Elric de Melniboné. Elric des Dragons, Elric le Nécromancien. L'albinos, le dernier de sa race. Le Loup Blanc, Le Tueur de Femmes. Maître et esclave de l'épée noire Stormbringer, serviteur rebelle du Seigneur du Chaos Arioch. A l'instar de Hawkmoon, Corum et Erekosë, un avatar du Champion éternel.

Et probablement le plus célèbre ! Inutile d'en rajouter une couche, je n'aurai pas la prétention de vous faire découvrir le fameux personnage créé par Michael Moorcock. Généralement, on en fait ZE classique incontournable de l'heroic fantasy, après ces glorieux fondateurs que furent Le Seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien et les aventures de Conan le Cimmérien de Robert E. Howard. Certes.

Mais j'avouerai que, pour ma part, Elric m'emmerde. Et plus largement les œuvres de fantasy de Moorcock, qui ne m'ont jamais totalement convaincu jusqu'à présent (avec des hauts et des bas, il est vrai). Je me suis déjà exprimé sur la question en rendant compte de ma lecture de Tout Corum ; je me contenterai de rappeler ici que celle d'Elric, en son temps, fut encore plus fastidieuse. Si le personnage d'Elric est bien une remarquable création, tout en charisme, en panache et en ambiguïté, malgré un petit côté gogoth dépressif trop-dur-pour-lui qui peut agacer à l'occasion, ses aventures m'ont généralement laissé de marbre, quand elles ne m'ont pas fait soupirer de lassitude. La faute à l'indigence de l'écriture, sans doute, pour une bonne part. Mais il m'est apparu un autre élément d'explication à la lecture de la « Préface » de Michael Moorcock himself à cette anthologie françouèse (pp. 9-15 ; préface d'ailleurs hautement dispensable pour le reste, toute d'auto-promotion et de léchage de boules éhonté de notre beau pays d'en-France) : j'avais déjà exprimé mon ressenti à cet égard, mais, ainsi qu'il l'affirme de lui-même, Moorcock n'a en effet pas créé d'univers pour Elric ; Melniboné, les Jeunes Royaumes, etc., ça n'est jamais qu'un cadre flou, dessiné à grands coups de crayon imprécis. Le monde qu'arpente Elric, c'est avant tout celui de la psyché, un monde de symboles et d'allégories aux allures de rêve (ou de cauchemar) brumeux. Si le procédé peut paraître justifié, j'avoue, a posteriori, qu'il a sans doute eu son importance dans mon rejet du cycle « incontournable » : j'aime les créateurs d'univers, bah oui ; surtout si, pour le reste, on se contente plus ou moins de suivre un énième molosse au visage dur maniant du symbole phallique pour convertir des orques / démons / trucs en XP. Parce que, du coup, ça manque...

« Mais pourquoi, alors, pauvre con de Nébal, lire cette anthologie française hommage au prince albinos ? »

Tout d'abord, voyez l'adresse de mon blog miteux (merci). Ensuite, comme dit plus haut, Elric est un bon personnage, quand bien même ses aventures ne m'ont pas séduit jusqu'à présent. En outre, un des plus gros éléments à charge à l'encontre du cycle d'Elric était la pauvreté du style, défaut que l'on pouvait espérer gommé dans cette anthologie (le casting, au passage, est pour le moins impressionnant !). Enfin, parce que l'exercice du pastiche me plait bien : je suis bien loin de hurler avec les loups au vil projet bassement mercantile pour des entreprises du genre ; voir un écrivain de talent reprendre un personnage, un univers, un procédé d'un glorieux prédécesseur, avec l'enthousiasme fébrile de l'admirateur ou le sourire jubilatoire de l'amocheur de mythes, voilà quelque chose qui peut se révéler particulièrement intéressant : à titre d'exemples, je citerais bien volontiers les nombreux pastiches de Lovecraft par les continuateurs des « légendes du mythe de Cthulhu » (on y côtoie certes le pire comme le meilleur, mais il en est à l'occasion pour rivaliser de talent avec le Maître de Providence – le petit jeu entre ce dernier et le jeune Robert Bloch, par exemple, ça vaut le détour, tout de même...), ou encore les nombreux pastiches de l'immense Philip K. Dick, qui s'est vu parfois honorer de l'hommage éventuellement souriant de très belles plumes de SF, ainsi Michael Bishop, notamment dans son excellent roman Requiem pour Philip K. Dick ; on pourrait d'ailleurs citer également ici Paul Di Filippo, décidément fort doué pour cet exercice (au passage, il s'en était lui aussi délicieusement pris à Lovecraft, ainsi avec « Des Hottentotes » dans La trilogie steampunk). Et le talent pour le pastiche d'un Jeff VanderMeer, par exemple, a sans doute joué son rôle dans mon adoration pour l'excellentissime Cité des saints et des fous. Ajoutons au surplus que l'anthologiste, Richard Comballot, a souvent été loué pour plusieurs recueils du genre (et que doit paraître prochainement chez Rivière blanche, toujours sous sa direction, une anthologie hommage à Philip K. Dick sur laquelle je ne manquerai pas de me jeter le moment venu...) : tout cela autorisait bien la lecture de cet Elric et la porte des mondes, non ?

Si. Je ne reviendrai pas là-dessus. Na.

Mais force est de constater que le bilan, en l'espèce, est plus que mitigé. Autant le dire de suite, ce volumineux recueil m'est régulièrement tombé des mains... Aussi ne vais-je pas le détailler excessivement, mais simplement noter dans un premier temps les quelques textes qui valent le détour, et laisser le reste à la poubelle.

Commençons donc par le meilleur. Deux textes, à mon sens, dépassent de très loin tous les autres ; deux excellentes nouvelles, mais qui sont quelque peu isolées dans ce gros recueil ennuyeux... La première est « Qayin », du décidément excellent Xavier Mauméjean (pp. 169-188). L'auteur y conserve un cadre d'heroic fantasy, mais fait intervenir le prince albinos dans une variante de la Genèse, Elric y combattant aux côtés de Caïn et de ses enfants contre l'injuste malédiction imposée au premier meurtrier par le Dieu innomé. On y retrouve tout ce qui fait le talent de Xavier Mauméjean, l'humour excepté : érudition, intelligence et finesse dans le fond, efficacité élégante dans la forme (le Monsieur est décidément très doué pour les scènes d'action, entre autres). C'est ici le meilleur du personnage d'Elric que l'auteur a retenu : son ambiguïté morale apparente dissimulant mal un profond sens de la justice, sa rébellion humaniste contre les manœuvres des marionnettistes divins. Le cadre biblique fournit en outre un parfait équivalent aux Jeunes Royaumes, en en conservant le flou et la nébuleuse atmosphère archaïque, tout en prodiguant des clés symboliques d'interprétation qui élèvent le récit bien au-delà du « simple » affrontement eschatologique, quand bien même plus ambigu qu'il n'y paraît.

Deuxième réussite incontestable, peut-être encore supérieure, « La Musique des âmes » de Johan Heliot (pp. 349-368). On est cette fois bien loin du décor d'heroic fantasy ! Elric y est tout simplement « l'Albinos », un guitariste virtuose aux premières heures épiques de la révolution du rock'n'roll ; Stormbringer y devient une Fender unique en son genre, dont les solis précurseurs bouleversent l'auditoire en transe et moissonnent les âmes loin de la furie des champs de bataille. La nouvelle prend l'aspect d'un récit fantastique, confession à la première personne d'un journaliste en herbe, passionné de musique... du nom de Mike Moore. Si l'on est bien loin de l'Elric traditionnel, Johan Heliot a su en conserver l'essence dans un cadre bien différent ; sa nouvelle, si elle n'est à vrai dire pas très originale, est néanmoins passionnante, efficace et bien vue. Une très grande réussite.

Voilà pour ce qui est du sommet. Restent encore quelques textes corrects, voire bons, mais bien inférieurs. Ainsi pour « Frère des hyènes » de Christian Vilà (pp. 123-146), un récit d'heroic fantasy teinté d'horreur (comme les meilleurs nouvelles d'Elric à mon sens), guère original là encore, mais d'une lecture agréable, et plutôt approprié : on y trouve l'élégance mythique qui fait l'excellente heroic fantasy. Mais le style un peu hésitant à l'occasion (quelques répliques, notamment, sonnent comme de fâcheux anachronismes...) empêche de qualifier cette nouvelle d'excellente : on se contentera de sympathique.

Ayerdhal & Eric Cervos, avec « Les Seigneurs de la firme » (pp. 299-322), délaissent à nouveau les Jeunes Royaumes pour plonger Elric dans le fog sinistre de l'Angleterre victorienne. Son ascension dans le monde de l'industrie ne manque pas d'intérêt, et le résultat est plus que correct, quand bien même on pourra très légitimement trouver la charge anti-capitaliste dont ce texte offre le prétexte « un peu » lourde. Ca se lit bien, toutefois.

Pierre Stolze, avec « La dernière conquête du Loup Blanc » (pp. 323-347), nous offre enfin la petite friandise amusante et gentiment moqueuse que l'on était en droit d'attendre (ou de craindre, c'est selon) depuis le début du recueil. Elric y est un anachronisme grandiloquent et ridicule (et pas le moins du monde torturé...) déboulant comme un cheveu sur la soupe dans un jeu de rôles de réalité virtuelle, où de riches joueurs incarnent pour un temps de terribles athlètes martiaux rabotant du sbire à volonté. Une parodie pas très fine, on s'en doute, mais distrayante, et ça fait du bien...

On retourne à quelque chose d'un peu plus grave avec Pierre Bordage et « L'archiviste » (pp. 393-402). A nouveau un univers de science-fiction, mais à la Gattaca cette fois, où l'albinisme et la faiblesse congénitale d'Elric le condamnent à l'isolement dans les sombres corridors poussiéreux d'archives désuètes. On aboutit sans véritable surprise à un phantasme adolescent de vengeance destructrice du misérable souffre-douleur. Guère original, pas forcément très subtil, un peu agaçant dans son outrance larmoyante pour ne pas dire politiquement correcte, mais finalement approprié et convaincant.

On y ajoutera trois textes pas franchement mauvais, mais quelque peu décevants. Et tout d'abord celui de Fabrice Colin, « Eloge des poissons-gouffres » (pp. 107-121) : sur le plan du style, l'auteur n'a de leçons à recevoir de personne, et son texte est clairement le plus ambitieux à cet égard ; avec plus ou moins de réussite, ceci dit (la narration à la deuxième personne, désolé, mais j'ai du mal...). La multiplication des points de vue est également intéressante, mais le récit finalement assez confus et verbeux. Un texte mal entouré, aussi : le fait que l'on y retrouve, quand bien même avec davantage de pertinence, l'érotisme plus ou moins lourdingue qui venait parasiter la plupart des textes le précédant, achève de susciter lassitude et ennui. Dommage... Pas grand chose à dire sur Richard Canal et son « Elric et l'enfant du futur » (pp. 223-242) : l'atmosphère à la fois déliquescente et combattive est assez séduisante, mais ça ne casse pas des briques ; ça reste un peu mieux que médiocre... Dernier lauréat du genre : Jacques Barbéri, avec « La Porte des Mondes » (pp. 403-449), la longue nouvelle qui donne son titre au recueil, et dans laquelle l'auteur mêle l'univers de Moorcock au sien propre (celui du Crépuscule des chimères, que je n'ai hélas pas lu...). Une idée audacieuse, pour un texte très rondement mené dans un premier temps, mêlant fantasy, science-fiction et polar, sans négliger un brin d'humour (et de clichés...) ; tout cela commence fort bien, mais la nouvelle s'éternise ; et, passée la moitié environ, l'ennui s'installe devant ce qui ressemble de plus en plus à un foutage de gueule... Dommage, là encore. J'attendais davantage de cet auteur dont les quelques nouvelles que j'ai pu lire ici ou là m'ont chaque fois bien davantage séduit.

Pour le reste, soit un peu plus de la moitié du recueil tout de même, beaucoup de médiocre, voire de carrément nul. A la différence de la plupart des meilleurs textes que je viens d'évoquer, où Elric, assez souvent, se voit impliquer dans des intrigues de science-fiction et des univers décalés, les autres auteurs (surtout dans les premières pages) se content généralement de promener le Loup Blanc dans les Jeunes Royaumes, ou un quelconque ersatz aussi peu attrayant, et pour ainsi dire inutile. Elric y tue des gens, se plaint que c'est trop dur la vie, et trempe sa nouille une page sur deux en regrettant Cymoril. Bon... C'est pénible. Et ça ne fait que s'aggraver à mesure que les nouvelles s'enchaînent, reproduisant inlassablement ce canevas en mode automatique. Autant dire que les nouvelles que j'ai détaillées jusqu'ici font figure de bouffées d'air frais dans cet alignement stérile de mauvais pastiches, trop révérencieux, trop téléphonés, ou trop plats pour susciter le moindre intérêt. On s'ennuie... Et parfois on s'énerve, devant les pires exemples. Des noms, histoire de me faire des amis ? Allez : Léa Silhol (« Le Rêve en la Cité », pp. 17-33) nous démontre, s'il en était encore besoin, qu'il n'y a rien de plus efficace pour faire saigner les yeux et les oreilles qu'une pompe archaïsante mal maîtrisée ; Jean-Pierre Vernay (« Le Cœur et l'Epée », pp. 189-222) nous inflige quant à lui une nouvelle longue et chiante, confuse et tout simplement ridicule ; mais je décerne pour ma part le prix du pire à Daniel Walther, qui trouve le moyen de nous faire subir à lui tout seul DEUX textes nullissimes (« Cœur de glace », pp. 147-168, et, sous le pseudonyme de Darek Erthal, « La Forteresse de l'obscur », pp. 273-297), écrits avec les pieds, partant dans tous les sens, lourds au possible... et annotés. Aha. Bref, chiants comme ça devrait pas être permis. Je ne sais pas si c'est le second effet Bifrost, mais tout ça ne me donne clairement pas envie de découvrir plus avant le sinistre responsable de tout ça...

Au final, deux très bons textes, quatre corrects voire bons et trois tout juste passables. Sur 19 nouvelles. J'ai envie de dormir...

A réserver aux fans intégristes, sans doute.
Nébal
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le 12 oct. 2010

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