640 pages qui était à l’origine un scénario d’une trentaine de pages destiné à devenir un moyen-métrage comme si je la voyais sur grand écran. C’est divin, c’est efficace, c’est très bien écrit, ça vous coupe le souffle, ça vous remue à l’intérieur, c’est un très, très bon roman : ne le manquez surtout pas, ce serait vraiment passer à côté de quelque chose. Si vous ne me croyez pas, allez lire les deux premiers chapitres sur le site de l’éditeur.


Histoires de la nuit, de Laurent Mauvignier, est publié par Les éditions de minuit le 3 septembre 2020.

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le 29 oct. 2020

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