Entre fauves
7.3
Entre fauves

livre de Colin Niel (2020)

Qui est le chasseur ? Qui est la proie ?

(Attention Spoil)


Martin est un gardien dans l'Aspe, dans le parc national des Pyrénées. Souvent sur le terrain, il s'occupe particulièrement du suivi des derniers ours. Depuis quelques temps, plus de trace de Cannellito, dernier ours de sang pyrénéen. Martin est convaincu, il a été abattu par les chasseurs. C'est ce qui est arrivé en 2004 à Cannelle, la mère de Cannellito. Ces chasseurs... Martin ne les a pas dans son cœur. En dehors du boulot, il anime un groupe Facebook : STOP HUNTING FRANCE, contre la chasse et qui s'intéresse plus particulièrement aux chasseurs de trophées. Vous savez, ces gens (pleins aux as, il faut le dire) qui vont tuer des animaux sauvages dans des pays éloignés. L'activité de STOP HUNTING FRANCE : cibler ces personnes, dévoiler leur identité, leur adresse et les mettre en pâture à l'opinion publique sur les réseaux sociaux. En parcourant la page du groupe, une photo va attirer l'œil de Martin, celle d'une jeune femme devant la dépouille d'un lion, arc de chasse en main. La photo parle d'elle-même, semble-t-il, cette femme vient de tuer un lion. Il devient alors déterminé à la retrouver même s'il ne connait d'elle qu'un pseudo : Leg Holas. Son enquête le mène à Pau, et va très vite devenir obsessionnel, la chasse est lancée...


Ce livre est composée de 5 parties, qui se combinent très bien avec la narration non linéaire du bouquin : 1.Identifier sa proie, 2.L'approche, 3.La traque, 4.La mise à mort et 5.Le rituel. Dans chaque partie, on suit trois personnages de façon alternative : Martin, Apolline (alias Leg Holas) et Kondjima.


On découvre en Martin un homme qui porte peu d'espoir en l'espèce humaine, comme il le dit au début du livre : "Franchement, moi, j'ai honte de faire partie de l'espèce humaine. Ce que j'aurai voulu, c'est être un oiseau de proie, les ailes démesurées, voler au-dessus de ce monde avec l'indifférence des puissants." Il a également l'impression d'être inutile dans son métier face à la bêtise humaine. Bien qu'il ait la noblesse d'être un défenseur de la nature, Martin est quelqu'un de prétentieux qui dénigre l'activité de ces collègues.
Sa proie, Apolline, prise en chasse jusque dans les montagnes des Pyrénées, pour un lion qu'elle aurait tué. Apolline Laffourcade est une jeune femme, fille d'un conseiller en gestion de Fortune. Ses parents sont de fervents passionnés de chasse au trophées. Elle est ainsi initiée à cette activité dès le plus jeune âge. Elle nous raconte notamment sa toute première chasse au trophée, en Afrique, alors qu'elle avait seulement 10 ans. On se rend compte de l'innocence qu'elle avait en elle avant ce voyage : "[...]je ne pensais pas tirer sur quoi que ce soit. Du haut de mes dix ans, j'étais juste ravie d'aller voir des animaux, j'espérais voir un lion ou un éléphant, avoir des trucs à raconter à mon retour, c'est tout." Poussé par la curiosité, mais aussi par l'envie de faire plaisir à son père, elle se laisse tenter. Résultat : un Damalisque qui repose maintenant en trophée dans la maison de son père. Depuis, la chasse au trophée est devenu un passe-temps. Pour ses vingt ans, elle se voit offrir par son père, un arc de chasse, et une chasse au lion en Namibie. Le "prélèvement" d'un lion du désert a été autorisé, ce dernier ayant causé des dommages important chez les éleveurs Himbas.
Nous sommes alors transporté en Namibie, plus exactement dans le Kaokoland où l'on retrouve le troisième protagoniste de l'histoire : Kondjima, jeune homme de la tribu Himbas. On peut facilement faire un parallèle entre ce personnage et Martin. En effet, l'entrée de Kondjima dans l'histoire commence elle aussi par une vision un peu pessimiste de la situation présente et avenir dans son pays : "La sècheresse, certains disent que les Himbas sont condamner à s'y habituer. Que désormais les années sans pluie ni courant dans les rivières vont devenir la règle, que le Kaokoland tout entier va devenir aussi sec qu'une bouse au soleil[...]." Ryatwa (son ami) prétend que c'est la faute des blancs, qu'après avoir colonisé l'Afrique, ils ont même infesté le ciel et les nuages avec leurs usines." Kondjima a deux raisons de vouloir la peau de ce lion. Premièrement, le fauve a décimé toutes ses chèvres, malgré ses actes d'intimidation. Secondement, il est amoureux de Karieterwa, la fille du chef de son village. Ils se voient en secret. Seulement, la jeune femme est promise à Karika, le fils du chef d'un village voisin. Il veut alors tué le lion pour gagner la fierté de Kanyaze (le père de Karieterwa) et se marier avec sa fille. Kanyaze a lui aussi perdu des bêtes à cause du lion. Par cet acte, Kondjima rêve aussi prendre le chemin de ses ancêtre, qui allaient chasser le lion avec panache, pour une raison bien concrète : leur survie. Tout comme Martin, Konjima ne veut pas rester passif, il veut agir. Il nous rappelle d'ailleurs sans cesse la honte qu'il porte envers son père qui na rien pu faire contre le lion et qui s'est contenté de reporter la faute sur lui. Les chemin de Kondjima et d'Apolline vont donc se rejoindre lors de cette chasse au lion, il servira de guide sur ces terres qu'il connait tant.


Les trois personnages ont un point commun : ils sont chasseurs. Apolline et Kondjima chassent le Lion. La proie de Martin... c'est Apolline. Le message de l'auteur, c'est sans doute que l'on a tous un instinct de chasseur, même au plus profond de nous. Mais, dans cette histoire, les trois chasseurs échouent dans leurs quête. Martin, se retrouve dans la peau de ceux qu'ils a toujours combattus (les chasseurs) et dans un acte d'instinct de survie il sera même responsable de la mort de Cannellito, le dernier ours de sang pyrénéen, celui qu'il a tant chercher à protéger.
Apolline n'a pas tué le lion, contrairement à ce qu'aurait pu traduire la photo sur Facebook, au début du livre. Elle l'a seulement blessé. Par conséquent le lion, poussé dans ces retranchement, fuit mais se dirige droit vers le village Hambas.
Ce soir-là, comme chaque soir Kondjima devait retrouver Karieterwa devant le grand arbre du village. Il poursuit le lion, mais arrive trop tard pour éviter le drame. Il vient de perdre l'être pour lequel il se battait. Mais il luis reste une chose à faire, il a retrouvé le téléphone portable qu'avait perdu le père d'Apolline lors de la chasse au lion. (Ce dernier prenait sans arrêt des photos : c'est le chasseur de trophée typique, prêt à se vanter de sa sinistre activité sur les réseaux sociaux). Kondjima veut se venger d'Apolline, qu'il tient pour responsable de la mort de sa bien-aimée. C'est lui qui poste la photo sur Facebook sous le pseudo de Leg Holas (surnom attribué à Apolline par son père => Légolas, référence bien sûr au personnage elfique du Seigneur des Anneaux, particulièrement doué au maniement de l'arc) pour livrer la fille à un déchainement de haine.


Ce qui a été difficile à appréhender lors cette lecture, c'est avec quel personnage on pouvait prendre parti, quel personnage on pouvait comprendre. Martin se veut protecteur de la nature et condamne les atrocités commises par les chasseurs de trophées, mais il a une personnalité prétentieuse, égoïste et perverse. A travers le personnage de Martin, l'auteur condamne sans doute l'acte barbare de ces chasseurs de trophées. Mais il dénonce par ailleurs l'acharnement envers ces personnes et qui est envenimé par les réseaux sociaux. Cet acharnement se traduit par la poursuite impitoyable d'Apolline que Martin mène, pour finalement se retrouver face à son échec. Sa défaite montre que la haine ne mène à rien, tout comme la violence qu'elle engendre.
Apolline possède une passion que, personnellement, j'ai du mal à comprendre. On se rend compte de son caractère possessif sur les animaux qu'elle traque. Mais, en même temps, elle garde tout au long de l'histoire un autre regard sur la faune qu'elle peut croiser lors de ses chasses : de l'émerveillement. On peut alors avoir le sentiment qu'avec une enfance autour de laquelle gravitait des parents inconditionnels de la chasse, elle ne pouvait être destiné qu'à chasser elle aussi. Kondjima, quant à lui, nous fait partager son amour pour sa âme-sœur et pour ses racines Himbas. Ce personnage apporte aussi un regard critique sur l'homme occidental. Par l'intermédiaire de son ami, Ryatwa, une raison est donnée au fait que "l'Homme blanc" vienne en Afrique pour la chasse : il a déjà tué tous les animaux sauvage dans son pays. D'après moi, l'auteur porte ici un regard critique, à juste titre, sur cette activité telle qu'elle a été pratiquée depuis des décennies en Occident.


L'une des forces de ce roman, en plus de son caractère choral et de sa narration non linéaire, c'est qu'il s'appuie sur plusieurs évènements réels. D'une part, Cannelle a été abattue en 2004 par un chasseur, sur SON territoire. Le chasseur avait été averti de la présence de l'oursonne mais en a fait fi, faisant de Cannellito un orphelin. Alors qu'il est toujours en vie dans la réalité, sa fin est tragique dans le livre, mettant en avant la menace permanente qui pèse sur les plantigrades dans les Pyrénées. Dans un autre temps, Martin parle souvent du projet de réintroduction de deux oursonnes slovènes, dans le Béarn. Cette réintroduction a eu lieu en octobre 2018, afin de fixer la population d'ours dans cette région qui est à ce moment là fragilisée par sa consanguinité. Dans le roman, la mort de Cannellito entraîne l'annulation ce cette réintroduction, ce qui signe définitivement l'échec de Martin. Par ailleurs, lorsqu'il parle de chasse au trophée, Martin, s'appuie sur deux évènements passés. Il prend l'exemple de cet ancien champion de ski français bien connu (que je ne citerai pas), ayant par la suite gagné le Dakar. En 2016, des photos de cet homme, posant tout sourire devant le cadavre d'un mouflon, au Kamtchatka, ont circulé sur internet. Devant ces abominables photos, la polémique enfle, et, menacé de mort, l'ancien skieur fui en Andorre (petit paradis fiscal, notons-le). La seconde affaire prise en exemple, c'est celle du braconnage du lion nommé Cecil, en Juin 2015 au Zimbabwe. Il faut remarquer que la fiction du roman présente des similitudes avec cette affaire. Tout d'abord, le lion du désert, nommé Charles, traqué par Apolline, présente une caractéristique bien particulière : sa crinière et noire, comme celle du lion Cecil. Deuxièmement, Apolline utilise un arc de chasse comme arme destructrice. C'est avec le même type de matériel que le dentiste américain a blessé le lion Cecil avant de l'abattre.


Dernier point, l'auteur a choisie de personnifier les deux animaux sur lesquels repose ce livre. Il y a tout d'abord Charles, le lion du désert, et Cannellito l'ours . Le choix d'un narrateur omniscient apporte de la force à ces deux animaux et leur procure une certaine sagesse. Charles fait son apparition dès le prologue. Alors poussé dans ces derniers retranchement, il doit faire face aux hommes, sur ses terres. Lui, qui a toujours était le chasseur a peut-être trouvé un prédateur plus fort que lui. La fin du prologue laisse peu d'espoir quant à sa destiné : "[...]lui qui se pensait si fort titubait de mètre en mètre, les pas moins assurés, chancelant dans la caillasse et dans les pailles cassées, plus rien d'un roi, plus rien d'un prince, muscles percés, tremblants, il poussa aussi loin que le pouvait sa carcasse [...]. Pour, sans plus pouvoir lutter, s'effondrer sur le flanc." Le prologue, avec ses phrases très longues, nous laisse peu d'air et donne une atmosphère oppressante, à l'image de la menace qui pèse sur le lion.
Cannellito entre en scène au moment où Martin et Apolline tombent accidentellement dans sa tanière. Cannellito nous donne une vérité quant à son rapport avec l'Homme qui est valable pour beaucoup d'animaux sauvages : "La meilleure chose à faire avec ces carnivores qui lui ressemblaient tant et qui comme lui parfois marchaient sur leurs deux jambes, c'était de s'en tenir le plus loin possible. Eviter de s'y frotter si on tenait à sa vie."


Après les différents drames qui se sont joués, l'auteur conclut son livre sur un brin d'espoir. En effet, dans le prologue l'opportunité d'une seconde chance se présente à Charles avec la perspective d'une liberté retrouvée. Il s'est remis de sa blessure et à la fin de sa fuite éperdue il finit par tomber sur une plage et des lionnes, "loin des hommes, de leurs armes,[...] et de leurs bêtes parquées".


Colin Niel est diplômé d'études approfondies en biologie de l'évolution et d'écologie. Il a travaillé 12 ans à la préservation de la biodiversité, notamment en Guyane Française. Il y a été chef de mission pour la création du parc amazonien. Entre Fauves est son deuxième roman.

sharko156
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le 28 nov. 2020

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