Comment parler de l’art de science-fiction sans évoquer le nom de Chris Foss ? Il figure parmi les plus illustres, de son temps comme du précédent ainsi que du suivant : de Frank R. Paul à Michael Whelan, en passant par Virgil O. Finlay, Chesley Bonestell, Mel Hunter, Frank Kelly Freas, John Schoenherr, Bruce Pennington, Boris Vallejo et Jim Burns pour n’en citer que quelques-uns ; on ne compte plus les artistes qui l’ont imité, au moins à un moment ou un autre de leur carrière, avec en premier lieu Peter Elson et Chris Moore mais aussi Tim White et Peter Jones, Tony Roberts et David Jackson, Angus McKie et bien sûr le français Manchu, parmi de nombreux autres ; ses travaux dépassèrent vite le cadre de l’illustration de science-fiction dans sa forme littéraire pour s’attaquer à celle du cinéma – à travers des projets de films d’Alejandro Jodorowski, Ridley Scott, Stanley Kubrick ou Richard Donner – comme de la narration graphique – par des illustrations de couverture de magazines, dont au moins une de Métal Hurlant.


Chris Foss compte le plus simplement du monde comme un géant parmi les géants. Pas seulement par ses architectures dantesques et déchiquetées, ses navires sillonnant le ciel en surgissant des nuages, ses robots titanesques dépeçant des carcasses de métal et de plastique, ses paysages enfiévrés où jamais l’Homme ne mit le pied et qui ne lui sont d’ailleurs pas destinés. Non pour ces thèmes somme toute rebattus jusqu’à la nausée déjà à l’époque où il commença sa carrière, mais pour la manière dont il les illustra. Car, chez Foss, la poésie des arts plastiques se combine à la suprême technicité de l’hyperréalisme en un tout aussi fascinant que paradoxal. Voilà ce qui distingue l’inspiration de Foss de celle de ses prédécesseurs : cette volonté affirmée de rendre crédible ce qui ne l’est pas, de sublimer l’aspect émotionnel du concept et de la composition par une représentation au matérialisme brut.


De sorte qu’il ne s’agit pas de réalisme technique mais bel et bien de réalisme pictural. À y regarder de près, en effet, les engins de Foss ne fonctionnent pas vraiment ; les articulations qu’il dessine ne peuvent plier, les vaisseaux qu’il peint ne peuvent voler, les structures qu’il conçoit ne peuvent tenir debout. Et pourtant, on croit à leur existence. Leurs textures et leurs matières de métal, de rouille et de plastique comme celles de pierre, d’eau ou de plantes qui les entourent parfois semblent assez vraies pour qu’on puisse les toucher ; leurs détails correspondent à la perfection à ce qu’on s’attend à voir dans de telles scènes, et le moindre brin d’herbe comme le plus petit écrou jouent ici le même rôle que les entrées d’air ou les propulseurs les plus colossaux – donner à l’image l’allure d’une réalité sans faille, aussi écrasante qu’indiscutable, mais pourtant d’autant plus convaincante que fausse.


Voilà donc comment l’art de Chris Foss devint l’un des plus prisés de la science-fiction : en s’accordant à la perfection à ce qui reste l’essence même de ce genre – l’illusion de réalité conférée à des idées imaginaires. Toute la différence étant que ce réalisme-là découle d’images et non de mots. Pour cette raison, ne commettez surtout pas l’erreur de passer à côté d’un exemplaire de cet ouvrage car vous rateriez ainsi le recueil le plus complet à ce jour de l’artiste qui sût le mieux infléchir l’art de la science-fiction dans cette direction qu’il n’a jamais vraiment quitté depuis. À noter aussi que le volume présente en introduction plusieurs textes signés du graphiste Rian Hughes, du cinéaste Alejandro Jodorowski déjà cité plus haut et de l’artiste Jean « Mœbius » Giraud (1938-2012) ainsi qu’un entretien avec Foss mené par la fille de celui-ci, Imogene : autant de raisons de plus pour ne pas se priver…


Note :


Outre l’édition standard chroniquée ici, cet ouvrage est aussi disponible en édition spéciale limitée à 400 exemplaires (ISBN : 978-0-857-68559-9) qui propose différents bonus dont un livret de huit pages de galerie de couvertures et deux reproductions en grand format signées par l’artiste.

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le 24 janv. 2013

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