Dune
8.1
Dune

livre de Frank Herbert (1965)

Ma première lecture de Dune a vite débordé sur les tomes suivants, jusqu'à connaître un ralentissement d'intérêt pour Les Hérétiques de Dune et surtout sa suite, qui me semblent peu inspirées.


Un ou deux ans plus tard j'ai replongé dans cet univers en m'arrêtant cette fois à l'Empereur-Dieu de Dune, et en passant par la préquelle du fils, sympathique mais assez lourde et maladroite.


Je propose donc ici un commentaire sur les 4 premiers romans du père.


L'excitation de la première lecture n'y est plus, je vois plus facilement les ficelles, les aspects philosophiques pas toujours très passionnants. Les dialogues trop intellectuels, ou chaque personnage semble capable de les saisir, sauf quand ça fait l'affaire de l'auteur. Je vois pourtant mal Stilgar ou Gurney Halleck en philosophe durant leurs heures perdues.


L'aspect simpliste de Star Wars avec des planètes réduites à une expression. L'eau pour Caladan. Le désert pour Arrakis. Etc. De même l'honneur pour la famille Atréide, la férocité des Fremen, la brutalité perverse Harkonnen.


Mais il me faut reconnaître que les univers de fiction, aussi touffus soient-ils, ont leurs limites, et une trop grande complexité serait contre-productive. On s'y perdrait, rien ne serait identifiable. L'univers, de mon avis, n'est pas là pour exister totalement de lui-même, mais pour offrir un cadre narratif où le lecteur peut développer des repères chapitre après chapitre, sans recours à des béquilles externes. Et c'est le cas pour Dune. D'ailleurs le dictionnaire du premier roman est accessoire, on comprend très bien grâce au contexte. Ainsi des planètes réduites à un élément est un mal nécessaire.


Alors même si l'excitation n'y est plus, même si je vois un peu l'envers du décor, le plaisir reste au rendez-vous.


Que raconte Dune ? Bien des choses, et je ne pourrais pas tout aborder.


Sur Arrakis se trouve une substance, l'Épice, qui permet, transformée et consommée, de voir dans le Temps. En avant, en arrière. Elle permet d'allonger la vie, et de voyager dans l'espace grâce à la prescience. Elle est à l'origine d'une religion, dont le dieu est le ver géant du désert. Et le peuple d'Arrakis, les Fremen, attendent un Messie. Je résume affreusement !


L'Épice, c'est la substance que se dispute tout l'univers habité, substance à l'origine des conflits et en même temps de l'équilibre des forces politiques et commerciales.


Mais rien n'est transcendant, dans Dune. L'Épice est un piège, un poison, une drogue. Les visions ne sont pas toujours claires, elles ont des angles morts. Les Fremen qui vivent à la dure sur leur caillou désertique, les Fremen qui rêvent d'eau et de végétation, vivront leur Paradis et se rendront compte que ce n'en est pas un. Et que ce Paradis met en péril l'Épice, et donc l'avenir de l'humanité.


À ma première lecture je préférais Dune. À ma seconde je lui préfère Les Enfants de Dune et surtout l'Empereur-Dieu de Dune. On entre beaucoup plus loin dans la science-fiction, la littérature de l'imaginaire, et l'univers évolue à chaque volume.


On sort des intrigues habituelles mises dans un cadre (futuriste ou fantasy) pour entrer dans autre chose qui n'est pas seulement cosmétique. Harry Potter, ce sont des enquêtes policières avec de la magie dedans. Ça ne lui enlève rien, mais c'est très en surface.


Dune, ce sont des hommes qui deviennent des espèces de poissons flottant dans un nuage d'Épice, et cela fait d'eux des Navigateurs capables de trouver leur route dans l'espace. Ce sont des enfants qui ne sont pas des enfants, car ils portent en eux des milliers de vies, d'expériences et de souvenirs. C'est un homme métamorphosé en ver des sables, incarnation du Dieu de Dune. Une femme avec trop de voix dans sa tête, dont l'une prend le dessus. Etc. Des êtres qui ne pensent pas comme vous et moi, et nous emmènent ailleurs.


Bien des aspects de Dune peuvent être peut-être superficiels. Entre les diverses philosophies, mentalités et intelligences, entre Mentats et Bene Gesserit, etc. les différences ne sont peut-être que de surface, des artifices de l'auteur, des paraphrasés des religions et philosophies existantes.


Mais les idées de Dune nous emmènent loin dans des consciences étendues, étendues dans la vision du Temps et la bibliothèque génétique, certains personnages ayant accès à la mémoire de toute leur lignée au risque de s'y perdre.


Ce que ne parvenait pas à faire le fils sur sa préquelle. Il l'évoquait, mais avec un esprit scolaire et conformiste, dans une sorte de Games of Thrones galactique, là où le père nous plonge dans les vertiges de son Leto II ou les cauchemars de son Alia.


Et toujours ce sens du suspense, cette manière de nous dévoiler le plan de chacun et de nous surprendre pourtant quand ce qui était annoncé, arrive... Des personnages auxquels on s'attache, bien décrits. Des joutes verbales, physiques et spirituelles. Des complots. Des faux suspenses qui créent de vrais suspenses. Ce personnage mystérieux, c'est bien lui ? Oui, on le sait que c'est lui, et pourtant la révélation fonctionne quand même !


Dune, c'est aussi une avalanche de clichés qui font mouche. On nous sort le coup du messie aveugle qui "voit" quand même, du méchant qui a toutes les perversions, du personnage qui meurt mais en fait non, et c'est toujours accompagné d'une certaine amertume. On n'est pas messie gratuitement, il y a un prix à payer. Le héros n'est pas si héros que cela et son destin lui échappe. Ainsi les clichés ont du sel qui nous les rendent sympathiques.


Frank Herbert n'a pas un grand style, c'est au bord du générique, mais ça fonctionne suffisamment pour créer des images mentales et du plaisir de lecture. On "voit" à quoi ressemble Leto II devenu ver des sables, on goûte la sueur et on sent le sable dans les plis de la peau. On craint les Fremen et les Sardaukar. On sait pourquoi les peuples suivent les Atréides et détestent les Harkonnens.


Jamais il ne nous enlise dans des descriptions inutiles, jamais il ne nous assomme avec la présentation de son univers. C'est fluide et limpide. Inventif. Intelligent. Épique et confidentiel. Familier et étrange à la fois.


Trois romans se suivent. Le quatrième fait un bond chronologique de 3000 ans en avant. Des personnages ont forcément disparu, certains sont pourtant toujours là, et la fascination demeure.




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le 3 avr. 2024

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