Immense. Oeuvre colossale dans tous les sens du terme, La Recherche du Temps Perdu est probablement un des plus grands chefs-d'oeuvres de la littérature, par la richesse de ses thèmes, la puissance de ses évocations, ses personnages, ses portraits, la minutie de la narration, le style sans égal, élégant, fluide, puissant. Proust trouve tous les mots. Il semble parler pour nous, avec à chaque fois une acuité de la langue absolument parfaite.


Il parle pourtant de choses si simples, en l'occurence de l'enfance dans Du Côté de chez Swann. Ainsi, l'évocation d'une église ou d'une madeleine deviennent des moments phénoménaux, uniques, incroyables alors qu'ils ont été vécu par tant et tant de personnes. Seulement, le "je" du narrateur est si profond, la sensibilité de Proust si acérée, qu'il transforme la banalité en or. Il n'hésite pas à recourir à l'exagération, à l'hyperbole pour signifier la puissance d'un sentiment banal mais dont on a oublié toute l'importance. Proust, c'est l'amour des petits riens et des petites choses, celui d'un homme chétif et maladif qui passa sa vie à observer le monde et à se rêver une vie.


Mais Proust distille au-delà du sentiment de la subjectivité et de la vie de son narrateur une vision critique de la société, à la fois tendre et cruelle, envers la haute bourgeoisie, cette aristocratie qu'il admire comme un enfant devant une belle vitrine mais qui se vautre dans une banalité convenue. Mais surtout, il rit de lui-même, jouant de sa maladie au travers de son narrateur, jouant des ambiguïtés, des déconvenues, de sa propre naïveté.


Il rend plus encore hommage aux anonymes : à sa mère qu'il chérit maladivement, ainsi qu'à sa grand-mère. Les femmes, chez Proust, sont des déesses inaccessibles, en amour et physiquement, statufiées, glorifiées, il les admire. Et malgré tout, les premières amours sont d'une sensualité incroyables. Il en ressort un curieux paradoxe : derrière l'homme malade qui écrit se trouve une âme de feu, un esprit d'une rare intensité et malgré les peurs, la mort qui rode, les bonheurs quotidiens d'une existence, une curiosité sans nulle autre pareille et un amour des choses indéfectibles.


L'oeuvre de Proust est l'oeuvre d'une vie. Il revient sur ses propos, commente le passé avec ironie, ou au contraire chérit le temps qui s'écoule. Comme un amoureux transi de la vie, il semble avoir tout noté, scrupuleusement, frénétiquement. Il livre le bilan d'une vie d'observation méticuleuse, de songes et de rêveries. Sa quête c'est le temps, et son but, lutter contre la mort, inexorable. Il s'immortalise dans son oeuvre, grave à jamais tous les moments qui comptent, revisite sa mémoire, avec une délectation nostalgique et savoureuse.



Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.



Tout est dit.

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le 3 oct. 2013

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Tom_Ab

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