Dieu - des arguments, des fortes probabilités

Le tapage médiatique bien ciblé a fait son œuvre, on m'a offert l'ouvrage de Bolloré (le frère de Vincent) et Bonnassies, qui annonce fièrement "l'aube d'une révolution". On devrait pourtant savoir, au moins depuis le livre de Macron, que quand un titre annonce une révolution, c'est qu'il n'a pas grand chose de nouveau à dire.
Commençons tout de même par les aspects positifs de l'ouvrage : le livre est incontestablement instructif, accessible, pédagogique, souvent intéressant, et des informations qu'il rassemble intelligemment pour échafauder son raisonnement, rien n'est factuellement faux. De ce point de vue, le novice qui ne s'est jamais trop questionné sur l'existence de Dieu sera très certainement bousculé par cette lecture. Il s'agit, ni plus ni moins, d'une très bonne synthèse des évolutions de la réflexion scientifique vis-à-vis de l'existence de Dieu, qui offre une belle base de réflexion sur la question existentielle la plus essentielle que l'Homme puisse se poser : cela confère, tout de même, un beau mérite au travail des auteurs !

L'ouvrage propose une mise en perspective intéressante de cette évolution, mais il n'apporte, à proprement parler, rien de neuf à la question. Pour résumer, le nœud du problème qui occupe les auteurs est toujours le même depuis des siècles, et sur lequel se sont penchés des centaines d'ouvrages : en gros, le principe de Parménide (rien ne nait du néant) couplé au principe de Lavoisier (rien ne se crée tout se transforme) forment la matrice de la question de la possibilité d'un créateur, cause première. La nouveauté du livre réside dans la mise en perspective, par cette courbe en "U" présentée en début d'ouvrage, de l'accumulation des découvertes scientifiques qui, tendanciellement, vont depuis un siècle en faveur de l'existence de Dieu. Soit, même si rien ne dit qu'à l'avenir la courbe ne va pas s'inverser…

Là où en revanche la démarche des auteurs est clairement problématique, c'est évidemment dans la rigueur souvent discutable de leur raisonnement. A commencer par ce terme complètement impropre de "preuve" de l'existence de Dieu, annoncé dès le titre racoleur au lieu du terme "argument", qui décrédibilise d'emblée la démarche : même un élève de lycée peut comprendre que ce terme n'a rien à faire dans le champ de cette réflexion, et que Dieu est par définition improuvable. Tous les scientifiques, philosophes et théologiens s'accordent sur ce point. Comment les auteurs ont-ils pu passer à côté, si ce n'est sciemment ?...
Et effectivement, au fur et à mesure que la lecture progresse, on sent bien qu'on est embarqué dans un couloir de réflexion tout tracé, au prix de raccourcis dans la démonstration qui m'ont souvent étonné, voire agacé.
Pour commencer, Bolloré et Bonnassies déclarent en préambule qu'ils ne donneront pas de définition à Dieu par souci d'objectivité - premier gros problème : il faut pourtant bien, pour raisonner, donner une définition minimale à Dieu ! -. Puis, tout le long de la seconde partie, ils ne traitent finalement que du Dieu qui correspond à la foi judéo-chrétienne, puis chrétienne uniquement avec l'étude du miracle de Fatima. Je n'ai rien contre, au contraire, et j'ai trouvé cette seconde partie là encore très intéressante et plutôt convaincante, mais pourquoi ne pas être honnête et transparent dans la démarche ?

Ainsi, tout lecteur un minimum objectif sera forcément perturbé par le manque de nuance, par la façon dont les auteurs balaient toute objection à leur raisonnement en quelques lignes, avec des raccourcis parfois très rapides. En gros, quand un scientifique donne des arguments en faveur de l'existence de Dieu, on a droit à toute sa biographie ; et quand un autre élabore une théorie qui va à son encontre, sa réflexion est éconduite en 3 lignes, sans aucun argument en sa faveur, car "elle ne sera jamais prise au sérieux par la communauté scientifique".

Un exemple de raccourci qui m'a frappé : la mort thermique de l'univers, argument central de la démonstration des auteurs - enfin plutôt, selon eux, une "preuve"...- car s'il y a une fin (ils prennent l'exemple du feu qui se consume), alors il y a un début, car autrement l'univers serait consumé de toute éternité. Puis ils se pencheront sur le début qui induit une cause première. Le raisonnement tient très bien. Mais de leur propre aveu plus loin, la mort thermique correspond à "tendre" vers un état d'entropie maximale et vers le zéro absolu. Or "tendre", en mathématiques, c'est précisément ne jamais atteindre la fin (de même le bois qui se consume dans le feu n'aboutit d'ailleurs pas au néant, mais à de la fumée et des molécules émises dans l'air tout simplement : exemple peu adéquat !). Cette approximation criante ne semble pas gêner les auteurs : fin du chapitre, on a "prouvé" que l'univers a une fin.
Autre démonstration très contestable : l'accumulation de chiffres impressionnants pour démontrer que la vie sur Terre est tout bonnement improbable sans l'intervention d'un créateur. 10 puissance -10, 10 puissance -42, 10 puissance -128... On va même jusqu'à mettre sous les yeux du lecteur, au sein du texte, une photo complète du chiffre pour montrer combien de zéros derrière la virgule ça représente. Prodigieux, étourdissant ! Sauf que dans la plupart des cas, ces chiffres sont à regarder au regard d'un infini de possibilités ou de temps, ce que les auteurs savent pertinemment. Dans ce cadre, le chiffre de 1 ou 2 est tout aussi impressionnant que 10 puissance 1000 ; tout dépend du référentiel…
Plusieurs fois ainsi, à ma grande surprise, un raisonnement débute bien puis s'achève brutalement en trois lignes de conclusion, toujours munies des mêmes termes inadéquats : "preuves", "nécessairement", "évident", "hypothèse validée", "c'est un fait" etc. Alors qu'à chaque fois, ce qui est prouvé, c'est une très forte probabilité, non pas une nécessité. Ce qui n'est pas rien, mais tout de même la nuance est de taille !

La critique est, j'en conviens, peut-être un peu facile : le livre est dense sur de nombreux autres aspects, et un ouvrage qui souhaite vulgariser tant de démonstrations scientifiques en quelques centaines de pages est forcément imparfait.
Hélas malgré tout, de simple étonnement au départ, on finit par sérieusement douter de la neutralité des auteurs. Pour être franc, il semble trop évident que ce livre s'adresse à un certain public, à savoir à mon avis les "chrétiens de droite" (expression que d'habitude j'abhorre, mais là…), ce qui explique au passage la réussite du buzz médiatique parfaitement ciblé autour de ce livre promu par la famille Bolloré :
…Chrétiens en effet, comme l'atteste la structure de l'ouvrage, et des clins d'œil distillés ça et là à leur endroit durant tout l'ouvrage : par exemple, cette précision étonnante dans les prémisses de l'ouvrage que l'existence de Dieu implique la possibilité des miracles, et des prophéties - curieuses précisions qui sont hors-sujet du débat posé par l'ouvrage ; et les prophéties, du reste, ça n'est rien d'autre qu'une forme de miracle…
…De droite, avec ces allusions bien étonnantes, parmi les preuves scientifiques en faveur de l'inexistence de dieu sur la courbe, au "marxisme" et au "freudisme". C'est confondre la poule et l'œuf : ces théories sont certes "scientifiques" et découlent sans doute d'une pensée athée, mais elles n'apportent strictement rien à la question de l'existence de dieu. Là encore, on a droit à un très curieux mélange des genres.

L'ouvrage avait pourtant tout pour plaire au croyant et catholique que je suis. D'ailleurs, je n'ai rien à contester aux conclusions que les auteurs proposent, je pense même qu'ils ont raison. Simplement, il faut formuler tout autrement leur raisonnement : ce qu'ils rassemblent dans cet ouvrage ne sont pas des preuves mais des arguments en faveur de l'existence de Dieu, et plus souvent encore, en défaveur de l'inexistence de Dieu ; ce qui amène à la conclusion, non pas qu'Il existe nécessairement, mais au mieux que son existence est très probable d'un point de vue scientifique, compte tenu de l'état de nos connaissances en 2021, et que les arguments athées sont en l'état irrecevables ou largement insuffisants. Je crois qu'avec un tel vocabulaire, les conclusions du livre seraient alors objectives. Dommage que les auteurs aient - à mon avis sciemment - cédé à l'envie d'aguicher leur public.

Jean-Paul II avait déjà fait un sort à ce type d'ouvrage dans son encyclique Fides et Ratio : A la fois comme croyant et comme être rationnel, on doit toujours rester très sceptique sur ces démarches qui visent à rassurer les croyants par la science ; ne vaut-il pas mieux se contenter de constater, par notre attention de tous les jours, que nous pataugeons en permanence dans le miracle ?...

Wlade
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le 26 sept. 2022

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