L'écriture est la vie
Cet ouvrage débute par la correspondance aussi kafkaïenne qu’imaginaire entre le père du narrateur et le consul général des EU à Berlin dans les années 30...Et alors que l'on s'attend à être...
Par
le 20 oct. 2012
10 j'aime
J'aurais été folle de ne pas mettre mes mains sur ce livre détonnant, alors que sa couverture aux couleurs vives et son titre injurieux gueulaient : « Allez, prends-moi ! Je vais te faire marrer et grincer des dents tout en même temps ! » depuis son étagère croulante. Ça oui ! il m'a fait marrer et m'a fait grincer des dents. Original jusqu'à sa typographie (phrases obliques, gros caractères), Fuck America est un roman en grande partie autobiographique, rapportant l'histoire mouvementée d'un écrivain juif allemand, Jakob Bronsky, vivant aux États-Unis et travaillant à un roman relatant sa propre expérience des ghettos polonais pendant la Seconde Guerre mondiale, et sagement intitulé Le Branleur.
Un prologue sous forme de courte correspondance entre le père de Jakob et le Consul Général des États-Unis d'Amérique nous informe avec dérision que la famille Bronsky avait demandé des visas d'immigration en 1938, précieux documents qui ne lui seront délivrés qu'en 1952, parce que « au fond, les gouvernements de tous les pays de cette planète se foutent royalement de savoir [s'ils (les juifs) se font] tous massacrer ou non. » Les années 50 sont là, guerre et haine sont dans le passé, et Jakob, la vingtaine (même s'il en fait le double), promène sur New York son regard railleur.
L'écriture est moderne, la disposition aérée (sauts de ligne fréquents), les dialogues théâtralisés (questions et réponses en écho), le ton absurde. L'imagination de Jakob, un baratineur de haut vol, prend parfois le pas sur la réalité, alors les situations s'embrouillent : il arrive au protagoniste de discuter avec des personnalités réelles ou fictionnelles, tout droit sorties du poste de télévision, affublées du titre temporaire de psychologues et écoutant sans faillir les fabulations du héros. Tantôt il tue son frère dans le berceau comme un Caïn jaloux, tantôt lui-même meurt dans les chambres à gaz ; tantôt ses parents n'ont pas survécu aux persécutions des nazis, tantôt ils vivent heureux en Californie. En outre, le pronom personnel sujet change (du je au il et inversement) d'un chapitre à l'autre, intensifiant cette confusion et cette prise de distance vis-à-vis du récit.
Puisque le héros (ou plutôt, l'anti-héros) est un écrivain en herbe, il pourrait sembler logique que le roman s'attarde sur le processus d'écriture. Ce n'est pourtant pas le cas ici ; sa quête (l'achèvement du Branleur) est vite occultée par sa concupiscence : il veut du sexe, partout, tout le temps. S'il enchaîne petits boulots et escroqueries médiocres, c'est certes pour se nourrir, mais aussi et surtout pour financer ses coups d'un soir. L'avancée de son roman est signalée de temps à autre par le numéro du dernier chapitre conclu, voilà tout.
Ce portrait singulier de l'artiste qui corrèle inspiration et désir sexuel s'accompagne bien évidemment d'un vocabulaire cru, vulgaire (les organes génitaux masculins sont nommés un nombre incalculable de fois). Néanmoins, la grossièreté de Jakob est éclipsée par le sérieux soudain de son propos, en fin de roman, alors que sa mémoire se décide enfin à raconter la dure enfance d'un garçon juif dans un pays dominé par l'antisémitisme. Le changement de ton est brutal, ça claque. En quelques pages seulement, le témoignage d'un « écrivain immigré crève-la-faim » se transforme en témoignage — presque classique — de vie sous l'occupation allemande.
C'est donc un roman étrangement construit et balancé, parfois sordide, parfois tragique, qui amuse souvent par l'absurdité des situations et des dialogues, et qui provoque du fait de ses thèmes (rêve américain démoli et Shoah évoquée sans prendre de gants). Ce n'est évidemment pas une lecture pour les plus jeunes d'entre nous (enfants, s'abstenir !) mais les autres devront pouvoir apprécier, si ce n'est son sujet, au moins son originalité.
Créée
le 26 déc. 2016
Critique lue 216 fois
1 j'aime
D'autres avis sur Fuck America
Cet ouvrage débute par la correspondance aussi kafkaïenne qu’imaginaire entre le père du narrateur et le consul général des EU à Berlin dans les années 30...Et alors que l'on s'attend à être...
Par
le 20 oct. 2012
10 j'aime
Alors, Bronsky, on est venu trouver un Nouvel Espoir sur la Terre Des Opportunités ? Vous trouvez que la vie a été trop dure avec vous, qu'on ne vous a pas donné les chances que vous méritiez ? Mais...
Par
le 1 févr. 2019
9 j'aime
10
Jacob Bronsky, le héros de ce roman plus ou moins autobiographique, nous raconte ses déboires d'immigré juif et d'écrivain fauché dans le NY des années 50 est c'est totalement jouissif. L'écriture...
Par
le 22 déc. 2010
5 j'aime
Du même critique
Les zombies et la Corée du Sud, c'est une histoire d'amour tardive, en fait en retard de dix ans ; c'est que la vague tendance des morts-vivants tout droit venue d'Occident a mis du temps à dérouler...
Par
le 30 janv. 2022
16 j'aime
1
Cette série était pleine de promesses et elle n'en a en fait tenu aucune. J'attendais des conflits d'intérêt sombres, des personnalités matures, une lutte incessante entre les héritiers des grandes...
Par
le 23 févr. 2014
14 j'aime
4
Je pourrais citer une dizaine... non, une demi-centaine de séries télévisées dont il est proscrit de spoiler le prochain épisode, afin de préserver les espérances de chacun. Le drama White Christmas...
Par
le 17 août 2014
13 j'aime