Un jour, un visage.

Quel plaisir ! Quel plaisir de lire Thilliez, décidément un auteur qui n'a rien à envier aux célèbres romanciers classiques de la littérature policière. Un style toujours aussi agréable à lire, fluide et prenant.

Un de ses principaux point fort est l'aisance avec laquelle il arrive à aborder des sujets noirs et mystérieux... ce qui je ne vais pas vous le cacher est mon véritable terrain de confort, tout médias confondus. J'en profite pour reparler de l'excellent L'anneau de Moebius, que je vous conseille fortement car il casse les codes du thriller policier lambda en flirtant subtilement avec l'univers de la science fiction...

Cependant ce n'est pas ce livre qui nous intéresse aujourd'hui, mais Fractures, un roman situé au milieu de sa bibliographie, qui aborde encore une fois (comme dans tous ses livres) des aspects méconnus et sombres de l'humanité.

Fractures est mon troisième livre de Thilliez. Troisième livre et troisième bonne surprise. Si on retrouve un style et une ambiance malsaine propres à l'auteur, les sujets abordés n'ont vraiment rien à voir d'un livre à l'autre. J'ai vraiment un mal à fou à quitter un auteur quand il me captive à ce point, et je ne lâcherai pas Thilliez avant d'avoir exploré chaque cm² que son oeuvre. Ce livre, bien que moins bon à mon sens que les deux précédents, m'a donné envie d'en lire d'autres, je me suis déjà procuré La Mémoire Fantôme que je vais dévorer dans les jours qui suivent la parution de cette critique. Mais trêve de bavardage, j'ai beaucoup à dire !

Blackout

Imaginez... Vous êtes quelqu'un de relativement normal en apparence mais vous avez quelque chose de spécial: A la vue du sang, confronté à la mort, ou lors d'un choc émotionnel important, vous perdez le contrôle total de votre esprit.

Vous vous réveillez dans un endroit inconnu, entouré de personnes que vous ne connaissez pas. Vous n'avez aucune idée de l'heure qu'il est. Vous n'êtes même pas sûr de la date... Vous vivez avec des périodes de noir total, de véritables pertes de conscience qui surviennent sans crier gare, indépendamment de votre volonté...

Cette vie horrible, c'est celle d'Alice, jeune femme de 24 ans ayant récemment pris son indépendance et bien décidée à enfin consulter quelqu'un pour parvenir à comprendre les raisons de son état ainsi que de tenter de s'en débarrasser définitivement. C'est donc vers un psychiatre qu'elle se tourne, Luc Graham. Quarantenaire en proie aux fantômes du passé, s'abrutissant dans le travail afin d'oublier le décès tragique de sa famille dans un stupide accident de la route, il n'en reste pas moins excellent médecin car totalement dévoué à aider cette dernière, donnant ainsi un semblant de sens à sa vie. Difficile pour la jeune femme de comprendre ce qui se passe vraiment dans sa tête, enfermée depuis sa plus tendre enfance dans une bulle familiale surprotectrice et malsaine menée à la baguette par son père ex-journaliste dans les pays en guerre, son expérience l'ayant marqué à vie; et sous les yeux d'une mère Locked-in Syndrome (Paralysée intégralement) suite à un accident quotidien... D'autant plus difficile que son psychiatre lui cache encore des choses, pour son bien, la jugeant inapte à entendre toute la vérité sur son état...

Mais les mensonges deviennent parfois trop lourd à porter, et il suffit d'un rien pour que les langues se délient et que ressortent les pires histoires du passé...

Personnalités complexes

(Avertissement: je ne peux pas parler correctement de l'oeuvre sans spoiler quelques détails dont une partie primordiale de l'histoire, à partir de maintenant si vous comptez lire le bouquin évitez peut-être de continuer ma critique, contentez de vous de mettre un "j'aime" et de recommander ma critique à tous les gens que vous connaissez !)

L'histoire de Fractures est encore plus obscure qu'il n'y paraît. La subtilité même de celle-ci repose sur le lien qui unissent chacun des personnages présents dans cette oeuvre. Bien que la narration de l'oeuvre soit principalement omnisciente, on suit successivement les différents protagonistes d'un chapitre à un autre (c'est souvent la manière utilisée pour le découpage du livre, chaque chapitre marquant un changement de point de vue). Le fait de passer d'un personnage au suivant, tous vivant sous le courroux de leurs peurs et de leur passé, fait que l'histoire avance lentement et nous piège littéralement dans les méandres de l'esprit humain. J'ai trouvé cette approche passionnante dans le sens où les thématiques abordées, au delà même du roman policier, sont en plus très intéressantes. Alice ne perd pas la mémoire, elle est atteinte d'un trouble de la personnalité multiple ou TDI (trouble dissociatif de l'identité), véritable grand crû pour tout psychiatre qui se respecte. Cette information n'est pas un spoil à proprement parler car on le comprend très vite dans l'oeuvre. Tout l'intérêt repose alors sur la compréhension de l'existence ou non de certains personnages, ce que Thilliez mène d'une réelle main de maître. Pas moins de 5 personnages différents vivent dans la tête d'Alice, tous ayant un rôle et une origine propre, mais dont le but global reste le même: protéger son, esprit de son père. Ce père qui est en quelque sorte l'incarnation même de la folie de l'homme, des limites de l'humanité et par extension de la perte de cette dernière. Connaître toutes ces histoires sordides créé dans le coeur du lecteur une curiosité presque malsaine et une irrésistible envie de connaître le fin mot de l'histoire...

Petite amertume

Mais alors pourquoi uniquement 7 pour une oeuvre qui semble à la fois intelligente et addictive ? La raison principale est que j'attendais énormément de la fin et qu'au final... je la trouve presque bâclée par rapport au reste du livre. Un terme assez fort qui témoigne de ma réelle déception. La résolution de l'histoire repose sur un twist un peu simple (aux antipodes de la complexité de l'histoire générale), basé sur la révélation du vrai visage d'un personnage purement secondaire, qui va servir à éclairer les zones d'ombres qui persistent encore vers la fin de la lecture, de manière un peu brutale. Dommage. Dommage parce que Fractures avait vraiment TOUT pour me plaire, et pour gagner la place de meilleur Thilliez dans mon coeur.

C'est donc avec un goût amer que je termine la lecture d'un livre hyper captivant, que je vous conseille tout de même, mais dont le final est décevant.