Roger de Bussy-Rabutin était un comte bourguignon, à la vie et au caractère scandaleux, qui n'avait pas sa langue (et sa plume !) dans sa poche, fort d'une carrière militaire brillante qui aurait pu lui faire obtenir le bâton de maréchal si sa personnalité avait été autre. À côté de cela, il avait conçu une œuvre littéraire, au sein de laquelle se distinguent deux ouvrages, ses Mémoires et Histoire amoureuse des Gaules.


Cette dernière avait été rédigée pour passer le temps, lors d'un exil imposé, dans ses terres, à Bussy (c'est comme le Port-Salut… !), par Mazarin, suite à sa participation à une orgie au château de Roissy, lors de la semaine sainte de 1659 (ouais, trop choquant !). Après cela, il était revenu à la Cour durant les années suivantes, en sachant si bien cirer les prestigieuses pompes de Louis XIV qu'il avait même fini par obtenir un fauteuil à l'Académie française en 1665. Mais ce triomphe a été de très courte durée vu que, la même année, l'Histoire amoureuse des Gaules, qui n'aurait dû être que connue d'un cercle très restreint de connaissances, a été largement diffusée par l'indiscrétion d'une amie (à quoi ça sert d'avoir des ennemis si on a des amis ?).


Résultat des courses, le monarque, souhaitant faire plaisir à sa dévote en chef de mère et peut-être parce qu'il souhaitait une apparence d'ordre absolu dans son royaume, après l'anarchie de la Fronde (pas pour ce qui est révélé, ou plutôt pas révélé, car ce qui est conté dans les récits était connu de tous et de toutes et derrière les pseudos utilisés, il n'était pas difficile, à l'époque, de deviner qui était qui !), avait flanqué le Bussy durant plus d'un an à la Bastille avant de l'expédier dans un exil définitif en Bourgogne (entrecoupé de quelques courts passages à Paris et un à Versailles, lors duquel il avait compris qu'il n'était pas le bienvenu !), frustré par ses espoirs déçus de carrière et passant notamment son ennui en décorant son château (avec une célèbre galerie de portraits pour le moins atypique... ce qu'il avait déjà fait par l'écriture, il l'a aussi fait exécuter par la peinture !).


Autant dire que l'Histoire amoureuse des Gaules lui avait apporté beaucoup d'emmerdes. Mais, au fait, qu'est-ce que cela raconte ?


Ben, dans ce livre, Bussy raconte les mœurs peu reluisantes de la noblesse de son époque à travers les récits de l'existence de quatre femmes : Madame d'Olonne, Madame de Châtillon, Madame de Sévigné (oui, la fameuse épistolière... qui était, en outre, la cousine de notre impénitent !) et Madame de Montglas (sa maîtresse et peut-être la seule femme qu'il ait réellement aimée de son existence... qui le larguera suite à ses ennuis !).


Deux ou trois jours après, Madame d'Olonne étant toute consolée [de la mort du duc de Candale], la comtesse et ses autres amies lui conseillèrent de pleurer pour son honneur, lui disant que son affaire avec le duc de Candale avoit été trop publique pour en faire finesse. Elle se contraignit donc encore trois ou quatre jours, après quoi elle revint à son naturel [...].

La structure d'ensemble est assez décousue, sans véritable cohérence. Le tout commence par le récit sur Madame d'Olonne puis, parce que les deux dames ont une connaissance en commun, l'abbé Fouquet (le frère du surintendant des finances, autre victime écrasée par l'absolutisme royal !), on passe sur Madame de Châtillon avant de retourner et d'achever sur Madame d'Olonne. Ensuite, on a deux récits brefs (en comparaison des deux précédents !), pour lesquels Bussy, à la troisième personne (sauf quand il raconte directement !) et en se montrant sous son plus beau jour, évidemment, se fait narrateur, à la demande de ses compagnons de débauche de Roissy. S'il égratigne sa cousine (ce qui lui vaudra une rancune policée, mais tenace de cette dernière !), en soulignant sa superficialité dans son besoin de plaire à tout le monde, sa vie conjugale désastreuse avec un mari ayant la fâcheuse habitude de ne réfléchir qu'en dessous de sa ceinture (vite expédié... le mari, pas la ceinture... jeune, dans l'autre monde, suite à un duel, à cause... ô surprise... d'une autre femme... ce qui est idéal pour profiter d'un bon long veuvage assez tranquillou !) et son absence d'attirance pour la chose, il flatte sa maîtresse d'alors (un des très rares personnages dépeints positivement dans tout le recueil !).


— Vous le seriez bien plus, Madame, lui répliquai-je, si vous ne [...] rendiez pas [à Monsieur de Sévigné] la pareille que si vous lui redisiez ce que je vous ai dit. Vengez-vous, ma belle cousine, je serai de moitié de la vengeance, car enfin vos intérêts me sont aussi chers que les miens propres.— Tout beau, Monsieur le comte !, me dit-elle, je ne suis pas si fâchée que vous le pensez.»

Pour en revenir à Châtillon et à d'Olonne, qui prennent énormément de pages, c'est du défonçage en règle pur et dur. Si on excepte quelques cinglants et efficaces traits de satire, l'auteur ne semble pas prendre le moindre parti, en exposant les faits naturellement, en laissant le lecteur comprendre et penser par lui-même. Ce sont souvent des déclarations d'amour orales et écrites, des promesses de félicité et de fidélité, de bonne conduite, avec tout plein de beaux discours, qui débouchent quelques lignes plus loin sur une tromperie en règle.


Et excepté lors de quelques pauses pour établir des portraits (exercice littéraire particulièrement à la mode au début de la seconde moitié du XVIIe siècle !) des différents personnages de nos histoires (d'abord physiques, dénués de toute moquerie, car ce n'est pas bien de se moquer du physique, puis psychologiques, non dénués de moquerie, car c'est bien de se moquer de la connerie des gens !) et l'espace de quelques paragraphes dans lesquels Bussy expose les différents types de femmes selon lui, l'écriture, fine, fluide et accessible, nullement alambiquée, sait aller à l'essentiel pour exposer, d'une manière suffisamment explicite, les existences peu catholiques de nos caractères. Ainsi, par exemple, pour le cas Olonne, il n'est guère difficile de comprendre qu'elle ne rechignait pas, à l'occasion, d'être, ce que l'on appellerait aujourd'hui, une escort de luxe.


Après quelques autres discours, que l'amour interrompit deux ou trois fois, [Madame d'Olonne et Paget] convinrent d'une autre entrevue, et à celle-là d'une autre, de sorte que ces deux mille pistoles valurent à Paget trois rendez-vous.

Mais, en dehors du style plaisant (ce qui est, à lui seul, un bon argument favorable !), quel est l'intérêt aujourd'hui, à nous, de lire, au XXIe siècle, Histoire amoureuse des Gaules (au passage, le sous-entendu dans le titre même est savoureux !) ? Ben, cela permet d'entrevoir ce qu'était le mode de vie de la noblesse au temps du Roi-Soleil. En conséquence, outre l'intérêt littéraire, il y a aussi l'intérêt historique.

Plume231
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le 24 avr. 2024

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